LaF : Toujours plus loin
Formé de trois rappeurs (Jah Maaz, Mantisse, Bkay) et de trois producteurs (BLVDR, Bnjmn.Lloyd, Oclaz), le sextuor LaF livre Citadelle, un impressionnant premier album qui témoigne d’une approche musicale approfondie et audacieuse. Discussion avec quatre des six membres de cette formation qui a remporté l’édition 2018 des Francouvertes.
Une citadelle sert à défendre un royaume, une ville. Que cherchez-vous à défendre ici?
Mantisse: On défend notre quête, notre carrière, notre projet commun à six. La citadelle représente ce qu’on doit franchir, les murs qu’on doit briser pour aller plus loin, mais elle incarne aussi notre zone de protection, notre sécurité, la beauté de notre partage à six. À la base, on doit avouer que ça vient du jeu de société Citadelles. On a beaucoup joué à ça pendant les sessions.
Assez original! Disons que c’est plus les cartes Magic qui ont la cote ces temps-ci…
Bkay: Ouais, t’es la deuxième personne qui nous dit ça.
Mantisse: Magic, c’est vraiment plus geek. Citadelles, c’est the shit.
Le premier extrait de l’album, Tour du monde, présentait l’un des thèmes majeurs de cet album: l’évasion. Autant l’évasion comme voyage que comme fuite du quotidien par l’entremise de la musique. Qu’est-ce qui explique ce choix de thème?
Bkay: C’est l’idée de s’évader de notre pattern de citadins. On aime beaucoup la ville, on a tous grandi dans un milieu urbain, et la musique est nécessaire à notre épanouissement. Et, paradoxalement, même si Montréal traverse nos thématiques, on doit aller dans un chalet ou un studio à l’extérieur de la ville pour avoir des bonnes sessions d’enregistrement. On a beaucoup de difficulté à créer à Montréal.
BLVDR: Et c’est assez pratique, car y a pas de blondes ni de distractions autour de nous. On se permet de faire ce qu’on veut.
Où êtes-vous allés exactement?
Bkay: On a fait cinq chalets environ. Y en a eu un en Mauricie au lac Castor, un autre à Saint-Denis-de-Brompton, un autre à Laval chez le père de Mantisse… Y en a aussi eu un dans un Airbnb à Saint-Henri, mais c’est tabou ce qui s’est passé là-bas. (rires)
Mantisse: Ouais, on pourrait juste t’en parler off the record…
Au-delà de ce mystérieux chalet, comment la dynamique se déroule à six têtes? Y a des frictions parfois?
Bkay: Pour de vrai, on ne se chicane pas tant.
Mantisse: On se bave plus que d’autre chose. On est toujours en train de s’écœurer.
BLVDR: On se gêne pas pour dire ce qu’on pense.
Tout le monde a un peu son mot à dire sur ce que les autres font?
Jah Maaz: On demeure très honnêtes dans ce qu’on fait. On sait quand quelque chose ne fonctionne pas. L’interaction est primordiale.
Mantisse: Le rapport est transparent. Mais, la plupart du temps, on a pas besoin de dire quelque chose à l’autre pour arriver à un résultat concret. On se donne rarement une ligne directrice forte, mais quand on colle les trucs à la fin, ça marche.
Est-ce que vous vous imposez des thématiques précises avant de commencer à créer chacun de votre côté?
Bkay: Souvent, quelqu’un va arriver avec une esquisse ou une idée. Pour Tour du monde, c’était le champ lexical du voyage, tandis que pour Blanc, c’était un texte introspectif sur nos états d’âme, notre mal-être. Y a une première impulsion qui est donnée comme ça.
Ce qui m’épate surtout, c’est la chimie que vous avez, toi, Jah Maaz et Mantisse. Un peu comme si vous aviez appris l’un de l’autre et que vos styles assez distincts se mariaient plus naturellement.
Jah Maaz: À force de travailler ensemble à répétition, on s’interinfluence. On apprend à mieux se mélanger.
Mantisse: Les chalets ont amené plus de cohésion. L’énergie globale est centralisée. On est plus détendus, plus libres.
Et ça donne une musique beaucoup plus mélodieuse qu’avant. Mantisse n’est plus le seul à chanter.
BLVDR: C’est que les gars ont eu un petit cours de chant grâce aux Francouvertes!
Et comment ça a été?
Bkay: Je chante toujours mal! (rires)
BLVDR: C’est pour ça qu’on a acheté Auto-Tune aussi. On l’utilise de manière assez légère, pour faire du cleaning. C’est pas une utilisation esthétique.
En effet, l’esthétique de Citadelle est beaucoup plus organique que synthétique.
Mantisse: C’est vrai. L’un des premiers trucs qu’on s’est dit, c’est qu’on voulait pas de sampling sur cet album-là. On a beaucoup travaillé avec Pops (alias Clément Langlois-Légaré de Clay and Friends) pour les guitares et, à force d’essayer des trucs, on s’est découvert une autre manière de faire de la musique.
