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Louise Bourgeois (encore)

Depuis sa mort, lundi 31 mai, à l’âge de 98 ans, les hommages se multiplient.
Mais dire que Louise Bourgeois était une artiste exceptionnelle est une évidence, une banalité. Comme critique d'art, dire que je sais que son travail est un des meilleurs de notre époque n’est pas non plus assez.
Elle a fait une œuvre dérangeante qui défie les effets de mode, les engouements plus ou moins éphémères, la joliesse réconfortante.
Bourgeois fut longtemps méprisée par le marché de l’art (et en a souffert) et a continué à produire dans son grenier ou son sous-sol. Elle fut ignorée par les institutions du milieu de l’art et a continué à travailler. Elle eut du succès auprès d’artistes comme Mapplethorpe (qui fit son portrait en 1982) ou des Guerrilla Girls (qui se battirent pour qu’elle participe à une expo de sculptures du Guggenheim SoHo en 1992), et elle a encore continué à créer des pièces troublantes. Puis, après 70 ans, finalement, elle reçut finalement la reconnaissance du marché et des institutions… Et elle a continué, encore et toujours, à faire ses oeuvres utilisant comme matériau sa mémoire tourmentée. Bourgeois s’est battue avant tout avec elle-même. Chez elle (comme chez la majorité des artistes intelligents), l’art est toujours énoncé comme une nécessité pour survivre. Elle fut bien loin de ce milieu de l’art consommant à la jeunesse (elle qui a fait ses meilleures œuvres après 60 ans), à la nouveauté et au décoratif.
Parmi ses plus extraordinaires œuvres, il y a bien sûr ses cellules angoissantes, ses araignées à la fois étouffantes et protectrices… Mais il ne faudrait pas oublier son intervention dans l’ancienne salle des turbines de la Tate Modern, investie par elle pour la première fois en 2000, avec une œuvre pas seulement monumentale (3 tours de 9 mètres de haut), mais surtout intelligente. Intitulée I do, I Undo, I Redo, elle traitait des liens entre les êtres et de la nécessité de recréer le passé, de retisser autrement ce qui s’est effiloché. Elle qui, pour ses parents, s’activait à restaurer des tapisseries, elle a travaillé, toute sa vie, à réparer sa vie abimée et à nous faire réfléchir aux moyens de réparer nos propres existences.
Cela va sembler étrange et trop personnel comme commentaire (mais qui veut que la critique soit dépersonnalisée?), mais je me dois de dire comment l’œuvre de Louise Bourgeois m’a permis d’avoir des conversations passionnées avec des amis, comment ses pièces furent les intermédiaires de rencontres intellectuelles et artistiques importantes… Je me dois d’ajouter comment son oeuvre m’a aussi permis de me consoler quand dans ma vie la douleur était trop grande. Et je crois que si son œuvre est si importante, si profondément touchante, c’est que justement elle met en scène cette possibilité de survivre et de grandir à travers le malheur, la nostalgie du bonheur, l’incapacité de faire totalement la paix avec le passé.