Mardi 16 avril, à la conférence de presse qui s’est tenue au Musée d’art contemporain (MAC), la pochette que l’on remettait aux journalistes était toute noire… Et c’était bel et bien à un enterrement que nous étions conviés.
Cédric Brisson, président du Conseil d’administration de la Biennale de Montréal, a certes voulu nous présenter sa nouvelle sous l’angle d’une « association importante entre la Biennale de Montréal et le Musée d’art contemporain ». Mais en résumé, disons les choses plus clairement, la Biennale de Montréal s’offre le cadre et les infrastructures du Musée d’art contemporain à l’automne 2014 et la Triennale d’art québécois est, quant à elle, bel et bien morte. On nous promet certes une augmentation du contenu canadien dans la Biennale, avec 75 % des artistes (mais sans que l’on sache le pourcentage d’artistes québécois) et 25 % d’artistes internationaux, mais il en est fini de la Triennale et de sa quarantaine d’artistes d’ici qui étaient présentés au MAC. La Biennale et la Triennale n’avaient pourtant pas du tout le même mandat, peu importe… La Triennale, cette vitrine formidable pour nos artistes est morte. Voilà pourtant un événement qui avait su, lors de ses deux éditions, défendre d’une manière exemplaire nos artistes.
Du même souffle, lors de cette conférence de presse, de la bouche de Monsieur Alexandre Taillefer, président du Conseil d’administration du Musée d’art contemporain, nous avons appris qu’il ne nous cachait pas un « penchant du côté de la commercialisation » de l’art… Voilà programme qui mériterait une explication.
Il est bien étrange que ce soit le canard boiteux, qu’était devenue la Biennale de Montréal, qui phagocyte un événement qui fonctionnait très bien, qui avait fait ses preuves et qui avait une très bonne réputation à l’étranger. Rappelons par exemple que le catalogue de la dernière Triennale est quasiment en rupture de stock. Rappelons que cet événement en 2011 a su attirer 75 000 visiteurs au MAC. À ce nombre, il faut ajouter tous les individus qui sont venus expérimenter l’œuvre de Rafael Lozano-Hemmer installée sur la place des festivals… En 2008, la Triennale a eu plus de 65 000 visiteurs. Quant à elle, la Biennale de Montréal a eu, par exemple, en 2007, seulement 20 000 visiteurs. En 2009 et 2001, elle aurait seulement attiré entre 25 000 et 30 000 visiteurs. Et la critique fut majoritairement négative…
A-t-on déjà vu dans les milieux du commerce ou des affaires (milieux qui semblent être devenus notre référence) pareil choix, celui de liquider une affaire qui marche au profit d’un commerce qui fonctionne mal ou clairement moins bien?
Mais qui dirige le MAC et la Biennale?
Comme l’a fait si judicieusement remarqué dans sa question lors de la conférence de presse, Anne Bertrand, de l’ARCA, il semble bien étrange que « l’on puisse prendre une décision de partenariat aussi importante » pour ces deux institutions, alors que les deux directrices, Nicole Gingras à la Biennale et Paulette Gagnon au MAC, viennent de démissionner et « que leurs postes sont vacants ». Son intervention fut applaudie par plusieurs personnes dans la salle…
Monsieur Taillefer expliqua alors que grâce à cette fusion « le milieu des arts visuels au Québec va ainsi se resserrer pour devenir plus pertinent [sic] ».
On pourra certes laisser croire que les démissions de Mesdames Gagnon et Gingras n’ont rien à voir avec cette fusion, et que la conservatrice en chef du MAC, Marie Fraser part uniquement car elle veut retrouver son poste de professeur à l’UQÀM. Mais, bizarrement, ni l’une ni l’autre de ces joueuses majeures de l’art contemporain ne se sont présentées au lutrin pour dire que ce « partenariat » était une bonne décision… Mesdames Gagnon et Fraser étaient certes là physiquement dans la salle, mais elles étaient aussi bien silencieuses. Nous aurions aussi aimé écouter des experts du milieu s’exprimer sur cette question et ne pas seulement entendre le point de vue de deux gestionnaires. Mais la conférence de presse n’alla pas plus loin.
Comment le milieu de l’art réagira-t-il à la disparition de cet outil formidable qu’était la Triennale? Plusieurs sont mécontents, mais bien des gens avec qui je parle me disent ne pas se sentir à l’aise de prendre la parole… À la suite de ces démissions en série, on peut les comprendre. Voilà climat qui n’est guère rassurant et qui n’est guère propice au débat ni même au recrutement d’un nouveau directeur ou directrice. De toute façon, les décisions importantes n’ont-elles pas déjà été prises derrière des portes closes par les conseils d’administration sans l’appui des directrices de leur insititution? Notons que les deux conseils d’administration de la Biennale et de la Triennale ont plusieurs individus en commun (Messieurs Alexandre Taillefer et Marc Séguin, tout comme Madame Marie-Justine Snider). Malgré tout le respect que j’ai pour ces individus, je me permettrai de signaler qu’il s’agit d’une situation assez étonnante qui réduit évidemment la diversité des points de vue et des pistes de réflexion qui auraient pu être prises pour relancer la Biennale.
