Dead Obies : renaître de ses cendres
Avec DEAD., un troisième album moins touffu que ses prédécesseurs, Dead Obies renouvelle son approche créative et tourne la page sur le départ de Yes Mccan.
DEAD. est de loin votre album le plus concis en carrière. On y retrouve pratiquement juste des chansons courtes avec des structures conventionnelles et des refrains accrocheurs. Qu’est-ce qui vous a poussés à aller dans cette direction?
20some : Je pense que ça représente tout simplement les échelons de notre maturité artistique. Montréal $ud, on l’a fait de la façon la plus pure possible, tandis que Gesamtkuntswerk, on a essayé de corriger un peu notre tendance à nous éparpiller, en pensant davantage à des refrains. Là, c’est plus court, précis, concis, en phase avec le développement du rap sur les plateformes de streaming. En trois ans, les Spotify et cie se sont beaucoup développés, et maintenant, tout le monde sait comment ça marche. On ne formate pas nos chansons pour eux, mais c’est sûr qu’on veut entrer dans les playlists.
Joe Rocca : C’est sûr que sur les plateformes de streaming, une toune de six minutes, c’est pas l’idéal. Ton skip rate augmente, et ta toune finit par se faire sortir de la playlist. De plus en plus, ces plateformes-là agissent comme les nouveaux majors. Ils contrôlent l’industrie de la musique et décident de ce qui va jouer en malade.
Dans ce cas, comment s’assurer que leurs standards n’empiètent pas sur votre intégrité artistique?
Joe Rocca : Pour éviter ça, on a vraiment enregistré plein de tracks, genre au moins 50-60. Là-dedans, on a fait le tri pour choisir autant des tounes qui nous font tripper, que d’autres qui ont un replay value. Les playlists ne guident pas tous nos moves, mais c’est une réalité dont on est conscients.
20some : Les playlists ont aucun impact sur notre intégrité artistique. Au contraire, cette fois-ci, on a voulu être le plus honnête possible avec nous-mêmes. Quand Yes est parti, on a eu à se regrouper, à se demander c’était quoi Dead Obies. C’était tu fini ou pas? La réponse unanime, ça a été «NON», car Dead Obies, c’est plus gros que nous. On a réfléchi à l’essence de notre groupe, et c’est là qu’on a compris qu’à la base, notre volonté, c’était de changer le game, de faire la musique qui nous plait, sans nécessairement l’enrober d’un message ou d’un concept.
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Est-ce qu’on peut dire que DEAD. est un album en réaction à Gesamtkunstwerk, qui avait comme assises une relecture de l’essai La société du spectacle de Guy Debord?
Joe Rocca : Faut se rappeler qu’il y a trois ans, le rap avait une place beaucoup moins importante dans les outlets médiatiques. En tant que porte-parole du groupe, Yes prenait donc le temps d’expliquer à Monsieur et Madame Tout-le-Monde notre musique, notre concept, un peu comme pour légitimiser ce qu’on faisait. Ça a pavé le chemin d’une certaine façon, car maintenant, c’est possible de parler de rap en l’intellectualisant.
20some : À nos débuts, les journalistes parlaient de rap sans trop savoir c’était quoi. Maintenant, on voit des étiquettes comme street rap arriver, mais à la base, on était tous regroupés dans le même paquet. On a donc cherché à se démarquer du lot, car on ne faisait pas confiance aux gens pour décrypter et analyser la densité de notre message. On voulait être pris au sérieux! Mais, maintenant, avec le rap qui commence à être établi, on a pu envie de se justifier. Tout ce qu’on veut, c’est être honnête avec ce qu’on est, avec ce qu’on a le goût de faire, sans se retenir et sans donner toutes les réponses à l’auditeur. Ça donne un album qui va dans plusieurs directions très assumées. Il y a quelques années, on aurait été mal à l’aise de sortir une chanson folk pop comme High, mais maintenant, on en est fiers.
Même si vous n’avez pas élaboré un album concept aussi dense que votre précédent, comment analysez-vous DEAD. avec le recul? Est-ce la chronique d’une mort annoncée?
