Il y a 10 ans : Marie-Pierre Arthur – Marie-Pierre Arthur
Publiée sur une base régulière, cette chronique vise à souligner l’anniversaire d’un album marquant de la scène locale.
Créé en étroite collaboration avec François Lafontaine et Louis-Jean Cormier, le premier album de Marie-Pierre Arthur a annoncé la vague indie folk francophone des années 2010. En cette année qui marque son 10e anniversaire, on revient sur sa genèse et son impact, en compagnie de l’autrice-compositrice-interprète.
Née à Grande-Vallée en 1978, Marie-Pierre Fournier (alias Marie-Pierre Arthur) grandit dans une famille de musiciens : sa mère et son père jouent dans les bars, l’un de ses frères est sonorisateur, et l’autre est claviériste et directeur musical. Dès le début de l’adolescence, sa mère l’initie au monde du spectacle. Moins populaire, la basse est le choix logique pour la jeune artiste, qui doit faire sa place dans un univers où «tous les gars voulaient faire des solos de guitare».
«Ma mère avait parti un band à tous ces enfants. Elle avait en sa possession tout le gear d’instruments et d’équipements de scène. Elle nous le fournissait, et on lui payait la location avec l’argent qu’on se faisait durant nos gigs. En quelque sorte, elle nous apprenait à être des entrepreneurs, en plus de gérer nos répétitions. Mais à un moment donné, elle s’est tannée de gérer tout ça. C’est un de mes frères qui a pris le relais. Il a été un vrai mentor pour moi.»
Avec son groupe, la jeune musicienne se promène de bar en bar la fin de semaine pour interpréter des grands succès de l’époque. «Franchement, ça a été une super école. Je me rappelle que je devais me devais me cacher dans les cuisines entre les sets, car je n’étais pas majeure!»
À l’âge de 16 ans, elle quitte sa région natale pour venir étudier à Montréal et délaisse momentanément la pratique de son instrument de prédilection. «Quand j’ai rencontré des musiciens qui pratiquaient intensément la basse et qui jouaient vite, j’ai trouvé ça vraiment impressionnant. Et, d’une certaine façon, je me sentais dépassée. Je comprenais pas la virtuosité de l’instrument. Dans ma tête, une basse, ça servait juste à accompagner une madame qui chante du country. J’avais aucun intérêt pour l’athlétisme musical! J’ai tout arrêté pour me concentrer sur le chant. J’avais pas de plan précis, mais j’avais de l’instinct.»
Étudiante en chant jazz au cégep de Saint-Laurent, elle s’intègre à un milieu artistique foisonnant, où elle rencontre notamment Ariane Moffatt et Catherine Major (toutes deux de sa cohorte), en plus de renouer avec Louis-Jean Cormier, qu’elle avait déjà côtoyée durant son enfance en Gaspésie. Cette étape sera cruciale pour donner un élan à sa carrière quelques années plus tard.
Elle poursuit ses études à l’Université de Montréal au tournant du millénaire, en plus d’enseigner le chant jazz au cégep. En parallèle à ces occupations, elle reprend sa basse et prend la scène aux côtés du duo Béluga en 2004. «C’est Louis-Jean Cormier qui réalisait leur album et il a proposé mes services comme bassiste et choriste. C’est là que j’ai rencontré Frank (François Lafontaine, le claviériste de Karkwa et son futur conjoint), qui était lui aussi dans le backing band. On peut parler d’une rencontre déterminante.»
De plus en plus en demande, Marie-Pierre Arthur accompagne plusieurs artistes durant cette période clé de son parcours, notamment Kevin Parent, Michel Faubert, Mara Tremblay, Ariane Moffatt et Karkwa. C’est d’ailleurs en côtoyant davantage Louis-Jean Cormier qu’elle réalise peu à peu son potentiel. «Louis-Jean et moi, on se partageait plein de musique, surtout des trucs comme Gillian Welch avec des fonds de folk roots. C’est pas mal là que je me suis dit : ‘’Ha ok, je pense que je veux chanter!’’»
