Le prix du gouverneur général

« Le drapeau britannique, ce tablier de boucher. »

James Connolly

« La clause de la société distincte
comme je l’ai dit à Clyde Wells.
Ça ne veut strictement rien dire.. »

Bryan Mulroney

« Je parle de millions d’hommes à qui on a
inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité,
le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme »

Aimé Césaire

Le prix du gouverneur général, qu’on ne doit surtout pas confondre avec un quelconque prix de consolation, avoisinerait, selon mes camarades du journal, les trente deniers de Judas. Personnellement, je ne comprends pas très bien ces attaques basses et mesquines contre notre nouvelle reine de beauté et son roi des bas prix. Comme si tout cela cachait en fait une immense déception.

Mais vous êtes déçu de quoi exactement? Le propre d’un arriviste étant de vouloir arriver à tout prix, je ne vois pas pourquoi on reprocherait à Sir Lafond d’être enfin arrivé quelque part. On devrait plutôt le féliciter. Depuis le temps qu’il essayait. Partis de rien, ce triste sire et sa dame ont fini par arriver à Ottawa, c’est-à-dire quasiment nulle part. Vice-roi du Canada, c’est pas grand-chose mais enfin, ce n’est pas rien!

Les vendeurs de chars usagés qui écrivent pour Monsieur Paul, à la grosse Presse à Power, affirment, sans rigoler, que la nouvelle gouverneuse générale est une femme très intelligente : pensez donc, elle était journaliste à Radio-Canada. Comme si le fait de lire les nouvelles à la télévision était une preuve d’intelligence. Y’a même un télésouffleur. Suffit simplement de savoir lire! Point à la ligne. Même pas besoin de comprendre ce qu’on raconte. Y’a qu’à savoir articuler. Tout est écrit d’avance par une armée de scripteur engagés.

Si la madame était si intelligente, me semble que cela ce serait su. Y’aurait des livres, des articles, des conférences, des analyses, des citations. Or il n’y a que du vent. Le vide mais avec une jolie tête. En effet, elle est charmante, bien élevée et par le « parisian french » sans accent. Et ça, ça impressionne encore beaucoup les Québécois, cet accent chic et de bon goût. Les colonisés, bourrés de complexes, associent généralement cet accent avec l’intelligence. Des tonnes de personnages assez médiocres, ont fait toute leur carrière là-dessus, à l’université, au théâtre ou à la télévision d’État.

Le parcours de notre nouvelle majesté par procuration aura donc été sans faille. De femme-tronc à Radio-Cadenas où elle nous racontait le monde chaque soir, à la manière de Passe-Partout comme si on était des demeurés ou des débiles mentaux, elle finira sa carrière comme potiche à Rideau Hall. Une reine de carnaval!

Pour son bonhomme, le carnaval ne fait que continuer. Ce faiseur de films assez quelconques qui se prenait et qui se prend sûrement encore pour un penseur révolutionnaire deviendra vice-roi du Dominion. De philosophe en résidence à l’émission de Bazzo, il passera directement à la résidence officielle de sa majesté Élizabeth II au Canada. Après la « French Connection », la « Canadian Broadcasting Connection ».

Parlant de royalistes de gauche, il était assez tordant de voir Courtemanche, cet ancien journaliste indépendantiste recyclé dans l’humanitarisme larmoyant, sombrer lui aussi dans le contortionnisme idéologique et, dégoulinant de bons sentiments, prendre la défense de la monarchie constitutionnelle canadienne. On touche là la tragi-comédie que vivent sans fin les « progressistes » version « canadian » : ils se révèlent toujours, quand ça compte vraiment, plus canadiens que progressistes. Comme les intellectuels dit de gauche à McGill University. Dans les moments critiques, ils finissent toujours par rejoindre le camp de la droite canadienne la plus sale.

En concurrence avec les royalistes de gauche dans ce concours de bassesse et d’à-plat-ventrisme face à la couronne britannique, on retrouve les loyalistes de droite de La Presse, grands champions de la courbette pré-payée et subventionné. À La Presse, agence de relations publiques de Power Corporation qui tente maladroitement de se faire passer pour un journal d’information, nos joyeux stercoraires montent aux barricades à l’unisson pour défendre les nouveaux clowns de sa gracieuse majesté. Toute cette putasserie de fond de ruelle est un spectacle hautement comique. Des éditorialistes en laisse et des chroniqueurs en solde pleurnichent en choeur, mieux que des Filles de l’Empire, en écrivant leurs petites histoires de princesse pour roman Arlequin. Une façon comme une autre sans doute d’assurer leurs vieux jours au Sénat canadien : au pays des commandites, on sait récompenser les vieux complices.

Non, mais! Vous les avez vu, eux, les professionnels de la délation, les gardiens de la pensée conforme, les donneurs de leçons patentés, baver de plaisir quand ils dénoncent tous ces purédurs qui salissent leur joli paysage médiatique. Sans relâche, ils traquent les purédurs, eux les mollassons en service commandé, les soumis rampants, les gras dur de l’ordre établi. À tout bout de champ, dans leurs éditoriaux à prix réduits, ils ordonnent aux dirigeants du Bloc et du Parti Québécois de mettre à leur place leurs méchants purédurs. Sommés de se mettre au garde à vous par ces maîtres-chanteurs du pouvoir fédéral, trop souvent, nos responsables politiques obtempèrent, le petit doigt sur la couture du pantalon. Au grand plaisir de Monsieur Paul et de ses hommes de main, ils obéissent, ils dénoncent à leur tour et se dissocient à la vitesse grand V. Ils finissent par accuser les purédurs de purédurisme.

