Jérôme Minière : Sorti du bois
Avec son neuvième album, Jérôme Minière fait table rase du passé et s’aventure «dans la forêt numérique».
C’est dans son laboratoire «à peine plus grand qu’une boîte à chaussures» que le Montréalais de 46 ans nous reçoit. Exception faite des multiples post-it collés au mur, sur lesquels sont inscrits les titres des nombreuses chansons qu’il a écrites dans la dernière année, le mini-studio est impeccablement rangé: l’ordinateur bien centré vers la fenêtre, les multiples claviers à portée de main, le Félix bien positionné dans l’étagère de droite près de l’entrée…
Pourtant, il y a quelques mois, c’était le chaos ici. Jérôme avait à peine assez d’espace pour travailler, et son chemin pour se rendre à l’autre extrémité de la boîte à chaussures rétrécissait au fil des jours. Un ménage s’imposait, au sens propre comme figuré. «Je devais faire de l’ordre ici pour avoir les idées plus claires», résume-t-il.
Pour l’occasion, l’auteur-compositeur-interprète devait relever un défi de taille. Près de 20 ans après sa signature avec La Tribu, il sentait qu’il devait passer à la prochaine étape, peu importe ce qu’elle impliquait. «La crise de la quarantaine m’a frappé, mais à défaut d’avoir les moyens de m’acheter une Porsche rouge, j’ai quitté mon label, dit-il, en riant. Ce n’est pas un départ qui s’est fait dans la chicane. J’avais simplement la sensation qu’on se connaissait sur le bout des doigts, comme un vieux couple, et que, forcément, on allait toujours être amenés à regarder dans le rétroviseur, vers cette époque plus abondante où l’industrie allait encore bien et n’avait pas encore mangé sa grosse claque. Je ne voulais pas vivre ce déclin et, par-dessus tout, j’avais besoin de me brasser.»
Début 2017, Minière se lance dans le vide avec ses doutes et ses angoisses. «J’ai demandé conseil à toutes sortes de personnes: artistes, agents, éditeurs, labels, name it. Tout le monde me disait que de s’autoproduire, c’était complexe. On vit vraiment dans une époque passionnante: la qualité de la musique a monté d’une coche, mais en même temps, c’est une vraie jungle. On est tous rendus un peu TDAH! On est tellement bombardés de part et d’autre qu’on a du mal à créer de nouveaux souvenirs et, tranquillement, ça nous affecte. C’est la même analogie avec Tinder: tu prends, tu jettes.»
C’est en réfléchissant à cette culture du jetable que l’artiste a trouvé le titre et, par conséquent, la ligne directrice qui allait traverser ce nouvel opus, Dans la forêt numérique, un constat sur l’abondance d’informations, la virtualité, les fausses nouvelles, les masques que l’on met. «En fait, c’est plus qu’une forêt, c’est un vrai labyrinthe. Il était déjà là avant devant nous, mais là, on est tous pris dedans. La question, c’est de savoir à quelle branche on va s’accrocher», image-t-il.
Pour le principal intéressé, cette «branche» a été son public, autant ses fans québécois que ses fans français les plus fidèles qui le suivent depuis ses débuts au milieu des années 1990 sous l’étiquette Lithium. «Je me suis posé les questions de base. Qui ai-je touché au courant de ces 20 dernières années? À qui je m’adresse? Et pourquoi je continue? Il y a 10 ou 15 ans, j’étais vraiment une bibitte dans le décor, mais maintenant, les outils que j’utilise ne détonnent plus vraiment. En fait, ils sont presque devenus la norme! J’ai dû prendre conscience que ma musique ne surprendrait plus personne. Tout ce que je pouvais faire, c’était d’être le plus humble possible avec moi-même et le plus sensible possible dans ce que je raconte.»
Le multi-instrumentiste s’est donc mis à écrire et à composer comme jamais, enregistrant plus de 30 chansons en un peu plus d’un an. Entre le style électronique minimaliste de ses débuts et les formules plus pop qui ont marqué ses quatre derniers albums, il a d’abord cherché à libérer son abondant flux créatif, sans le circonscrire dans un quelconque concept. Bref, un album disparate, mais assumé, à l’image d’une ère composite et tourbillonnante. «J’ai voulu répondre au présent, en partant dans toutes les directions. Je voulais me pitcher dans la réalité, comme pour marquer l’album de son époque. Même chose au niveau des textes: j’ai écrit des petites notes partout, sur des bouts de papier ou dans mon téléphone, sans prendre la peine de m’asseoir systématiquement pour écrire chaque chanson.»
Sans jamais verser dans la critique franche des technologies, Jérôme Minière livre des textes nuancés dans lesquels il se positionne comme un observateur. «Y a jamais de bons ou de méchants. En fait, quand j’écris des tounes où je penche trop d’un bord ou de l’autre, je finis par les éliminer. Je n’aime pas taper sur la tête de quelqu’un, car je me sens toujours inclus dans la problématique. Avant tout, je me considère comme un paysagiste. J’aime capturer un moment, un mood et une couleur, puis en extraire une chanson. Je ne suis pas le porte-drapeau. Je suis le mec qui regarde et qui prend les photos.»
Dans la forêt numérique
sortie le 7 décembre