Les lundis Douteux : 10 ans à célébrer l'insolite
Cinéma

Les lundis Douteux : 10 ans à célébrer l’insolite

Dix ans après leur inauguration au Brouhaha, les lundis Douteux perpétuent avec dérision leur «culte de la variété».

De microphénomène en expansion à lieu de rassemblent notable du circuit alternatif montréalais, les lundis Douteux ont évolué sans trahir le mandat d’origine fixé par leur fondateur Tommy Gaudet, soit de montrer des vidéos «que les gens n’auraient pas vu autrement». Faisant partie intégrante du spectacle, l’assistance est invitée à lancer à l’écran des projectiles constitués de «quatre bouchons de liège collés ensemble».

«On n’est pas en train de faire la quête du médiocre ou du mauvais», précise Gaudet, quand on le questionne sur la nature de ces soirées. «On n’est pas non plus en train de creuser le pire ou le meilleur. On veut juste proposer de la variété, amener des réflexes de questionnement dans les habitudes de consommation des gens.»

Mais bien au-delà de cette mission louable, il y a cette passion de l’inusité. Originaire de l’Abitibi, Tommy Gaudet est d’abord un archiviste de «vieux films en français enregistrés sur VHS», tout spécialement des films d’action et d’horreur de série B. Au milieu des années 1990, cette passion pour le cinéma divergent l’amène à «skipper» ses cours de philo 2 pour aller regarder «des vieux films pas bons» avec ses amis. «Le doute cartésien ne s’était jamais aussi bien appliqué», blague-t-il, en référence à la composante de la philosophie de Descartes. «Dans nos soirées, avant de regarder un film, il y avait une présentation de petits clips qu’on avait trouvés ici et là. On appelait ça une mise en bouche. C’est le même concept qu’on a encore chaque lundi.»

Arrivé à Montréal en 2002, il rencontre Simon Chénier, qui l’amène à poursuivre sa quête  cinématographique anormale sur un tout nouveau terrain. Des soirées embryonnaires des lundis Douteux prennent place subséquemment au Saint-Ciboire, à la Rockette, sur le campus de l’UQAM… «On a essayé 4-5 autres places pis on se faisait toujours mettre dehors pour rien. Je savais que le concept allait pogner, ça nous prenait juste une soirée régulière. En janvier 2008, le Brouhaha venait d’ouvrir, pis on a commencé à projeter en mars. En un mois et demi, on est passé de 8 personnes dans la salle à 50-60.»

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Brouhaha. Crédit : Shéhérazadeqc

Juste avant cette implantation physique, l’organisme Douteux voyait le jour virtuellement à partir du site web douteux.org. «Ça a été la base qui nous a amenés à tout construire le reste. On est officiellement un organisme à but non lucratif enregistré. On archive des films qui sont pas à nous, mais on fait pas non plus d’argent avec ça. J’me sentirais mal de faire payer le monde pour des choses que j’ai pas faites. Ma morale me le permet pas. Notre but, c’est juste de créer une bibliothèque open source. Peu importe qui a besoin d’un film de notre collection, je lui envoie ou, sinon, il m’amène un disque dur ou une clé USB pis je lui transfère ce qu’il veut. Ça fait des copies de backup un peu partout, ce qui nous  arrange, car dans le fond, tout ce qu’on veut, c’est que L’abominable lutin 4 : Dans l’espace  soit encore disponible dans 50 ans», résume Gaudet avec une référence bien placée à ce film américain de 1997 coté 3,5/10 sur IMDB.

D’ailleurs, ces évaluations conventionnelles importent peu à la grande équipe de Douteux, composée de dizaines de bénévoles dévoués en charge de la logistique, de l’animation, de la production et de l’archivage. À la place, Gaudet et sa bande ont élargi le spectre de l’appréciation cinématographique, en octroyant aux œuvres une note oscillant entre -10 et 10. Ainsi, tout chef d’œuvre incontesté du cinéma a son pendant négatif, soit un film qui, par sa médiocrité, a lui aussi le potentiel de soulever l’intérêt du public.

Bref, le pire qui puisse arriver à un film est de frôler le 0. «À ce moment-là, c’est qu’il y a une absence totale de stimulation. C’est très difficile de rester attentif, car t’as juste envie d’aller faire autre chose» explique Gaudet, en donnant en exemple les films de l’Américain Oz Perkins. «En fait, plus tu t’éloignes du 0, plus c’est divertissant. Autant qu’il y a des Blade Runner, des Fight Club et des Apocalypse Now qui sont proches du 10, autant qu’il y a des Deadly Prey qui sont près du -10. Rendu là, c’est un film qui divertit autant, mais pas nécessairement de la manière que la réalisateur l’aurait voulu.»

Tommy Gaudet. Crédit : Shéhérazadeqc
Tommy Gaudet. Crédit : Shéhérazadeqc

À ce jour, l’organisme Douteux conserve 9500 clips de 15 minutes et moins (ainsi que 35 000 en processus de triage), 2000 heures d’émissions de télé et près de 7000 longs métrages. Chaque semaine, Gaudet interroge les 15 000 membres de son groupe de partage Facebook afin de savoir quel film de sa collection sera projeté le lundi suivant au Brouhaha, ainsi qu’au Cabaret de la dernière chance à Rouyn-Noranda, bar qui fait office de «chapitre abitibien» de Douteux. Juste avant cette diffusion, un VJ invité vient assurer la typique «mise en bouche», alors que Gaudet empoigne le micro pour animer le podcast 70% , auquel participe une horde de chroniqueurs connus ou inconnus tels que Richard Z. Sirois, Bruno Corbin, Antoine Lavigne, Les Piles-Poils, Mathieu Boudreau, Anne-France MT Lapointe et Marie-Pier Simard.

Comme toujours, c’est cette formule qui sera déployée ce lundi 5 mars, date qui marque officiellement le 10e anniversaire des soirées Douteux. «Sincèrement, on n’est pas très bons pour fêter notre anniversaire. D’ailleurs, on a fêté le 500e épisode de 70% une semaine après, car on l’avait juste oublié…» dit Gaudet, en riant. «En fait, ça va être un show assez normal. Comme chaque lundi, on va juste s’assurer de donner le meilleur show gratuit possible au monde.»

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