Dramatik : Le vol du phénix
Musique

Dramatik : Le vol du phénix

Pionnier du rap québécois, Dramatik conclut une trilogie avec Le phénix, il était plusieurs fois, un album de renaissance.

C’est un Dramatik décontracté et souriant qu’on rejoint dans un café du centre-ville. Il y a quelques minutes à peine, le membre de Muzion terminait la deuxième année de son contrat d’artiste médiateur pour la Place des Arts. Depuis novembre, il se promène d’école secondaire en école secondaire pour apprendre les rudiments du rap aux jeunes. «En une heure, je dois avoir le temps de leur dire comment on construit un texte, comment on agence ses rimes, comment on développe son flow… Je leur parle de mon parcours, tout particulièrement du fait que, si moi je suis capable de faire du rap tout en étant bègue, tout le monde peut y arriver. Le pouvoir des mots est plus fort que n’importe quel obstacle qui se dresse sur notre chemin, que ce soit la peur de l’engagement ou bien un trouble d’anxiété. J’ai fait une quarantaine de classes comme ça, autant dans des écoles publiques ou privées que dans des écoles de geeks ou de cas à problèmes. Les jeunes viennent ensuite à la Place des Arts appliquer ce qu’ils ont appris, et ça se termine avec un Block Party», explique le rappeur, visiblement animé par ce projet.

Cette expérience de mentorat a en partie guidé la création de ce troisième album solo. «Le fait de parler aux jeunes, ça renforce le caractère social de ma musique. J’ai moi-même été un jeune avec des troubles d’apprentissage. J’ai lâché l’école à l’âge de 15 ans pour entrer dans une autre école: celle du rap. Donc aujourd’hui, je suis choyé de pouvoir transmettre mes connaissances et d’en acquérir de nouvelles.»

Le phénix, il était plusieurs fois est un album de partage, d’amour, de résilience. Alors que La boîte noire (2009) incarnait la chute du rappeur et que le très intime Radiothérapie (2014) tentait d’en expliquer les causes en remontant à la source de ce crash, celui-ci symbolise la résurrection d’un homme de 44 ans qui s’ouvre plus que jamais aux autres. «Après être tombé, je reviens. C’est un cycle qui s’applique aussi à ce que l’humain vit depuis des siècles. C’est un message d’espoir finalement.»

Un message d’espoir somme toute réaliste, pas du tout naïf. En ouverture, Ghetto Génétik (tome 5), une saga entamée en 2002 sur le deuxième album de Muzion (J’rêvolutionne), amorce le périple vers la lumière avec un triste constat. Encore marqué par son passé dans Montréal-Nord, le rappeur nous rappelle que, malgré tout son cheminement, le ghetto le hante encore. «Même dans un château, la tête serait dans le ghetto/Le ghetto dans les veines depuis le début, in vitro», lance-t-il dans un puissant et soutenu élan d’intensité.

«Le traumatisme sera toujours là, mais je suis conscient que, maintenant, je peux le balancer avec du positif, avec du love, des bonnes expériences. Reste que ce qui est fait est fait. Mon bégaiement est la preuve que j’ai vécu un traumatisme émotionnel. Tout ce que je peux faire maintenant, c’est enjoy life, transformer la merde en engrais», confie-t-il.

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À la toute fin de l’opus, la chanson Miracle montre l’évolution du fil de pensée de son auteur. «Je voulais finir l’album avec un miracle, en chantant Hallelujah. Il fait pas beau, l’orage nous guette, mais at the end of the day, les miracles existent quand même. Dans la vie, tu fais pas la guerre pour faire la guerre. Tout le rap un peu sado qui glorifie le ghetto, je trouve ça fake. Ça sert à rien de faire ça, car le ghetto, c’est pas un choix, c’est une pénitence. En italien, ça veut dire dépotoir. Tu veux pas vivre dans les vidanges, donc dès que tu as les moyens d’aller ailleurs, tu y vas… Mais en même temps, tu te rappelles toujours d’où tu viens.»