Nait alors la formation Marie et les marchands d’armes, composée des deux amis de longue date ainsi que de François Lafontaine, Robbie Kuster (Patrick Watson) et Olivier Langevin (Galaxie). «On a jamais compris pourquoi on avait appelé ça de même. Y’a rien de beau là-dedans», avoue-t-elle, en riant. «On écoutait tous la même musique, genre de l’indie folk comme Sufjan Stevens. On avait aussi une attirance pour le western rock. Ça donnait quelque chose de très brut sur scène. Et, sincèrement, je sais pas si je vais revivre quelque chose d’aussi fort que ça. Ça a été un gros coup de cœur.»
La formation donne plusieurs spectacles en 2007 et 2008, notamment au Verre bouteille, à Montréal. «On faisait des covers, qu’on défaisait en marde. Y’avait pus rien qui ressemblait à la toune de base, sauf le texte. C’est pas vraiment original quand on pense à ça en 2019, car Safia Nolin et Les sœurs Boulay l’ont fait elles aussi, mais c’est pas quelque chose qui se faisait beaucoup à l’époque. C’est de là que vient la reprise de Qui sait de Daniel Lavoie, qu’on a intégrée à l’album.»
L’horaire très chargé de ces amis musiciens vient toutefois compliquer les choses. «Tout le monde était dans le jus, mais moi, j’étais vraiment dépendante affective de ce band-là. Je savais que le buzz était momentané et que le projet allait pas durer 10 ans, mais je voulais absolument qu’on rejoue ensemble, qu’on refasse de la musique tous les cinq. C’est pour ça que je voulais faire un album. Je voulais tous les retrouver une autre fois.»
Balbutiements et évolution rapide
Grâce à sa chimie avec François Lafontaine, avec qui elle partage un appartement, Marie-Pierre Arthur démarre rapidement le projet. À sa grande surprise, ses premières chansons ne s’inscrivent pas dans le même genre que préconisait sa formation. «Pour moi, le plus facile, c’est d’interpréter du country intimiste et mélancolique, mais pour une raison que j’ignore, c’est pas ça qui sort quand je crée. Ça a donné un disque qui, mis à part des exceptions comme Tout ça pour ça ou Ma tête à off, ne ressemblait pas vraiment à notre band. Tout ce qui restait, c’était la grande puff d’intensité de notre playing.»
Lafontaine et Arthur composent chacun de leur côté. «C’est plus ou moins facile de co-composer avec Frank, donc il y avait ses bouts à lui pis mes bouts à moi. Et après ça, on faisait les arrangements ensemble. Tout a été créé d’un bout à l’autre, avant d’entrer en studio.»
Pourquoi est un bon exemple de ce processus d’écriture. «On peut dire que Frank a fait le trois-quarts et moi le quart. J’ai une image super claire de nous à l’appartement en train de pratiquer ça. Je m’étais mise à la contrebasse. C’est un instrument qui nécessite beaucoup de discipline pour qu’il sonne bien, ce que j’avais pas nécessairement, mais dans un appartement, c’est trippant, car t’as pas besoin d’ampli. J’ai parti un rythme avec ça, et lui, il a collé ses bouts, notamment la mélodie du refrain. Maintenant, ça pourrait ressembler au genre de mélodies que je compose, mais à l’époque, on se ressemblait pas vraiment dans nos idées. Depuis, on s’est vraiment joué dans la tête, et notre son s’est rejoint.»
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Influencée par la vibrante scène indie montréalaise de l’époque (notamment Patrick Watson, Arcade Fire et Martha Wainwright), Arthur compose des pièces folk aux teintes planantes et rêveuses (Elle, Entre nous). «C’était une époque musicale tellement loud et effervescente. Je me sentais vraiment inspirée par ce qui se passait autour de moi. C’était unique.»
