Alexandra Stréliski : Le nouveau départ
À 33 ans, Alexandra Stréliski a choisi de se faire confiance. Après avoir tergiversé dans le monde de la pub à titre de compositrice, la pianiste néoclassique se dévoile avec humilité et sensibilité sur Inscape, un deuxième album qui fait le point sur «une zone transitoire», une période instable durant laquelle elle a dû tout laisser s’écrouler pour mieux reconstruire.
«J’ai écrit cet album-là dans un moment trouble de ma vie: burn-out, dépression, séparation, déménagement… Ç’a été une grosse remise en question de vie sur deux ans», confie la compositrice d’origine juive polonaise. «Inscape a été enregistré vers la fin de cette période-là, dans la zone transitoire. Dans ma tête, c’est très clair quelle toune est associée à quel moment, à quel mood. Il y a des pièces qui précèdent ma crise existentielle (Plus tôt), d’autres qui sont en plein dedans (Blind Vision) et d’autres qui viennent après (Le nouveau départ).»
Mélancolique et touchant, sans être trop sombre ni larmoyant, Inscape nage dans les mêmes eaux que son prédécesseur Pianoscope. Paru à la fin 2010 sur Bandcamp, ce premier album autoproduit misait sur une esthétique tout aussi dépouillée, laissant place aux émotions brutes d’une artiste alors en pleine découverte de son potentiel. «J’avais surtout fait cet album-là pour que mes parents soient contents. Même si j’avais pas du tout d’attentes, je cherchais secrètement à attirer des réalisateurs pour faire des collaborations. Composer de la musique de film, c’est mon rêve depuis que je suis toute petite.»
Ce rêve a pris forme lorsque Jean-Marc Vallée l’a contactée pour utiliser Prelude dans son film Dallas Buyers Club en 2013. Quelques mois plus tard, la pièce jouait lors de la cérémonie des Oscars. «C’était impensable comme moment. Encore aujourd’hui, je suis surprise de voir que ma musique a le pouvoir de rejoindre autant de gens. Surtout, je suis honorée qu’elle ait pu rejoindre Jean-Marc Vallée qui, à mon avis, est l’un des réalisateurs qui représente le mieux la complexité des humains dans ses films. Être associée à lui, c’est out of this world», dit celle qui a également collaboré avec le cinéaste pour Demolition et la bande-annonce de la série Big Little Lies. «J’aime la contrainte de composer de la musique spécifiquement pour un film, en respectant la vision du réalisateur ou en me mettant dans la peau d’un personnage. C’est vraiment intéressant comme façon de créer, mais c’est sûr que je m’exprime avec beaucoup plus de liberté sur mes albums. C’est à travers eux que je peux vraiment transposer mes états d’âme.»
Et Stréliski se livre dans toute sa vulnérabilité sur Inscape, album coréalisé par son fidèle ami Maxime Navert et enregistré au studio PM à l’automne 2017. Par leurs titres et leurs ambiances, ces 11 nouvelles compositions peignent une fresque des années mouvementées de la chanteuse. «Le milieu de la pub était vraiment stressant et, à un moment donné, j’ai compris que c’était vide de sens de composer de la musique pour vendre quelque chose à des clients. J’ai compris que j’étais à côté de mes bottines, que j’étais en train de m’oublier. Au lieu de porter mon projet musical au quotidien et de le vivre pleinement, je me retrouvais à travailler pour les autres. Je savais où je devais aller, mais je n’y allais pas.»
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En arrêt de travail, la Montréalaise a donc pris du recul. Entre ses séances chez le psychologue, l’ostéopathe et l’acupuncteur, elle a composé son deuxième album sur son piano Lodz (qu’elle traîne depuis l’enfance), sans chercher à vouloir profiter au plus vite de l’attention médiatique reçue dans la foulée des Oscars. «J’avais besoin de vivre quelque chose avant de sortir un album. Finalement, je l’ai eu mon cadeau… Un cadeau empoisonné, difficile à vivre, mais un cadeau quand même. Sans aller jusqu’à dire que la musique a été une thérapie, je peux dire qu’elle m’a aidée à exprimer ce que je ressentais. Maintenant, la thérapie se poursuit, car je dois interpréter cet album-là devant les gens. Avant, j’avais peur de témoigner ma vulnérabilité aux gens. J’avais l’impression que l’émotion allait être trop forte.»
Avec à peine une quinzaine de spectacles en carrière (dont une dizaine dans les derniers mois), Stréliski se dit plus à l’aise que jamais sur scène. Sa signature avec l’étiquette indie montréalaise Secret City Records (Patick Watson, The Barr Brothers) lui a ouvert des horizons à l’international, et elle entrevoit la prochaine année avec optimisme et fébrilité.
Aux côtés de Chilly Gonzales et Jean-Michel Blais, elle fait partie d’un courant de compositeurs québécois qui rejettent les conventions et l’hermétisme propres au milieu de la musique classique. «Je remarque qu’on a tous étudié dans un conservatoire et qu’on a tous, à notre façon, réagi à la rigidité de l’académisme. D’une certaine façon, on symbolise un courant plus ouvert en termes de commercialisation de la musique classique. En ce moment, on a un succès sur les plateformes de streaming, et les labels d’ici se rendent compte de notre potentiel, qui ne se limite pas au marché local, analyse-t-elle. C’est spécial, mais actuellement, on dirait que le public redécouvre la musique classique. Un peu comme si on l’avait oubliée et que, là, elle recommençait à s’adresser à nos émotions.»
Inscape
(Secret City Records)
sortie le 5 octobre
11 octobre au Centre Phi (Complet)
22 février 2019 au Théâtre Outremont
1er mars 2019 au Palais Montcalm