Non, malgré la légende urbaine, Walter Elias Disney ne fut pas congelé (totalement ou même en partie) et ne ressuscitera donc pas dans quelques décennies ou quelques siècles quand le surgelé sera à nouveau à la mode… Il est bel et bien mort. Et toute la culture proprette du réconfort à laquelle il a participé, que sa compagnie a développée et qu’elle nous revend à prix d’or dans des t-shirts ou jouets pour enfants faits dans des pays pauvres par de la main-d’œuvre exploitée au tarif de 25 cents de l’heure, cette culture ne nous sauvera pas non plus de la mort, de la maladie, de la pauvreté, de l’écart croissant qui se creuse entre les richissimes et les pauvres, de la médiocrité de la grande majorité de nos dirigeants actuels et de la cupidité dégoûtante des dirigeants de nos multinationales ou des plus petites compagnies pour qui le profit est la seule valeur…
Je ne vous ferai pas pour autant le coup de la décadence et de la perte des valeurs. Voilà un discours de droite auquel je n’adhère pas. La glorification de l’argent, la disneyfication de la culture et de toutes les formes de représentations de (et dans) nos sociétés ne sont pas des situations nouvelles. Le phénomène de marchandisation et d’instrumentalisation de l’œuvre d’art qui accompagne cette disneyfication est lui aussi une structure totalement récurrente.
L’histoire de l’art est pleine de ces luttes pour s’affranchir de sa récupération par les pouvoirs politique, religieux, économique qui tentent d’en faire un simple outil pour ces pouvoirs. Depuis les romantiques, cette lutte avait pris de l’ampleur et semblait aller du côté de la liberté critique des artistes. La Modernité a semblé incarner cette autonomie du champ des arts par rapport aux modèles de représentations dominantes. Depuis les années 60 et une bonne partie du Pop Art, phénomène qui s’est accentué avec les années 80, une certaine postmodernité mercantile et réconfortante semble avoir pris d’assaut le milieu des arts.
L’expo La vie en pop, qui s’achève ces jours-ci au Musée des beaux-arts d’Ottawa, n’offre malheureusement pas beaucoup de critiques de cette situation. Elle semble au contraire offrir une forme de glorification à cet état de fait. Les œuvres médiocres et bonbons de Takashi Murakami, de Jeff Koons côtoient celles de Damien Hirst. Les prix astronomiques de ces « œuvres », qui font parler et qui sont commentées par la grande majorité des revues non-spécialisées ET spécialisées, nous montrent comment le milieu de l’art est soumis au marché de l’art et à la spéculation.
Pourtant, cette expo augurait bien. En plaçant en exergue une phrase très polémique de Warhol (« Faire de bonnes affaires est le meilleur art qui soit »), le musée d’Ottawa nous laissait espérer au déploiement d’un regard critique sur le phénomène de marchandisation extrême de l’art. J’ai plus eu le sentiment d’une glorification d’un tel phénomène, malgré la présence des quelques artistes (très minoritaires) critiquant cela: Cosey Fanny Tutti et Andrea Fraser qui font des liens entre marché de l’art et prostitution.
Malgré cela, cette expo contient une leçon importante à propos de la notion d’artistes, sur l’éclatement de l’unité de son travail. Dans un système capitaliste, la notion d’artiste est bien sûr une manière de réitérer la notion de marque, une façon d’uniformiser le produit vendu… Pourtant, la réalité de la création est tout autre. Warhol a eu plusieurs types d’œuvres. Il y a eu ces portraits commerciaux et insipides qu’il vendait 50000 dollars pièces et dont il s’occupait peu de la réalisation. Mais il y a aussi réalisé des films plus dérangeants. Koons a créé des œuvres troublantes avec la vedette de la porno et députée italienne, la Cicciolina mais aussi des œuvres insipides, copies de jouets pour collectionneurs enfantins.
Cette expo m’a rappelé l’art académique du 19e siècle qui se vendait une fortune. Meissonnier et Bouguereau valaient alors très cher. De nos jours, malgré un regain d’intérêt de la part du marché, qui oserait dire qu’ils sont de grands artistes ? Je parie que bien des vedettes médiatiques d’aujourd’hui ne seront pas les repères artistiques des livres d’histoire de l’art ou les modèles des artistes de demain.
