Laurence Nerbonne : Ébranler le consensus
Musique

Laurence Nerbonne : Ébranler le consensus

Avec Feu, Laurence Nerbonne s’affirme et se dévoile comme jamais auparavant.

Lancé l’hiver dernier, le premier extrait Fausses idoles donnait le ton avec sa signature trap frondeuse. À l’instar de Fanny Bloom en 2013 sur Cendres (en collaboration avec Loud Lary Ajust), Nerbonne rompait avec son image pop polie le temps de quelques rimes franglaises bien assumées. «Tu copies mon style, ride sur mon vibe/Penses-tu que personne allait remarquer?» lançait-elle avec une assurance à toute épreuve.

«Au Québec, on n’en entend pas beaucoup de filles irrévérencieuses, un peu bad ass. Là, je voulais arriver avec une énergie plus agressive, plus frontale. C’est pas nécessairement que je m’ennuyais avec les beats reggaeton, mais je voulais ébranler le consensus, montrer une autre facette de moi et, surtout, faire une musique en phase avec ce que j’écoute depuis deux ans, c’est-à-dire du hip-hop comme Cardi B, Nicki Minaj, Travis Scott et Drake. Ça remonte même à plus loin que ça, à des artistes comme LL Cool J, Puff Daddy et Missy Elliot que j’écoutais quand j’étais très jeune.»

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Le défi a été de taille. Pendant plusieurs mois, l’auteure-compositrice-interprète a aiguisé son flow, perfectionné ses textes et travaillé d’arrache-pied sur ses beats. Bien au-delà de l’effet de surprise qu’elle voulait provoquer avec ce single, la principale intéressée cherchait à donner une nouvelle impulsion à son approche artistique. «Au début, je savais pas comment placer ma voix sur mes beats, sans avoir l’air de devenir un rip off de quelque chose. Y a eu beaucoup d’essais-erreurs. J’ai fait plusieurs ébauches de chansons pas très bonnes, pas très fluides. Je voulais trouver quelque chose qui me ressemble.»

Rencontres fertiles

Il y a deux ans, son passage au camp Kenekt de la SOCAN (un camp d’écriture regroupant des artistes de tous horizons au Nicaragua) a été un tournant ou, du moins, un moment décisif dans la création de ce deuxième album solo. En plus de participer à plusieurs ateliers de création et d’y faire plusieurs rencontres marquantes, notamment celle de l’auteure et compositrice canadienne aguerrie Laurell Barker (qui a contribué à la pièce Money CA$H), Nerbonne y a appris à se faire davantage confiance. «Ça m’a fait comprendre que, bien souvent, je m’empêchais de faire des trucs par autocensure, en me disant que c’était trop quétaine ou, au contraire, trop franc. Là-bas, personne ne me connaissait, et je sentais que je n’avais aucune limite artistique. J’y ai rencontré des artistes inspirants, des créateurs et des créatrices super efficaces et entraîné.e.s qui ont développé des réflexes pour écrire des bonnes chansons pop rapidement. Quand je suis revenue chez moi, je me sentais plus libre.»

C’est là que la Montréalaise a choisi d’assumer pleinement ses influences du moment pour en extraire des chansons foncièrement accrocheuses. Très loin de la pop à l’eau de rose avec ses «F-word» scandés à répétition, la pièce #Metoo incarne bien le côté mordant de cet album. «C’est une chanson que j’ai écrite pour démystifier toutes les formes d’inégalités qui prévalent encore [dans le milieu de la musique]. Je n’ai jamais vécu de trucs terribles, mais ça m’est arrivé de me faire pogner le cul par un technicien, par exemple. Je voulais que, tous ensemble, gars comme filles, on puisse faire un gros fuck you général avec cette chanson.»

Sur Backoff, la rappeuse critique ouvertement l’absence de parité en tête d’affiche des festivals québécois. «Jamais l’acte principal depuis Celine, c’est zéro», rappe-t-elle sur une puissante production à la basse cinglante. «J’avais le goût de me défouler. On est plus habitués d’entendre ça dans des disques de gars, mais j’avais envie qu’on ait aussi des modèles de filles qui s’affirment et qui arrêtent de s’excuser. Un peu comme Rihanna quand elle a sorti Bitch Better Have My Money

Et, tout comme la popstar barbadienne, Nerbonne vogue habilement d’un univers à l’autre. Taillée sur mesure pour les ondes commerciales par le duo de producteurs Banx & Ranx, Semblant s’impose comme sa pièce la plus pop en carrière. «C’est une chanson d’amour à propos de deux personnes qui se demandent s’il y a encore de l’amour entre eux. C’était important pour moi que, peu importe le style, chaque chanson ait de la profondeur. J’aime pas les projets vides qui disent rien. Ça aurait été vraiment plate si j’avais fait un album où je dis juste qu’il fait beau et que je suis vraiment nice.»

Écrit, composé et produit par elle-même (avec un petit coup de pouce du réalisateur et arrangeur Philippe Brault à la toute fin), Feu illustre le chemin considérable qu’a parcouru l’artiste depuis 2015, soit depuis la fin de sa formation rock Hôtel Morphée.

Pour la principale intéressée, cette évolution est on ne peut plus logique. «À la base, ma formation est classique, donc avec Hôtel, j’avais besoin d’aller dans l’autre extrême pour apprendre c’était quoi avoir du fun. Mais, rapidement, j’ai compris que c’est de la pop que je voulais faire. De toute façon, ça fait une couple d’années que le rock n’a plus la cote et, ce que j’aime par-dessus tout, c’est assumer les courants du moment. Au Québec, on est vraiment en retard à ce niveau-là, tandis qu’aux États-Unis, on ne se pose pas trop de questions sur les genres. Janelle Monáe mélange funk, soul et hip-hop, sans chercher à se cantonner dans une seule étiquette. C’est pour ça que, malgré la couleur trap de certaines de mes chansons, j’évite de me peinturer dans un coin. Je préfère dire que je fais de la pop, tout simplement.»

Feu
en magasin et en ligne le 19 avril

Lancement le 23 mai
au Centre Phi
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