Michel Rivard : la quête d'un orphelin
Musique

Michel Rivard : la quête d’un orphelin

Après avoir séduit critique et public à La Licorne, Michel Rivard entame une longue tournée du Québec avec son saisissant théâtre musical L’origine de mes espèces, une quête identitaire puissante et profonde durant laquelle il aborde sans pudeur des épisodes significatifs de sa vie.

VOIR : Comme beaucoup de gens, j’ai été très touché par votre spectacle. Je ne m’attendais pas à une œuvre aussi intime et bouleversante. Qu’est-ce qui vous a poussé à nous raconter des histoires aussi personnelles?

Michel Rivard : Je pense qu’il y a un moment dans la carrière d’un auteur-compositeur où ces choses-là doivent sortir. Au départ, je me suis pas assis un matin en me disant «bon là, je vais explorer ma vie et révéler des affaires». C’est vraiment pas arrivé comme ça du tout. Étrangement, c’est parti de la forme. Y’a quelques années, durant la tournée de Roi de rien, je lisais des commentaires comme «c’est du bon vieux Rivard». J’avais un peu l’impression d’être pris pour acquis. Je sentais que j’arrivais à un âge où, si je voulais changer les affaires, c’était pas mal le temps ou jamais. Puis, en déjeunant avec ma blonde, elle m’a demandé : «Pourquoi tu parles pas plus que tu chantes?» Et c’est là que j’ai eu cette idée de show axé sur le monologue. Je voulais raconter une histoire à travers mes chansons.

Vous vouliez renouer avec votre passé de comédien?

Je voulais intégrer de manière différente tout ce que j’avais appris, tout ce que j’étais capable de faire. Je suis parti de cette intention-là, mais j’avais aussi quelque chose à raconter. Il y a quelques années, j’ai perdu ma mère. Veux, veux pas, ça remue de choses. Ça permet de prendre un peu de recul, de rentrer dans des zones où tu voulais pas nécessairement rentrer dans le vivant de tes parents… Bref, je me retrouvais orphelin dans la soixantaine, et ça m’a inspiré des chansons qui traitaient de la relation de mes parents, de ma position dans cette relation-là. Petit à petit, j’ai trouvé le filon de mon spectacle et j’ai commencé à écrire des monologues sans musique, quelque part entre la poésie, l’humour et le conte. Je partais vraiment sans filet, sans savoir où ça allait me mener. Vers 2016, le projet s’est dessiné et j’ai contacté Claude Poissant (NDLR : metteur en scène de la pièce) pour élaborer ce qui pourrait devenir un spectacle solo plus théâtral que musical. Je voulais seulement qu’il y ait des chansons originales, rien de connu. Et je voulais m’arranger pour le dire d’avance aux gens : non, vous n’entendrez pas Je voudrais voir la mer.

J’imagine que le processus de création a été particulièrement long…

Oui, surtout que, dans la dernière année, j’ai appris plusieurs choses très importantes. Toute la portion «quête identitaire» du spectacle n’était pas là au départ. Je parlais uniquement de la rencontre fortuite de mes parents, de ma naissance par accident, de l’alcoolisme de mon père, de la mélancolie de ma mère… J’étais plutôt bien parti, mais là, un an et quelques poussières avant la première, je me retrouvais avec plein de nouvelles directions à prendre et, surtout, avec une enquête à mener à propos de mon identité. Sincèrement, j’ai failli tout lâcher. Est-ce que j’avais le goût d’aller là? La dernière affaire que j’voulais, c’était de faire du théâtre people ou, pire, réciter un livre de pharmacie à propos de quelqu’un de connu qui parle de sa vie. Au contraire, je voulais faire une œuvre d’art, quelque chose qui se tient. J’ai donc consulté autour de moi, demandé de l’aide à ma blonde et à Alexia Bürger, une dramaturge extraordinaire. J’avais besoin qu’on me dirige, qu’on me rassure dans mes idées. Surtout, je voulais éviter de parler uniquement de moi. Je voulais parler aux gens, les émouvoir, les confronter à mon histoire.

Michel Rivard à La Licorne    crédit : LePetitRusse

Pour ce qui est des chansons, vous explorez ici une forme d’écriture franche et honnête, voire frontale. Pourquoi avoir choisi cette approche?

Tout ça s’est fait de manière organique. Je voulais dire les choses comment elles me sont arrivées, de la manière dont je les ai découvertes, puis extraire de ça une ligne poétique, narrative. Mon but était de passer sans heurt d’un truc anecdotique à un autre truc plus poétique. Le travail de Claude Poissant a été de construire une ligne dramatique logique à partir de mes écrits. Alexia aussi m’a suggéré des coupes et des changements afin de rendre ça plus efficace. Oui, je suis capable d’écrire un monologue et une chanson, mais tenir un fil dramatique pendant 1h40, je ne l’avais jamais fait.

Malgré la teneur dramatique du récit, il y a beaucoup d’humour dans votre spectacle. Vous vouliez donner une pause aux spectateurs entre deux moments plus émouvants?