Signant à lui seul quatre chansons de l’album (Déposer les armes, Droit devant, Pas le courage, Sans mémoire), Lafontaine amène sa touche particulière, notamment caractérisée par un jeu de piano aérien et virtuose. Les ressemblances avec Karkwa sont parfois fortes. «C’est sûr qu’on se rend compte que ça vient de la même famille, car veux, veux pas, ça sort du même gars. À ce moment-là, Frank avait développé son style, et tu pouvais le repérer. Reste que, si y’en a un qui levait le flag pour dire que ça ressemblait trop à Karkwa, on se tassait de là. À la batterie, Robbie nous emmenait carrément ailleurs, et moi aussi, au chant. Je suis loin d’avoir le même timbre que Louis-Jean.»
Une fois les compositions bien entamées, la Gaspésienne demande l’aide de son amie Gaële Tavernier (autrice-compositrice-interprète qui venait tout juste sortir son premier album Cockpit) pour l’écriture des textes. Les rencontres entre les deux artistes se déroulent principalement au Café Lézard sur la promenade Masson, à Montréal. Le travail se fait dans la collaboration la plus totale, mais le pari est loin d’être gagné d’avance. «J’avais déjà des airs en tête, ce qui était super restreignant pour Gaëlle, qui pouvait pas partir comme elle le voulait dans sa bulle. Moi, ce sont les mélodies qui m’amènent à chanter, donc souvent, je lui arrivais avec des sons ou des mots précis à insérer dans le texte. Peut-être que c’est une forme d’insécurité de ma part, mais même encore aujourd’hui, j’ai de la difficulté à fonctionner d’une autre manière.»
Déposer les armes est la première chanson à prendre forme. «C’est l’histoire de quelqu’un qui est couchée à côté de son amoureux, mais qui n’est plus amoureuse. Elle attend juste qu’il se réveille pour lui dire qu’elle va s’en aller. Tu sens le côté latent du manque d’action et la lourdeur de toute la situation. Ça a pas été une chanson facile à écrire, notamment parce que j’avais jamais vraiment écrit de chanson et que j’étais super picky sur les mots. Mais au moment où on l’a enfin terminée, c’est là que j’me suis dit: ‘’OK, ça va se pouvoir, cet album-là!’’ J’avais mis le doigt sur ce que c’est devenu.»
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Avec son amie, Arthur écrit des textes sensibles et émotifs, s’inscrivant rarement dans un récit anecdotique – sauf, peut-être, Elle, seule chanson uniquement écrite par Gaële et, par conséquent, «pas mal la seule toune positive de l’album». Les thèmes de la contemplation et de l’insécurité sont au cœur de ce premier album. «C’est un album qui parle que je suis dans la lune et que j’ai de la misère à me mobiliser. Ça parle de la douleur de ne pas être capable de faire de quoi», explique l’artiste, citant les chansons Droit devant, Pourquoi et Ma tête à off. «J’étais contente d’être en train de faire un album, mais en même temps, j’avais peur de l’échec. Y’a aussi le complexe du manque d’ambition à travers ça, la dualité entre me laisser porter par les projets des autres et porter ma vie sur mes épaules à moi. C’est exactement là où j’en étais dans ma vie. J’étais terriblement angoissée par l’idée de pas me rendre jusqu’au bout du projet. Heureusement, je pouvais m’accoter sur Frank. Lui, il la connaissait, la loop de se rendre jusqu’au bout de quelque chose.»
La chanteuse enregistre un démo guitare-voix, qui trouve écho auprès de Sandy Boutin, alors gérant de Karkwa. «J’avais enregistré ça chez nous par p’tits bouts. C’était super vedge! J’ai envoyé ça à une couple de personnes, dont Sandy, qui a poussé ça chez Bonsound. Il leur a dit quelque chose comme : ‘’C’est pas un gros risque de la signer pour cet album-là. Je sais ce qui s’en vient et, croyez-moi, vous allez être contents!’’ Bref, il a bizouné toute la patente pour moi.»