Joe Rocca : À mon avis, ce qui est cool de toutes formes d’art, c’est que chacun se fasse sa propre interprétation. Un mot comme «DEAD», c’est évocateur, oui, mais ça peut avoir plein de sens. Est-ce que le groupe est mort? Ou, au contraire, viennent-ils tout simplement de tuer le whole game au complet? Nous, quand on dit, que quelqu’un «l’a trop dead», c’est plus positif que d’autre chose…
20some : On se cachera pas que le départ de Yes, ça a été le moment le plus marquant de notre année. C’est de loin ce qui nous a le plus affectés. Mais une fois le choc passé, ça a vraiment guidé notre création. Soudainement, c’était plus facile de se booker une session au studio, de se rencontrer… Bref, au moment où on pensait que c’était fini, on a eu un électrochoc. Après le feu de forêt, tout pousse encore plus vite. On a boosté notre production et on a mis nos egos de côté pour travailler ensemble. L’événement a canalisé nos forces vers un but, nous a éclairés, nourris. On s’est mis à enregistrer plein de tracks, c’était vraiment motivant. Et, surtout, on s’est dit les vraies affaires. On a pas hésiter à couper le superflu, à le dire à quelqu’un quand une line marchait pas.
On sent que ce rendement très productif a eu un impact sur l’ambiance générale de l’album, plus joviale et limpide que d’habitude. La critique sociale qui a en partie caractérisée Montréal $ud et Gesamtkunstwerk laisse place à des textes plus lumineux, à des messages d’espoir ou de motivation destinés à la jeunesse. Qu’est-ce qui explique ce changement de cap?
20some : On aime l’idée de se servir de notre succès pour motiver les gens. Nous, on a commencé avec rien, vraiment rien, et on a tout construit par nous-mêmes. Maintenant, on a le loisir de regarder tout ça at large, de constater les portes qu’on a ouvertes pour la scène rap. Sans Alaclair Ensemble, Loud Lary Ajust et nous, j’ai l’impression que toute cette batch-là de jeunes auraient moins tendance à croire qu’ils peuvent se réaliser à travers le rap, que c’est possible de signer un record deal.
Joe Rocca : En ce moment, j’écoute tout ce qui sort de notre scène rap et je la vois, l’influence qu’on a eue sur le style des jeunes. À l’inverse, j’aime aussi m’inspirer back des jeunes. Ça amène un nouveau regard sur le rap, qui se manifeste sur cet album-là.
20some : Pis ça dépasse le cadre du rap aussi. J’étais au MTelus pour le show de Loud dernièrement, et y’a un dude aux toilettes qui a commencé à me parler. Il m’a dit qu’il élevait des poissons et que notre musique le motivait et lui donnait envie que sa business lève. Je crois que notre parcours incarne un classic success story auquel les gens peuvent s’identifier.
Est-ce que c’est pour cette raison que l’argent prend une place aussi centrale dans les thèmes de l’album?
Joe Rocca : Le cash, c’est juste le dénominateur commun que tout le monde peut comprendre. Quand je parle d’argent, c’est une métaphore pour parler de succès. Ce que j’ai envie de dire dans mes textes, c’est que, malgré le fait que je suis pas allé à l’école et que j’ai pas une vie conventionnelle, j’ai réussi à atteindre le but que je m’étais fixé quand j’étais petit. Tous mes efforts ont débouché vers quelque chose et me motivent maintenant à continuer.
Et quels sont vos plans à court terme? Maintenant que vous avez fait le tour du Québec plusieurs fois, on vise quoi?
20some : Au Québec, il y a à peu près 10 grosses villes où on peut faire des shows, et ce qu’on remarque, c’est qu’on fait constamment des plus gros stages. Au-delà de ça, il y a l’Europe, mais on va attendre avant d’y aller. On veut qu’il y ait une demande organique plutôt que d’aller là-bas pour défricher du terrain comme les dernières années. On veut laisser la musique parler d’elle-même.
Joe Rocca : En gros, si on peut faire des festivals à 20 000$ au Québec, on va pas laisser tomber ça pour aller sucer quelques Français à 100$. (rires)
20some : Pis sinon, notre plan, c’est que les gens dans les radios commerciales s’enlèvent les doigts dans le nez et fassent une plus grande place au rap. On aimerait pouvoir vendre notre musique de façon normale plutôt que d’utiliser encore des moyens alternatifs comme vendre de la merch. En fait, on aimerait juste être payés comme des vrais musiciens.
En spectacle le 1er mars à l’Impérial Bell (Québec) et le 26 avril au MTelus (Montréal).
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