Dear Criminals
Musique

Dear Criminals

Reconnu pour ses mises en scène innovantes, grandioses et/ou excentriques, le trio électro-folk Dear Criminals y va avec modération et sobriété pour son concert unique au Gesù. L’occasion parfaite pour se recentrer sur la musique avant de reprendre le large vers d’autres horizons.

Quand on arrive au Treatment Room, studio du boulevard Saint-Laurent situé aux confins du Mile Ex, Frannie Holder est en studio avec le preneur de son Ghyslain-Luc Lavigne. D’ici son départ dans une heure, elle doit finir d’enregistrer ses voix en vue du prochain spectacle de la chorégraphe Hélène Blackburn, Suites ténébreuses.

En attendant, on s’assoit avec Vincent Legault et Charles Lavoie qui, eux, semblent plus disponibles. «On doit finir les sessions au plus vite, car la semaine prochaine, on commence à mixer», indique ce dernier, l’air détendu. Prévu pour octobre à Montréal, et avril 2020 à Paris et Reims, ce quintette de danse contemporaine est destiné à un public de tous âges. «C’est un spectacle court et très dynamique, poursuit-il. Les tableaux s’enchaînent vite, donc ça permet de garder l’attention des enfants. Mais c’est pas enfantin pour autant, l’univers reste assez sombre. Ça parle de monstres, des peurs de notre enfance.»

L’univers est en phase avec celui de Lullaby, huitième et plus récent EP du trio paru il y a un peu plus d’un an. Beaucoup plus épuré que son prédécesseur, le complexe et ombrageux Fatale, ce mini-album est une suite de berceuses atmosphériques. «Hélène Blackburn a beaucoup accroché à ça. C’est minimaliste, un peu hanté, et ça accompagne bien le mouvement», explique Vincent Legault. «Elle a travaillé sa chorégraphie avec d’anciennes chansons de notre répertoire et nous a donné carte blanche. Une vraie carte blanche, pas une carte grise.»

«Tout ce qu’on lui a soumis a marché. C’est un projet qui fait du bien. Certains sont plus ardus, mais lui, il coule», ajoute Lavoie.

Dans tous les cas, Dear Criminals s’en sort toujours assez bien. Ayant collaboré avec des artistes de tous les horizons, de la danse contemporaine jusqu’au théâtre en passant par le cinéma, l’art numérique, la télévision et l’opéra, le trio a habitué son public à des mises en scène audacieuses et spectaculaires dans des lieux qui le sont tout autant. De là l’idée de renverser la tendance pour son prochain concert au Gesù. «On voulait remettre la musique au centre de notre proposition», indique Frannie Holder, dorénavant libérée de ses obligations.

Bref, un retour à la formule plus épurée des Criminals, celle qui a fait leur renommée à leurs tout débuts en 2013? «Ouais… mais bon, on sera quand même 19 sur scène», nuance Holder, en riant. «On s’assure toutefois de garder ça minimal dans l’enrobage.»

C’est Vincent Legault qui a eu la tâche d’écrire les partitions pour les 14 membres de l’Orchestre philharmonique des musiciens de Montréal. Ceux-ci donneront vie aux chansons du trio, à l’instar du batteur Thomas Sauvé-Lafrance et du bassiste Jonathan Arseneau. «Le danger, c’était qu’on en beurre trop épais, donc fallait trouver le bon chemin, travailler le plus petit possible. Des fois, on se permet d’embrasser un peu plus le côté grandiose de l’orchestre, mais juste à quelques moments. L’équilibre est important.»

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Habitués de mettre leur musique au service des projets des autres, les trois camarades se font plaisir et changent leur méthode de travail cette fois. S’ils se disaient conscients qu’ils avaient «un peu délaissé Dear Criminals le groupe au profit de Dear Criminals la compagnie» à la sortie de Fatale il y a deux ans, ils ont changé le cours des choses avec brio l’an dernier. Tout compte fait, Lullaby est leur premier projet créé «from scratch» depuis Strip en 2015 – Another Picture, Nelly et Fatale étant des projets originaux, mais concoctés en partie ou en totalité pour les bienfaits d’une œuvre extérieure (respectivement le spectacle de danse Things Are Leaving Quietly, in Silence, le film Nelly et la télésérie Fatale-Station).

«Ça a rouvert une porte, une porte qu’on avait perdue de vue», explique Lavoie. «Et là, cette porte-là en a ouvert une autre, car l’univers de Lullaby a inspiré la commande d’Hélène Blackburn. Tout finit par se nourrir mutuellement.»

Et le groupe se nourrit grandement de ses expériences interdisciplinaires. «On est habitués de créer dans un moule en particulier. Notre muscle créatif est développé pour chier des tounes en un sens. Donc, quand on revient à notre création de band, on a ce même rapport-là qui reste. On a envie de dire quelque chose», explique Holder, ajoutant que Lullaby a été créé en réaction au chaotique Fatale, «comme un band-aid, un moment de consolation après la fin du monde».

photo : Jocelyn Michel  (Consulat)

«En travaillant avec d’autres formes artistiques, je me rends compte que la musique, c’est pas la discipline qui est reconnue pour intégrer le plus de réflexion», observe Legault. «Souvent, les musiciens se contentent que ça groove, que ça sonne bien, mais avec le théâtre et la danse, la quête de sens est beaucoup plus forte.»

«C’est fou, poursuit Holder. Quand on fait un show de danse, on voit les chorégraphes qui peuvent passer des heures à choisir comment la lumière va frapper tel personnage à tel moment dans la pièce. Il y a une quête de sens à chaque chose décidée. Veux, veux pas, à force de travailler avec des gens de ces milieux-là, ça nous amène à nous demander: pourquoi on fait ce bruit-là, nous? Actuellement, y a tellement de pollution sonore, tellement de musique sur Spotify. T’aimes une toune et, trois semaines après, tu t’en souviens pus. La seule façon qu’un projet musical perdure à mon avis, c’est qu’il dise quelque chose sur l’époque dans laquelle il naît, comme un album de Kendrick Lamar par exemple. Je dis pas que nous, les Dear Criminals, on est rendus là, mais y a un effort qui est fait. Après ça, ça se peut que le monde se rende pas compte de nos concepts, de nos réflexions, mais c’est pas grave. C’est important pour notre propre démarche, pour le chemin qu’on se fait dans notre tête. Si y a pas de sens à notre musique, on la sort juste pas. On veut créer quelque chose de nouveau chaque fois.»

Dear Criminals avec un orchestre de chambre
Les 9-10-11 octobre
au Gesù (Montréal)
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