Rap local : Lucas Charlie Rose, rassembler les artistes trans
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Rap local : Lucas Charlie Rose, rassembler les artistes trans

Chaque semaine, cette chronique met en lumière l’oeuvre des rappeurs et des producteurs québécois les plus intéressants du moment. Au programme : entrevue, bons coups de la semaine et aperçu des prochains spectacles à voir.

Entrevue //

Fondateur du label montréalais Trans Trenderz, le rappeur Lucas Charlie Rose est aux commandes de The TakeOver, un spectacle mettant uniquement en vedette des artistes trans.

Qu’est-ce que ce spectacle représente pour toi?

C’est vraiment un rêve qui devient réalité. C’est tout le travail des trois dernières années qui va être récompensé. Pour la petite histoire, on avait publié la première mixtape hip-hop principalement réalisée par des artistes trans en 2016. On a fait un show tout de suite après, et l’expérience a été formidable. La plupart d’entre nous n’avaient jamais été dans un endroit où l’on avait le droit de se sentir normaux, où l’on avait pas à se sentir différents des autres. Le lendemain, j’avais mal au cœur, car tout ça était fini, donc je me suis dit : «Ok, on doit faire quelque chose!» C’est là que j’ai eu l’idée de créer le label Trans Trenderz, notamment dans le but de partager mes ressources avec d’autres artistes qui manquent de moyens. J’ai fait beaucoup de coaching avec les artistes de l’étiquette, ici comme à New York, et des liens se sont créés. Là, le moment va être vraiment magique, car tout le monde va se rencontrer pour une première fois.

Au-delà de la transidendité, est-ce que quelque chose d’autre rassemble les artistes de la programmation?

Pas vraiment, car nous sommes toutes des personnes singulières qui ont des relations très différentes avec leurs corps. On a rien en commun… ou presque. En fait, la seule chose qui nous distingue, c’est la manière dont la société nous catégorise et, personnellement, je trouve ça important de rappeler que tout ça nous rend la vie beaucoup plus difficile. Le plus important est de comprendre qu’il n’y a pas qu’une seule manière d’être trans et que la musique sert justement à marquer ces différences.

Dans le milieu hip-hop, sens-tu une discrimination plus accrue par rapport aux artistes trans?

La discrimination est assez similaire à celle qui prévaut dans la société. Mon expérience, c’est surtout qu’en public, les rappeur vont être tough, vont essayer de te rabaisser. J’imagine qu’on menace leur masculinité. (rires) Mais après, quand ils nous voient sur scène, leur regard change, et ça peut donner lieu à des échanges intéressants par la suite. Je vois souvent des mecs arriver à mes spectacles un peu dégoûtés et, progressivement, au fur et à mesure que j’interagis avec la foule, ils changent d’attitude. Ça me donne beaucoup d’espoir.

Beaucoup t’ont découvert en raison de tes prises de position pour l’annulation de SLĀV. Est-ce que cette implication a donné plus de visibilité à ta musique? Si oui, est-ce que ça t’a plus aidé que nui?

Je n’ai jamais eu l’intention de promouvoir ma musique à travers les manifestations de SLĀV. En fait, j’ai écrit une chanson à ce sujet, Bye Bye Betty, mais je ne l’ai jamais sortie, car je ne voulais pas que les gens fassent un lien entre ma musique et mes actions. Ça n’a pas empêché certaines personnes de m’écrire en privé sur Facebook pour m’insulter, mais bon, la plupart du temps, ces gens étaient des Blancs dans la cinquantaine qui n’auraient jamais écouté ma musique de toute manière. Certains m’ont aussi menacé en me disant : «Robert Lepage ne te donnera jamais de job!» Je leur répondais : «OK, mais quand est-ce que vous avez vu Robert engager une personne trans?» Pour vrai, je n’ai rien à perdre comme artiste, car je suis déjà dans la merde financièrement. Les gens en position de pouvoir ne me font pas peur.

Est-ce que ton implication sociale a eu des échos sur la création de Plus près du soleil?

