L’expo était présentée à New York (au Whitney Museum) depuis novembre. Et elle s’est achevée le 29 janvier. Néanmoins, il est intéressant de revenir sur ce qui fut presque un non-événement et qui aurait pu être une expo très polémique. L’expo Mayhem de Sherrie Levine pose de nombreuses questions. Cette artiste, depuis la fin des années 70, fut souvent très contestataire en s’appropriant, en reproduisant « tout simplement » des œuvres d’autres artistes. Comme quelques autres, comme Richard Prince qui s’est approprié la célèbre pub du cowboy de Malboro, Levine a contesté la notion d’auteur et le droit d’auteur tel qu’il est géré de nos jours. Malheureusement, cette expo semble l’avoir presque privée de son aspect le plus fort.
Il ne s’agissait pas d’une rétrospective. Il y manquait plusieurs pièces majeures, qui ont fait la réputation de Levine et qui sont très dérangeantes. Le Whitney a pourtant présenté la chose comme le « premier grand survol du travail de l’artiste ». Étonnante situation que celle-ci, qui fait qu’une artiste aussi importante n’ait pas eu un tel hommage auparavant. Encore plus étrange que le Whitney ait fait les choses à moitié et ne lui ait consacré qu’un seul étage de son immeuble en tronquant son corpus de bon nombre de pièces. Presque sage était cette expo dont le titre était pourtant Mayhem, mot qui peut se traduire par « mutilation » et qui peut aussi évoquer la notion juridique de voies de fait… Où sont les séries d’après Egon Schiele, Franz Marc, Van Gogh, Rodtchenko ? Le musée aurait dû opter pour un accrochage plus serré avec beaucoup plus d’œuvres afin de montrer comment Levine s’est attaqué à tous. On a ici opté pour un accrochage classique, moderne, glorifiant chaque œuvre sur un mur blanc… Pourtant, le travail de Levine n’est pas une glorification de l’image, mais bien sa ruine. Ce qu’il y avait de génial chez Levine c’est la frénésie avec laquelle elle a copié, dévoré l’art comme une machine… Cette vampirisation de l’autre est ici tout à fait absente pour laisser place à une œuvre assagie.
Le communiqué de presse a pourtant raison, Levine a « réécrit l’histoire de l’art moderne ». On nous y explique comment elle a su nous apprendre à regarder à nouveau le travail de Brancusi, de Duchamp, de Walker Evans, d’Alfred Stieglitz… Et néanmoins bien des œuvres « refaites » de ces artistes manquaient, dont par exemple sa série d’appropriations du travail d’Edward Weston qui a et continue pourtant de choquer. La monstration du simple retirage de la photo d’Edward Weston montrant en gros plan un de ses quatre petits garçons, nu et en contrapposto, était pourtant la possibilité d’un questionnement important et d’une confrontation avec le public… Ce ne fut pas fait… Levine nous y dit comment la notion d’auteur est souvent surfaite. Elle nous dit comment, par exemple, ce n’est pas Weston qui a inventé cette pose, mais qu’il s’est lui-même approprié, qu’il a lui-même volé un code provenant de la culture grecque antique… Ce n’est peut-être pas un hasard si certaines pièces plus fortes telles que celle-ci manquaient. Après quelques années où nous avons pu avoir le sentiment que les droits des compagnies à rentabiliser au maximum les droits des artistes (même morts) étaient en recul, entre autres sur Internet, voici que se multiplient les lois qui criminalisent les internautes. Et la tentative récente de faire passer la Stop Online Piracy Act au Congrès états-unien, loi qui aurait permis de clore beaucoup de sites Internet, n’est certainement que le début d’un resserrement de ces lois réaffirmant la marchandisation à outrance de toute image et la nécessité commerciale de la notion d’auteur garantissant une étiquette, un branding contrôlé aux biens culturels.
Dans le Village Voice, la critique Martha Schwendener ne fut pas tendre avec l’expo de Levine au Whitney, déclarant la présentation stérile et expliquant comme elle est le signe que les musées sont devenus des mausolées… Schwendener renvoie donc la faute au système du musée, à la muséification… Argument faible qui cache un débat plus important.