BLVDR: Y a pas de sampling de chansons, c’est vrai, mais y a du sound sampling. On est allés dans la nature enregistrer des sons. Et il faut donner beaucoup de crédit à Bnjmn.Lloyd pour l’agencement de tous ces univers sonores là. Il étudie en électroacoustique, et c’est lui qui était chargé de tout unifier l’album.
Le résultat demeure assez difficile à catégoriser d’ailleurs. Évidemment, c’est un album rap, mais les influences sont très diverses. On y retrouve autant des touches d’ambient que de soul et de trap. Quel était le mot d’ordre du côté des producteurs?
BLVDR: À la base, je suis un DJ électronique, assez orienté vers la musique house. On a exploité ce filon-là sur Hôtel délices l’an dernier, donc là, on voulait se permettre d’aller ailleurs. Je me suis autant laissé aller dans mes influences afrobeats et orientales que drone. Je suis pas mal le gars branché world music dans le groupe. Bnjmn, lui, c’est le nerd, tandis qu’Oclaz, c’est le stoner, le côté laid back de notre musique.
Avez-vous des rôles aussi stéréotypés du côté des rappeurs?
BLVDR: Non! Ce sont tous des stoners. (rires)
Mantisse: Pour vrai, moi, j’écoute beaucoup de rock psychédélique et d’indie rock montréalais. Je crois pas que ça a un impact direct sur mon rap ou sur mon phrasé par contre.
On le sent peut-être dans ton écriture, qui se rapproche davantage des codes de la poésie que de ceux du rap québécois?
Mantisse: Peut-être. Chose certaine, je suis plus en contrôle que jamais de mon écriture. Avant, j’utilisais le franglais comme une béquille. Je faisais du rap comme ça, car je savais pas qu’on pouvait faire autrement. Là, j’ai un peu l’impression que c’est un effet de mode qui est passé.
Bkay: Je suis pas d’accord. Alaclair vient de sortir l’un des meilleurs albums des dernières années, et c’est en franglais.
Mais d’une certaine façon, c’est vrai que les nouveaux venus sur la scène ont moins tendance à reprendre les codes du franglais de façon aussi prononcée qu’il y a cinq ou six ans…
Mantisse: Ouais, on utilise le franglais de manière différente. C’est pas comme Dead Obies qui voyait ça comme un statement.
Est-ce que votre expérience aux Francouvertes a revitalisé votre approche artistique?
Mantisse: Oui. Le fait de rencontrer beaucoup de gens, autant des artistes et des médias que des gens de l’industrie, ça nous a fait réaliser plein de choses. On est toujours très soudés avec notre communauté rap, mais on réalise qu’on appartient à autre chose que ça. Ça ouvre nos horizons.
BLVDR: De voir des musiciens aussi talentueux durant le concours, ça nous a donné envie de nous dépasser. Le rap, c’est pus juste des emcees avec des mics sur un stage. Y a un travail plus poussé en arrière.
Le concours a eu une influence directe sur votre carrière, car c’est grâce à lui que vous avez eu votre contrat avec Disques 7ième Ciel. Comment l’alliance s’est-elle déroulée?
Bkay: On a reçu un énorme chèque de leur part pendant les Francouvertes! (rires) Non, mais pour vrai, ça s’est fait super naturellement. Steve avait entendu Jello et il nous a envoyé un message sur Facebook.
Mantisse: LaF voulait signer, ça, c’est certain. On a eu des offres à gauche, à droite, mais on avait de la difficulté à définir ce qu’on voulait. À travers ça, 7ième Ciel nous apparaissait comme la meilleure option, car ils avaient un intérêt très grand pour notre musique. C’était pas juste une question de business.
Bkay: On y a pensé longtemps quand même. Les apprentissages ont été assez nombreux dans la dernière année.
Comme quoi?
Bkay: Comme signer un contrat par exemple. On avait aucune idée de comment ça marchait, que ça nous prenait un avocat… Pour vrai, j’ai eu l’équivalent d’une session d’université en apprenant les rouages de l’industrie de la musique dans la dernière année. On s’est inscrits à la SOCAN, à la SODRAC, à Artisti… On a compris comment faire de l’argent avec la musique.
Et, maintenant, vous êtes à temps plein sur la musique?
Mantisse: On vit relativement du rap, oui.
BLVDR: Et ce qu’on aime, c’est qu’il y a pas de routine, pas d’horaire 9 à 5. Chaque jour est unique.
Mantisse: Et, déjà, on est en train de penser à la prochaine étape. On sort l’album, mais on veut tout de suite repartir dans un chalet pour enregistrer. On veut toujours pousser le projet plus loin.
En spectacle au Club Soda le 14 mars