À la fin de l’été 2008, Arthur, Kuster, Langevin, Lafontaine et Cormier (qui signe d’ailleurs la chanson Le vent m’appelle par mon prénom avec Michel Rivard) entrent au studio Ouïe-Dire en Estrie. Les musiciens Guido del Fabbro et Mélanie Auclair ainsi que le mixeur Pierre Girard viendront leur prêter main-forte. «C’était vraiment l’fun de tous se retrouver. Personne n’avait de grandes obligations, donc y’avait une belle ambiance. Et, surtout, on était prêts. Tous les arrangements avaient été créés en amont. Y’a eu quelques doutes, quelques pépins, mais rien de très grave. Faut comprendre que c’est la première fois que je réalisais que je chantais mes chansons. Je les avais pas faites en show avant. Je devais trouver le vibe de chacune d’entre elles, le phrasing, le bon ton. C’est vraiment en m’installant en studio que j’ai compris comment je chantais. Y’a fallu que j’me débarrasse de certains automatismes liés à mon parcours universitaire. Fallait pas que je sonne comme quelqu’un ou que je grossisse ma voix. Au contraire, je devais trouver une façon de chanter qui ressemble à ma voix parlée.»
Encore une fois, c’est Déposer les armes qui donne le ton. «J’ai fait le saut quand j’ai entendu les premières takes. Tu vois que j’avais encore des cochonneries de mon parcours académique dans ma voix. J’ai travaillé très fort pour évacuer ça et, quand même, ça donne peut-être la chanson la plus vocale de l’album Je me promène vraiment dans le top, dans les aiguës.»
Marie-Pierre Arthur paraît le 24 février 2009 sous Bonsound. Le premier extrait Pourquoi permet à l’album d’obtenir un certain engouement à la grandeur du Québec. «Le single a super bien marché d’un coup. L’affaire, c’est que c’était la seule chanson folk plus pétillante de l’album. Le reste était vraiment différent et fittait moins avec la radio. On l’a vu par la suite avec Droit devant, le deuxième extrait. Ça a pas mal moins joué sur les ondes commerciales.»
L’album reçoit un très bel accueil critique. «Marie-Pierre Arthur se révèle tel un trésor caché sur ce premier album», indique notre collaborateur Olivier Robillard Laveaux dans une très bonne critique. «J’ai été super heureuse de la réception de l’album, car j’ai pas été étiquetée trop pop ni trop champ gauche. Tout ça s’est mélangé, et j’en suis très fière. Par contre, à l’époque, j’peux avouer que j’étais difficile à satisfaire. J’étais entourée de gens pour qui ça marchait super bien, qui n’avaient jamais vraiment connu de flops. Ça me mettait un peu de pression.»
À l’automne, Marie-Pierre Arthur est nommée à trois reprises au Gala de l’ADISQ : révélation, album folk contemporain et chanson populaire de l’année (Pourquoi). Elle est défaite dans les trois cas, respectivement devant Coeur de Pirate, Mes Aïeux et Ginette Reno. «Mais ça m’a rendue fière, dit-elle. La révélation de l’année, elle s’est surtout faite de mon côté. Le chemin avait été long, mais j’avais enfin accepter ce que j’étais devenue.»
La tournée de l’artiste bat son plein partout en province pendant plusieurs mois, ce qui lui vaut une nomination dans la catégorie du spectacle de l’année – auteur-compositeur-interprète l’année suivante. «C’est là que l’album a vraiment pris son sens et son envol. J’aurais pu faire un été de shows de plus, mais je suis tombée enceinte. Osheaga a été la seule exception. Ça me tentait trop!»
Dans les années qui suivent, une vague indie folk francophone déferle sur le Québec, notamment incarnée par les succès de Jimmy Hunt, Salomé Leclerc, Les soeurs Boulay et Safia Nolin. Sans avoir été directement à la source de cette tendance, le premier album de Marie-Pierre Arthur en a certainement été l’un des précurseurs.
Dix ans et quelques mois après sa sortie, la principale intéressée demeure fascinée par ce qu’il représente. «Quand je le réécoute, oui, j’entends l’époque. J’entends aussi ma filiation forte avec Karkwa… Mais j’entends aussi le début de tous mes réflexes artistiques. Pour moi, c’est un punch vraiment intense sur une époque charnière de ma vie. C’est un voyage dans le temps très puissant. Y’a pas une photo qui peut me ramener plus intensément à ce moment-là.»
Marie-Pierre Arthur
en vente sur Bandcamp
Le 14 février
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Le 14 mars
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