Laurie Raphaël, deux façons
Animant l’émission à succès Les Chefs! et supervisant les restaurants Laurie Raphaël à Québec et à Montréal, Daniel Vézina porte plusieurs chapeaux à la fois. Portrait du chef et des deux hommes qui l’accompagnent dans cette aventure.
On mange à sa table en dîner d’affaires à Montréal, on y retourne lors d’un weekend champêtre à Québec et de retour à la maison, on le retrouve sur nos écrans dans l’une des émissions les plus populaires de la province. Nul doute que nous sommes plusieurs à nous demander comment Daniel Vézina parvient à être ainsi partout en même temps…
Vézina a fait ses classes de cuisine il y a une trentaine d’années, à une époque où tous les enseignants du domaine et surtout, tous les grands chefs, étaient européens. Dès lors, il refuse de s’accoler l’étiquette de cuisine française qu’on tente de lui imposer. À ses yeux, il est absurde de s’entêter à imiter ce type de cuisine alors qu’on a la chance d’avoir chez nous une myriade d’aliments et de saveurs bien propres au Québec. C’est ainsi qu’il s’est battu pour développer et faire reconnaître la cuisine québécoise telle qu’on la connaît aujourd’hui. C’est en partie grâce à lui si notre culture gastronomique a désormais une identité si distincte et une telle renommée.
Depuis son ouverture à Québec en 1991, son restaurant, le Laurie Raphaël, s’est hissé aux premiers rangs de la scène gastronomique québécoise. Lorsqu’une seconde adresse a vu le jour à Montréal en 2007, Vézina n’a pas cessé d’animer des ateliers de cuisine, de publier des livres (cinq à cette date) et d’animer plusieurs émissions dont, bien sûr, le hit télévisuel Les Chefs!.
Ce qui nous ramène à notre question initiale; comment fait-il pour revêtir tous ces chapeaux – ou plutôt, toutes ces toques – à la fois? Non, Daniel Vézina n’a pas maîtrisé l’art de la téléportation; il a plutôt recours à la précieuse aide de deux fervents jeunes hommes. Le premier? Son fils Raphaël Vézina (le restaurant porte son nom ainsi que celui de sa sœur Laurie-Alex) qui évolue dans les cuisines du restaurant familial depuis son plus jeune âge. Après des passages à la plonge, en cuisine, en pâtisserie et au garde-manger, il part pour Nice afin d’y effectuer un brevet de technicien supérieur en cuisine. Il complète ses études par des stages au Blue Hill at Stone Barn, près de New York, et dans un établissement coté deux étoiles Michelin à Barcelone. En 2012, il est promu à la tête des cuisines du Laurie Raphaël à Québec.
Depuis six mois, le restaurant de Montréal est entre d’aussi bonnes mains, étant sous la direction d’Hakim Rahal, chef à la feuille de route impressionnante pour ses 33 ans. Après avoir fait ses preuves au réputé Per Se de New York, au Garde Manger, puis au Brontë, c’est à ce brillant diplômé de l’ITHQ que Daniel Vézina a choisi de confier son dernier établissement. Interrogé sur son nouveau rôle, Rahal confie à quel point il trouve enrichissant d’évoluer dans une entreprise où tout, de la création à la gestion, est assuré par une même famille. Sa propre copine travaillant en restauration, il trouve inspirant de voir une famille qui travaille ensemble être si unie.
Lorsqu’il n’est pas en tournage pour Les Chefs!, Vézina partage équitablement son temps entre les deux métropoles; trois jours à Québec, puis trois jours à Montréal. Bien qu’il témoigne d’une grande confiance à l’égard de ses deux chefs de cuisine et qu’il leur accorde quasi carte blanche, il demeure le chef exécutif du Laurie Raphaël et son encadrement n’en est pas moins indispensable. Ainsi, chaque saison, ils entament ensemble le processus de création des nouveaux menus. Si beaucoup de place est laissée à l’initiative d’Hakim et de Raphaël, c’est à Daniel Vézina que revient le mot final, suite à moult discussions et essais. Un vrai travail de coach, pour utiliser ses mots.
Leur principal défi? Assurer un bon rendement sans toutefois compromettre la qualité. Ce souci de qualité des produits est à la source de la philosophie du Laurie Raphaël. C’est pourquoi Vézina qualifie sa cuisine d’évolutive, en ce que ses menus sont élaborés autour du respect des saisons et des arrivages. Il est primordial pour lui de travailler avec des aliments en primeur, avec ce qu’on retrouve de plus frais sur le marché, comme c’est présentement le cas pour les saisons du homard, des têtes de violon et de l’ail des bois. C’est ce qui explique pourquoi il entretient une relation si étroite avec ses producteurs et ses fournisseurs. Encore aujourd’hui, il est en constante communication avec ceux-ci. Ensemble, ils ont développé une culture du terroir, aujourd’hui bien ancrée au Québec. Raphaël et Hakim sont tous deux encouragés à poursuivre ce lien privilégié. C’est ce que Vézina attend de la relève culinaire: la capacité de créer, tout en respectant ce qui a été fait avant eux.
Dans cette optique, pour Les Chefs!, comme pour ses propres restaurants, Vézina se fait un devoir de transmettre les bases classiques de la cuisine à la nouvelle génération. Bien qu’il admire la créativité et l’initiative de cette relève de jeunes chefs, il s’inquiète du fait de ceux-ci maîtrisent trop peu les techniques élémentaires fondamentales en cuisine. C’est ce constat qui l’a poussé à rédiger son dernier livre Mes classiques préférés, étape par étape, ouvrage dédié à son fils. À ce sujet, il prend l’exemple des grands groupes rock tels Kiss et ACDC dont les membres sont tous passés par le conservatoire de musique. Ainsi, en musique, comme en littérature ou en cuisine, il importe de suivre une formation classique afin d’avoir ensuite la possibilité de laisser libre cours à sa créativité. Ce sont, à ses yeux, des préalables non négociables.
Vézina avoue tout de même avoir lui aussi beaucoup à apprendre d’Hakim et de Raphaël. Il admire notamment leurs habiletés de gestion et de communication. Selon lui, si ces derniers sont si rassembleurs et parviennent à obtenir un tel respect de la part de leur brigade, c’est grâce à leurs valeurs foncièrement humaines; ils sont particulièrement respectueux des membres de leurs équipes. Il est vrai qu’on oublie parfois à quel point l’harmonie en cuisine, la complicité des troupes, est essentielle à l’exécution finale.
Au fil des vingt dernières années, le Laurie Raphaël est devenu une véritable institution et il est rassurant pour ses adeptes de voir que sa mission est poursuivie par une nouvelle génération qui partage la même passion. Bien que Daniel Vézina s’engage aujourd’hui de plus en plus dans de nouvelles avenues (il participe entre autres à l’actuel projet d’introduction du gibier sauvage en restauration) il veille sans relâche sur ses deux restaurants, et Hakim et Raphaël savent qu’ils peuvent compter sur lui en tout temps. À ce propos, Vézina partage l’épisode de dimanche dernier où, au resto de Québec, il a revêtu son tablier pour donner un coup de main à son fils lors d’un brunch de fête des Mères particulièrement achalandé. Comme quoi, tel que le veut le mystère, Daniel Vézina semble bel et bien omniprésent, jamais bien loin pour donner un coup de main.
Restaurant Laurie Raphaël
117, rue Dalhousie à Québec
2050, Mansfield (Hotel Le Germain) à Montréal