La façon dont les choses se passent à l’heure actuelle au MAC ne laisse rien espérer de bien intéressant pour le futur. Quel candidat de renom ayant une vision de l’art à concrétiser voudra aller se mettre ainsi dans la gueule du lion? Qui voudra aller diriger un musée où le conseil d’administration semble aussi contrôlant et prend des décisions sans l’accord de sa directrice… Le prochain directeur ne risque-t-il pas de se sentir comme une marionnette?
Je vous invite à réagir à la disparition de la Triennale d’art québécois.
Sentiments et émotions partagés… La Triennale était d’une telle qualité et empreint d’un tel dynamisme qu’il fait mal aujourd’hui de la voir partir. La Biennale, tant qu’à elle, malgré tous les efforts que j’ai fait pour l’apprécier, ne réussissait pas à être l’événement qu’elle aurait dû être, il y eu trop d’années où elle n’était que mauvais choix et ennui total (malgré la présence de plusieurs artistes intéressants). Est-ce que la nouvelle Biennale se fera aussi vive que notre défunte Triennale? Avec le changement de personnel, le mandat international (avant d’être québécois) et l’aspect « commercialisation », il est naturel de s’inquiéter.
Toujours le même malaise face à l’expression « nos artistes ».
À longueur d’articles, le journaliste fonde une partie de ses intuitions esthétiques sur le sentiment d’une communauté, sans s’interroger sur le sens même de l’identité : est-on si sûr de ce de quoi on parle ? L’art contemporain est-il réductible à une question de localisation centripète ? L’art ne doit-il pas aussi nous mener vers le dehors et l’étrangeté ?
Le second argument récurrent est le dénigrement de l’art dit « commercial », sans s’interroger pour savoir s’il y existe même un art hors économie. L’art subventionné par la collectivité ne va-t’il pas sans poser lui aussi certains problèmes ? On aurait d’un côté l’argent sale du privé et l’argent propre du public.
On pourrait sourire devant une telle naiveté, si celle-ci ne reproduisait pas les clichés du sens commun.
Monsieur Mavrikakis,
C’est parce que j’ai votre opinion en estime que je me permets de réagir à votre billet que je trouve inutilement sombre et alarmant.
La fusion entre la biennale et la triennale permettra de créer un évènement qui sera présenté aux 2 ans c’est-à-dire 50% plus fréquemment, nous permettra d’ajouter un volet international en réponse aux oeuvres créées ici, et disposera d’un bien plus important budget de création et de commercialisation. Nous faisons de la frequentation de la biennale une priorité car il s’agit de notre mission et de notre devoir de partager avec le plus grand nombre le talent exceptionnel des artistes en art visuel d’ici.
Le ton dramatique de votre article est très présomptueux des objectifs de Cédric Bisson et de moi-même, de nos conseils d’administration respectifs, de nos organisations et des commissaires qui sont impliqués dans ce projet. Vous noterez par ailleurs que deux des commissaires qui ont travaillé au succès de la Triennale 2011 (succès que vous avez pertinemment soulevé) sont impliqués dans la biennale.
Le milieu de l’art actuel vit en ce moment une transition que de très nombreux acteurs, qu’ils soient galeristes, artistes, professeurs ou simples visiteurs trouvent rafraîchissant et porteur d’espoir. Si vous êtes satisfaits du dynamisme du milieu de l’art actuel au Québec, et bien sachez que dans mon cas je crois que nous devons et pouvons faire mieux. Je souhaite avant tout que le travail des artistes québécois ne soit plus un secret bien gardé.
Je vous assure que mes intérêts sont nobles, et que je suis avant tout au service d’un milieu de l’art que je souhaite actif, de grande qualité, rigoureux et significatif.
Bien à vous,
Alexandre Taillefer, président du conseil du Musée d’Art Contemporain de Montréal
Cher Monsieur Taillefer,
Je crois en effet que vous tenez à la culture au Québec, mais je reste malheureusement et à regret sur le sentiment que vous vous y prenez bien mal. En tant que critique d’art, et ce, depuis plus de 20 ans, je tiens moi aussi à ce que ce milieu se développe. Voilà pourquoi je crois qu’il est important que la Triennale survive et je crois que vous auriez dû laisser la Biennale se redresser en dehors de cette greffe forcée et malhabile avec le Musée d’art contemporain (MAC).
Je vous explique pourquoi :
1- Vous en convenez, la Triennale fut un « succès » et je fus, en effet, comme vous le dites, de ceux à l’avoir souligné. Bien des critiques (pensons, entre autres, à Sarah Milroy du Globe and Mail) en ont parlé au Canada et y ont vu le signe que Montréal était en pleine effervescence artistique. Ce n’est pas rien. Je ne comprends donc pas pourquoi vous sabordez cet événement.
2- La Triennale d’art québécois et la Biennale n’avaient absolument pas les mêmes fonctions. La Triennale défendait les artistes québécois un peu dans l’esprit de la Biennale de la Whitney, événement qui présente des artistes états-uniens. La Triennale remplissait ce créneau important avec brio.