Jusqu’au 19 septembre. Musée des beaux-arts d’Ottawa.
Disneyfication de la culture
Nicolas Mavrikakis
Je trouve très pertinent de rapprocher les efforts de Disney à ce qui a été dégagé par l’expo au MBAC. Pour avoir travaillé pendant quelques années dans l’industrie du dessins animées, je trouve qu’il n’y a pas meilleure image.
Je croyais que le Pop Art était surtout à propos de la critiquer et de exagération le penchant mercantile dans l’art. Or, c’est tout l’inverse que j’ai perçu en visitant « La Vie en Pop ». Ça m’a rappelé cette histoire où, à la fin, les cochons et les hommes se chamaillent pour finir qu’à se ressembler…
J’aimerais finalement proposer une citation, que j’ai retrouvée à mon retour. Elle va, en quelque sorte, à l’opposé de celle que vous rapportez d’Andy Warhol. C’est Edvard Munch qui a dit: « Ce qui corrompt l’art moderne, ce sont les affaires, le désir que les tableaux fassent bien sur le mur… Ils ne sont pas peints en fonction d’eux-mêmes…[ils ne sont pas peints] pour raconter une histoire. […] ».
Merci M. Mavrikakis pour votre dernier billet.
Bien moi j’ai trouvé que Pop Life était une rare exposition ambitieuse présentée dans ce pays. Il était temps qu’on voit du Hirst au Canada!
Vous sous-estimer la pertinence du travail de Jeff Koons, comme beaucoup trop de critiques d’ailleurs. Le petit lapin était une tentative de réconcilier les « poncifs » de la fin de l’avant-garde (minimalisme (Judd), ready-made, et art conceptuel) tout en jetant un clin d’oeil à une notion
ancienne du « bibelot », du bel objet (rappel à l’essentialisme de Brancusi). Il y a une vascillation constante entre kitsch et sublime dans son travail (l’oeuvre parfaite, mystique, qui réflète son univers, et l’oeuvre banale ou abject qui le déforme et s’en moque). Le fait de faire un monument d’un objet anodin et fragile impose la question: mais pourquoi la banalité? Et si le lapin était une oeuvre religieuse? Même son oeuvre porno (la plus médiocre période de son travail) se voulait un dialogue avec Dieu. Koons ne s’intéresse d’ailleurs pas à la « pop » mais aux archétypes de l’enfance contemporaine, avec lesquels notre langage et notre culture se développent (un coeur de st-valentin est un tel archetype, tout le monde reconnait ce symbole sans vraiment connaitre sa provenance. Le chien-ballon est une image qui nous est façonnée très tôt lors de nos fêtes d’enfant.). Koons critique parfois le marché de l’art (des oeufs brisés), et cela bien avant Damien Hirst, qui n’a fait qu’ajouter le propos de la mort à cette critique (et avec tellement de redondance!).
Je crois tout de même que Pop Life, et surtout, la vente aux enchères de Hirst et l’expo à versailles de Koons sont des événements qui vont clouer une ère du post-conceptuel, où l’artiste a tenté de renouer avec une idée de l’oeuvre muséale (pédestal, sculpture de luxe, curios, mobilier, etc..), tout en tentant de concilier les leçons de l’art conceptuel (« art se regardant être art »).
Pour Murakami, le choix des oeuvres était affreux. Il faut voir ses grands tableaux pour comprendre qu’il y a un artiste quelque part derrière ce fla-fla de petits jouets japonais. Son expo à Brooklyn, ce n’était pas pour tous les goûts, mais il y avait là des démonstrations assez éclatées d’un véritable élan artistique. Ce n’est pas à travers une mascotte de Kanye West que vous verrez cela.
Beaucoup d’art dans Pop Life doivent autant à Fluxus (ou à Beuys, aka Kippenberger) qu’à Warhol, alors l’angle Pop est réducteur. Il s’agissait d’expliquer comment les artistes ont joint les philosophies warholiennes et beusyennes dans l’art des 40 dernières années. Cette tension entre « je ne veux pas être une oeuvre esthétique superficielle », et « mais je veux être dans un musée et qu’on me regarde ».
Coulis-coulas,
Cedric