C’est dans la continuité, c’est-à-dire dans cette idée de rendre hommage aux gens qui ont souffert pour moi. Plus jeune, mes parents m’ont amené sur l’île de Gorée pour me faire découvrir d’où venaient mes ancêtres. Eux, ils ont connu le pire et, en quelque sorte, je me sens redevable envers leur héritage. Au-delà de ça, les dernières années que j’ai vécues ont été très difficiles. J’ai été sans-papiers pendant un an et, au même moment, je vivais une relation abusive. Y’a eu tellement de choses qui se sont passées, et j’ai écrit cet album-là pour me sortir de là. C’était un moyen de m’exprimer quand je sentais pas bien. Maintenant, quand je réécoute les chansons, je me dis que ça va aller. Je sais que, tranquillement, j’arrive plus près du soleil.

The TakeOver: An All Trans Hip Hop Show – La Vitrola (Montréal), 6 mars (20h)

La nouvelle de la semaine //

Sept ans après son projet Les filles du roé en collaboration avec Kaytranada (alors qu’il empruntait encore le sobriquet Kaytradamus), Robert Nelson annonce un premier album solo : Nul n’est roé en son royaume, à paraître le 12 avril sous Disques 7ieme Ciel. Le membre d’Alaclair Ensemble et de Rednext Level y proposera «un univers plus introspectif et personnel, mais tout aussi poétique et authentique». Avant toute chose, il propose Jacques Plante, un convaincant premier extrait produit par Lowpocus et DJ Manifest sur lequel il s’éloigne du ton  nasillard et caricatural de son alter ego.

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Le projet de la semaine //

Révélé l’été dernier avec le clip de Dirty-L’s, un hymne lavallois paradoxalement cru et cinglant, JPs livre une première mixtape qui frappe par ses textes francs et son approche brute, menée par le flow désinvolte du rappeur. Malgré une direction musicale trap générique et sans grand éclat, l’opus s’impose comme l’une des sorties street rap les plus substantielles de l’année jusqu’à maintenant.

On se doit aussi de reconnaître la qualité indiscutable de Slow Down Papa, mini-album qui marque le retour très attendu de Loe Pesci. En grande forme, le Montréalais pose admirablement sur les productions empreintes de soul de ses acolytes MoonBoots, INSANITY! et Tommy Kruise.

La chanson de la semaine //

Le duo De.Ville renoue avec le talentueux Jah Maaz (de LaF) sur Semhilia, pièce hip-hop mélancolique riche en émotions. Une preuve supplémentaire de la complicité manifeste entre les trois artistes.

L’instru de la semaine //

Passée sous notre radar à sa sortie il y a deux semaines, cette bombe hip-hop funky signée DJ Manifest et Lowpocus témoigne d’un groove sensuel rondement travaillé.

Le clip de la semaine //

Sur le clip de Pas né, chanson la plus accrocheuse du premier album d’Obia le chef, le réalisateur Cristobal Coloma (alias El Cotola) jette un regard percutant sur les conflits familiaux et la recherche identitaire qui caractérise bien souvent cette période charnière qu’est l’adolescence.

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Les spectacles à voir //

Planet Giza / Lewis Dice / Pro.douceur

Lewis Dice et Pro.doucer, deux producteurs originaires de Québec, accompagnent le trio montréalo-ottavien Planet Giza, qui vient tout juste de faire paraître l’excellent Added Sugar.

District Saint-Joseph (Québec), 7 mars (23h)

Don’t Sweat The Technics w/ Magnanimous & White Socks

Les DJs montréalais Mark The Magnanimous et White Socks y vont de leur soirée festive mensuelle dédiée au hip-hop et à ses musiques fondatrices.

Maison2109 (Montréal), 9 mars (22h)

Izzy-S x Tizzo + Invités / The Empire Tour à Saint-Jérôme

Deux révélations de la scène rap locale, Tizzo et Izzy-S, seront de passage sur la Rive-Nord de Montréal pour un spectacle qui mettra aussi en vedette Sam T. et Monmon.

La P’tite Grenouille (Saint-Jérôme), 9 mars (21h)

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