Pour Dramatik, cette sortie du ghetto a été accélérée par sa grande curiosité. Désirant découvrir autre chose que «les dépanneurs et le Steinberg», l’artiste a quitté Montréal-Nord en 1993. «Il y avait trop de violence chez moi. Je suis parti en appartement près du métro Fabre avec cette idée de performer sur scène. Dans Le Journal de Montréal, j’ai trouvé un concours de musique qui avait lieu sur la rue Fullum, près du métro Frontenac. À ce moment-là, la ligne verte, c’était dangereux pour les Blacks, car il y avait beaucoup de skins. Je suis quand même débarqué tout seul avec ma cassette là-bas, dans un bar de motards, avec le désir d’aller reach les personnes. En fin de compte, j’ai pas gagné, mais tout le monde m’a applaudi chaudement. C’est là que j’ai réalisé que c’était fucked up: tous ces Blancs avec des grosses barbes aimaient ma musique et étaient ouverts à m’entendre. On parle beaucoup de racisme, mais j’ai constaté ce jour-là que c’est pas tout le monde qui a la haine ou la peur de l’autre en lui.»

crédit : Drowster

Ce moment déterminant a guidé le reste de sa carrière. Ouvert aux rencontres, Dramatik est paradoxalement un optimiste, ce qui ne l’empêche pas d’être conscient des réalités sociales qui l’entourent. «Rien n’a changé depuis Mandela», proclame-t-il dans Révolte vers, bombe reggae créée en collaboration avec Dan Fiyah Beats.

«Quand on regarde attentivement ce qui se passe maintenant, avec les cops qui tirent sur les Blacks et qui demeurent impunis, on voit que c’est pareil comme avant. Les ghettos se poursuivent et, pour dire que ça va mieux, on ne doit pas se fier à des cas d’exception. Pour une personne qui fait 100 000$ par année, combien continuent d’avoir une mauvaise qualité de vie? Des fois, j’en ai marre de parler de racisme, de toujours taper sur le même clou, mais il faut en parler. Dernièrement, le racisme évident que je vivais dans les années 1980 est revenu. La droite a pris d’assaut le système avec Trump, et on voit des positions plus claires. Il affiche constamment son white privilege. En même temps, je ne crois pas qu’il soit 100% méchant non plus. Ce serait facile de mettre tout le evil sur son dos. Avec les années, j’ai compris que le méchant peut parfois être gentil, et que le gentil peut être méchant…»

Bref, Le phénix, il était plusieurs fois est un album de nuances, un album qui s’ouvre davantage au monde que ses prédécesseurs, mais qui ne laisse pas pour autant tomber la facette intime du rappeur. En témoigne Ô Ciel, un hymne aux travailleurs, inspiré par une expérience qu’il a vécue en 2013. «Je travaillais dans une imprimerie à ce moment. C’était une bonne job syndiquée, mais très intense. J’étais un numéro. Il y avait tellement de bruit autour de moi que je n’étais même plus capable d’avoir un beat dans la tête. J’ai dû partir pour ça», raconte celui qui est également graphiste. «Cette chanson est justement dédiée à ceux qui ont des jobs d’entrepôt et qui doivent passer par des agences de placement, car ils n’ont pas de diplôme, à ceux qui en ont marre du BS et qui se ramassent sur Côte-de-Liesse dans une job à 10$ de l’heure, à ceux qui embarquent dans le bus bondé à cinq heures du matin et qui attendent leur break de cigarette, à ceux qui travaillent comme des hamsters et qui ne peuvent même plus dormir, ni rêver ou se réveiller.»

Surprenant duo avec Dan Bigras, Épicentre jeunesse dépeint le quotidien des jeunes qui se retrouvent, bien malgré eux, dans «des prisons qu’on appelle centres jeunesse». C’est en allant donner des conférences là-bas que le rappeur a eu l’idée de cette chanson. «C’est une marque de soutien pour ces jeunes en bas du système qui ont pourtant plein de potentiel. Pour l’instant, ils ont la lumière électrique de leurs cages pour les éclairer, mais bientôt, ils verront naître la lumière à l’intérieur d’eux. Je pouvais pas imaginer une autre personne que Dan pour cette chanson. C’est un gars authentique et terre-à-terre, qui est très sensible à ce que vivent ces jeunes. Dès que je lui ai proposé de collaborer avec moi, il m’a dit oui. Fallait juste qu’il guérisse son bobo, son cancer de la gorge.»

Écrit et composé dans un délai assez rapide, Le phénix, il était plusieurs fois arrive tout de même cinq ans après l’acclamé Radiothérapie. C’est que, contrairement à beaucoup de ses homologues, Dramatik prend le temps de vivre avant de se remettre au boulot. «Je veux vivre de nouvelles expériences et les raconter. C’est ça, l’intérêt. Je n’ai pas passé cinq ans à faire de la musique, car je suis d’abord et avant tout un père de famille. Le rap, c’est ce que je fais le soir. J’ai le même horaire que Batman.»

Le phénix, il était plusieurs fois
en vente le 17 mai 

Lancement le 29 mai
au Ministère (Montréal)