Je n’ai jamais compris cette manie, car il s’agit bien d’une manie, d’obéir aux ordres de ces commentateurs serviles qui ne cherchent qu’à nous diviser entre nous. Faudrait peut-être un jour mener nos propres politiques et cesser enfin de mener les politiques voulues par nos ennemis. Ouvrez vos lumières, les gars, sinon vous allez finir par attraper des claques sur le museau!

Mais le plus triste pour moi, dans toute cette affaire, ce sont les prises de positions incompréhensibles et inacceptables de quelques camarades haïtiens et africains. Quand j’entends l’ami Laferrière parler de racisme, les bras m’en tombent. Quand j’entends l’ami Lotfi vanter Condoleeza Rice, secrétaire d’État dans le gouvernement de George W. Bush, je me décroche la mâchoire. Et quand je vois René Depestre, cet écrivain révolutionnaire antillais, sauter au plafond et perdre les pédales parce qu’un gouvernement néo-colonialiste corrompu s’est acheté un nouveau roi, en l’occurrence sa nièce, là c’est la moutarde qui me monte au nez. Je rêve soudain d’un ouragan de coups de pied au cul.

Je comprends parfaitement bien, comme Québécois ayant subi dans ma chair le colonialisme britannique et le néo-colonialisme canadien, qu’un peuple écrasé puisse se chercher des exemples de réussite, des images fortes de lui-même, des héros admirables. Mais pas n’importe quoi quand même! Pas à n’importe quel prix! Pas sur notre dos, en plus. Vous n’allez quand même pas vous péter les bretelles avec un succédané de reine d’Angleterre, ici. Pour nous, la royauté britannique est le symbole le plus grossier de notre oppression, le symbole le plus vulgaire de notre exploitation. D’autres gouverneurs célèbres ont laissé leurs traces sanglantes dans notre histoire. Ça ne vous dit rien le gouverneur Craig? Et Murray et Amherst et Dorchester et Colborne, le « vieux brûlot » de la reine Victoria, surnommé par nos ancêtres Lord Satan? Et toute l’histoire de l’impérialisme britannique en Asie, en Afrique, en Amérique Latine, ça ne vous a rien appris?

On retrouve pourtant partout les mêmes criminels, les mêmes tortionnaires, les mêmes assassins. Ici comme ailleurs. Et vous osez défendre des gens qui cautionnent cet héritage? Et vous osez nous reprocher d’être en colère? Et vous osez nous accuser de racisme? C’est le bout de la marde.

Le coup du roi-nègre, ça ne vous dit rien? Nous, on connaît. On nous a fait le coup mille fois en 245 ans d’oppression. Les colonialistes anglais, français, espagnols, portugais ou américains l’ont fait cent mille fois à travers le monde. Vous n’avez pas encore compris?Tu devrais pourtant savoir mon cher Dany que la couleur de la peau du roi-nègre n’a rien à voir dans toute cette histoire. Rouge, blanc, jaune, noir, vert ou mauve un roi-nègre reste un roi-nègre. Un roi-nègre, ça ne sert qu’à amuser les colonisés, à les tromper et à les distraire. Ça sert aussi parfois à les diviser. Une belle réussite! Tous les profiteurs de ce régime pourri vont sûrement applaudir à tout rompre tes steppettes intellectuelles.

Cher camarade, la couleur de la peau n’excuse pas tout. Proposer à de jeunes noirs de prendre pour modèle une petite politicienne complice de l’impérialisme américain, c’est scandaleux et indigne d’un homme comme toi. Ce n’est pas ce que m’ont appris W.E. Dubois, Miles Davis, James Baldwin, Mohammed Ali, Rap Brown, Frederic Douglas, Leroi Jones, Huey Newton, Mississipi John Hurt et Malcolm et Martin Luther.

À ta petite reine de pacotille digne des plus mauvais Paris Match, je préfère mille fois Rosa Parks et Angela Davis. Et George Jackson et Aimé Césaire! Frantz Fanon aussi avec Toussaint Louverture, Thomas Sankara, Fela Anikoulapo Kuti, Amilcar Cabral, Tiken Jah Fakoli ou Jerry Rawlings.

Cela me rend immensément triste de voir des hommes que j’aime, d’habitude si intelligents, perdre soudain tout sens critique et toute conscience politique. Aveuglés pas une réaction strictement épidermique, ils refusent de comprendre. Comment peut-on défendre ce couple d’intellectuels ambitieux qui décide de nous piler sur la tête pour s’élever dans l’échelle sociale? Comment peut-on défendre ce couple de radio-canadiens prétentieux qui, fort conscient des enjeux politiques actuels, accepte de jouer le jeu du clientélisme ethnique du Parti Libéral du Canada? Comment peut-on défendre ce couple de parasites commandités qui apporte sa caution morale à un gouvernement corrompu jusqu’à l’os?

En s’achetant, à gros prix, des intellectuels obéissants, Paul Martin poursuit le programme des commandites. On est habitué à se faire chier sur la tête mais, un beau jour, tout ça finira par se payer. Il y a un prix du gouverneur général, mais il y aura aussi un prix à payer pour toutes ces saletés.

Mes hommages à votre altesse,

« Donc, camarade, te seront ennemis – de manière haute, lucide et conséquente – non seulement gouverneurs sadiques et banquiers goulus, politiciens lèche-chèques et magistrats aux ordres mais pareillement et au même titre, journalistes fielleux, académiciens goitreux endollardés de sottises, théologiens farfelus, intellectuels jaspineux.

Et n’essaie pas de savoir si ces messieurs sont personnellement bien ou mal intentionnés, s’ils sont personnellement colonialistes ou non, l’essentiel étant que leur très aléatoire bonne foi subjective est sans rapport aucun avec la portée subjective et sociale de la mauvaise besogne qu’ils font de chiens de garde du colonialisme »

Aimé Césaire

Discours sur le colonialisme

Source : Le Québécois