3- La Triennale exposait des artistes aguerris, mais aussi de jeunes artistes pour qui un tel événement était une belle vitrine. Cela permettait en particulier à ces jeunes créateurs d’être inclus dans un catalogue ce qui est une carte de visite utile à travers le Canada et à l’étranger. À la Biennale qui souhaite maintenant et enfin viser très haut (si je vous suis bien, vous voulez en faire un des quinze événements importants de la scène internationale), en invitant entre autres des artistes internationaux, il ne pourra être question d’inviter de jeunes artistes moins expérimentés. Pour ces créateurs, votre Biennale est une perte par rapport à la Triennale.
4- Je me préoccupe moi aussi du dynamisme de Montréal et je crois que notre ville méritait bien d’avoir ces deux grands événements en arts visuels qui ont deux fonctions très différentes. Faire mieux, cela veut aussi dire faire tout pour préserver les bons coups des autres qui sont passés avant nous.
5- Il aurait fallu laisser à Nicole Gingras le temps de redresser la barre de la biennale, de lui insuffler une nouvelle image. Cela ne se fait pas en criant ciseau… Les subventionnaires faisaient confiance à Madame Gingras. De ce que je sais, la décision de jumeler la biennale au MAC ne fut pas prise par elle et on essaya de lui imposer ce choix très discutable. Cela serait d’ailleurs une des raisons de sa démission hâtive (après seulement cinq mois à son poste de directrice de la Biennale). Et ne me faites pas le coup que son départ était motivé, car elle voulait faire autre chose, blabli blabla, car elle voulait aller cultiver son champ de patates ou ses fleurs… Ce départ est une perte pour l’événement. Tout comme le départ de Marie Fraser au MAC. Mesdames Gingras et Fraser sont des références dans le milieu, et leurs départs ne facilitent pas l’avenir de ces institutions. De cela, il faudrait aussi parler franchement.
6- Je ne vois pas comment vous allez réaliser ce rêve de faire de notre Biennale un des quinze événements de la scène internationale… Rien lors de votre conférence de presse ne permettait d’en juger. Ce que je sais et que cela ne se fait pas en ne trouvant pas les moyens de conserver de personnes aussi intéressantes que Mesdames Gingras et Fraser. Cela n’envoie pas nécessairement un bon signal au reste de la communauté ici, ni même à l’étranger.
Mais je ne dois pas assez bien rendre compte de vos idées… Je suis donc prêt à réaliser une entrevue avec vous afin de vous donner la possibilité d’expliquer plus en détail votre Biennale, mais aussi les changements que vous voulez faire au MAC.
Veuillez recevoir, Monsieur, l’expression de mes sentiments distingués.
Bonjour M.Mavrikakis
Juste une petite détaille à corriger. Comme signe de sa réussite, vous dites que le catalogue de la dernière Triennale (2011) est quasiment en rupture de stock. Bien que je ne porte aucun jugement sur les deux triennales, ceci n’est pas exact. La publication de l’édition 2008 s’est vendu deux fois plus d’exemplaires que l’édition 2011. La publication de 2008 a été beaucoup plus généreuse avec les artistes et avec les images de leurs œuvres et beaucoup moins axée sur les textes – comme c’est le cas avec l’édition 2011 – ce qui a beaucoup plus aux libraires et bibliothécaires à travers le monde.
Lawrence Boyle
Directeur
ABC Livres d’art Canada (Distribution)
Monsieur Taillefer,
Tous ne partagent peut-être pas votre conception de ce qu’est le « mieux » dont vous parlez quand vous dites vouloir « faire mieux ».
Je ne crois pas que vos nobles intérêts ou votre compétence de gestionnaire soient ici remis en cause.
La question est plutôt de savoir quelle idéologie supporte vos actions et votre discours.
La sous-question serait quant à elle de savoir quelle est la légitimité que vous avez à occuper votre nouvelle fonction.
Bien à vous,
Étienne Tremblay-Tardif, marsouin
ps. Monsieur Mavrikakis, vos prises de position récentes, notamment sur les cas Desjardins, Calder et maintenant Taillefer, sont exemplaires. Bravo.
Lors d’un forum sur l’art public, une artiste souhaitait que les non-artistes prennent la peine de s’instruire afin de mieux comprendre les différences entre les œuvres qui foisonnent partout au Québec et ce, dans le but de choisir les plus, je suppose, « artistiques ». La tâche de s’instruire n’est pas facile dans ce domaine malgré de belles intentions et de bons élans si on n’est pas trop doué en art. La preuve : la lecture de ce billet et des commentaires qui le suivent. Un expert indépendant pourrait-il faire la lumière sur les arguments avancés pour nous aider à y « Voir » un peu plus clair ?! Ce n’est pas la paresse qui m’empêche de m’atteler à cette tâche de clarification. Non c’est plutôt l’incapacité de « vulgariser » en quelque sorte plusieurs des informations fournies ou de comprendre certains des sous-entendus. C’est comme si, après que plusieurs personnes aient émis une opinion et des commentaires à propos d’une œuvre, on s’apercevait qu’il ne s’agissait peut-être pas de la même œuvre qui avait été examinée par chacun.