C’était pas une manœuvre consciente, non. J’avais simplement besoin de ça. J’entrais dans des zones grises de ma vie et de celle de mes parents, donc c’était devenu nécessaire de me montrer à moi-même que j’avais encore le sens de l’humour. Fallait que je sois capable d’avoir de l’autodérision pour équilibrer le tout.

Sur scène, Vincent Legault (de Dear Criminals) appuie vos chansons avec des arrangements électroniques à la fois très sobres et puissants. Il reprend ici le travail que vous avez fait avec Philippe Brault pour la version studio de ces pièces. On peut parler d’un changement de cap considérable dans votre carrière?

Oui, et c’est quelque chose que je pouvais pas faire tout seul. Philippe et moi, on a créé de manière très intime les arrangements de l’album dans un petit studio : moi, avec une couple de guitares et lui, avec une couple de machines. Tout a été fait de manière très artisanale, comme je l’aime. Vincent est venu jouer de la guitare sur une ou deux tounes, et maintenant, c’est lui qui porte la trame électronique sur ses épaules en show. On a développé une complicité et, peu à peu, il outrepasse les idées de Philippe. De mon côté, j’apprends tranquillement comment toute cette création électronique fonctionne, mais j’en suis encore au stade des essais. Comme beaucoup de gens, j’ai découvert Nils Frahm (NDLR : musicien électronique allemand) dans les dernières années, et ça m’a complètement fasciné. Le mélange d’instruments acoustiques et de pulsations électroniques, c’était sur mon bucket list depuis un bout.

Ça commence à faire beaucoup d’éléments cochés sur votre bucket list en un seul spectacle!

Une couple, oui! Et ça va ouvrir la porte à une nouvelle liste de choses que je veux essayer. J’ai encore beaucoup d’amour pour mon Flybin Band habituel, pour ma complicité avec Rick Haworth et Mario Légaré. C’est certain qu’on va refaire de quoi ensemble, mais là, y’a plein de portes qui s’ouvrent à moi. Reste que, pour l’instant, je pense pas trop à tout ça. Mon but, c’est seulement d’être assez en santé pour aller au bout de cette tournée-là.

Michel Rivard à La Licorne   crédit : LePetitRusse

D’ailleurs, votre calendrier est très chargé. Vous avez des dates jusqu’en avril 2020. Avez-vous un peu le vertige?

Maintenant que j’ai fait La Licorne, le vertige est moins pire. Mais avant ça, j’étais un peu stressé par le buzz qu’il y avait autour du show. Avant même ma première, j’avais déjà des salles pleines et j’avais plus de 70 shows de bookés. J’me disais : «D’un coup que c’pas bon!» Mais en fin de compte, les gens ont bien aimé ça, et là, le vertige a laissé place à la fébrilité. J’aime faire le show et trouver constamment des nouvelles nuances dans mon interprétation.

Vous attendiez-vous à une réaction aussi unanime de la part du public?

Je suis absolument ravi de ce qui se passe. J’ai senti que les gens connectaient avec ce que je disais et qu’ils n’avaient pas peur d’afficher leurs émotions. J’ai eu des témoignages qui m’ont bouleversé. Je suis pas un thérapeute, mais que des gens viennent me dire que mon spectacle les a amenés à se pencher sur certains aspects de leur vie, ça m’a touché. À ce moment-là, j’ai l’impression de faire œuvre utile. Il n’y a rien qui me fait plus plaisir que quelqu’un qui m’arrête dans la rue pour me dire qu’au courant de sa vie, l’une de mes chansons l’a aidé à reprendre du mieux.

Considérant le côté très intime de vos confidences, est-ce qu’il y a des soirs où c’est plus difficile de jouer?

C’est de la technique d’acteur tout simplement. Le défi est d’être vrai dans mon émotion, mais d’être capable de la retenir aussi… car, sinon, il n’y en a juste pas, de spectacle! Il y a quelques années, j’ai joué au théâtre dans Variations énigmatiques avec le monumental Guy Nadon. Tous les soirs, il allait au bout de son émotion, et je croyais qu’il allait s’effondrer tellement que l’intensité de son jeu était forte. Humblement, j’essaie de m’inspirer de lui maintenant.

Sur scène, ça vous arrive d’imaginer la réaction de vos parents s’ils étaient dans l’assistance?

Oui… C’est sûr que c’est une pensée qui m’occupe constamment. Je ne suis pas quelqu’un de mystique ou de croyant dans la vie, mais à ma façon, j’ai l’impression d’honorer leur mémoire avec ce spectacle-là. C’est un peu ma manière de leur dire : «Regardez… J’ai tout fait ça pour essayer de vous comprendre!»

L’origine de mes espèces
Le 14 mai à la Salle André-Mathieu (Laval)
Du 28 au 30 novembre et du 3 au 7 décembre au Théâtre Jean-Duceppe (Montréal)
les 3 et 4 avril au Grand Théâtre (Québec)
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