Orelsan : la désillusion est finie
Musique

Orelsan : la désillusion est finie

Bien loin de la controverse qui a marqué ses débuts, Orelsan garde la tête froide et profite du succès inespéré de son troisième album La fête est finie. Rencontre éclair avec le rappeur français qui était de passage en sol québécois il y a quelques jours.

Rejoint dans un café du Plateau, le Parisien d’adoption arrive à la course avec plus de 30 minutes de retard. «On a mis du temps à venir. À un moment, ça faisait 20 minutes qu’on était en voiture, et on en était toujours au même point… mais de l’autre côté», raconte le rappeur qui, sans le savoir, a vécu une expérience urbaine typiquement montréalaise.

Le soir précédent, le rappeur recevait un accueil tout aussi dense, mais à Québec. Devant une foule soi-disant déchaînée à l’Impérial Bell, il donnait le coup d’envoi à une mini-tournée québécoise de trois dates. «C’était trop bien. L’un des meilleurs concerts que j’ai jamais faits», assure-t-il. «Comme on vient de loin, les gens sont enthousiastes. Et j’ai tout particulièrement aimé l’énergie de la salle. Je pouvais voir tout le monde devant moi, ce qui est très différent du reste de ma tournée, qui se déroule davantage dans les arénas.»

Dernièrement, les choses ont changé du tac-au-tac dans la carrière d’Orelsan. Celui qui avait l’habitude «des spectacles plus intimes que grandioses» est maintenant l’un des phénomènes rap les plus manifestes de la francophonie.

Paru il y a presque un an, son troisième album a été certifié disque de diamant (500 000 exemplaires vendus), en plus d’être sacré album musiques urbaines de l’année aux dernières Victoires de la musique. Lors de ce gala, le rappeur a également mis la main sur deux autres honneurs : vidéoclip (pour Basique) et artiste de l’année. Pour le principal intéressé, ce succès demeure inattendu. «Quand on a fini l’album, on savait qu’on tenait quelque chose avec le clip de Basique. On savait qu’il était cool, mais au-delà de ça, j’avais mes doutes pour l’album, car il était très différent des autres d’avant.»

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Arrivé sur les tablettes six ans après Le chant des sirènes, album qui l’a propulsé au-devant de la scène rap française, La fête est finie renoue en partie avec la mélancolie du rappeur, sans pour autant creuser davantage ce sillon. À 36 ans, Orelsan se fait plus optimiste, abordant des thèmes comme l’amour et la vieillesse avec plus de recul et de maturité. «En fait, on disait déjà que j’étais plus mature sur mon précédent album, mais là, j’ai l’impression que c’est encore plus vrai. J’ai arrêté les ego-trips et je parle de sujets plus murs que mes aventures au lycée ou mes premières ruptures. Je suis en couple depuis six ans, donc c’est certain que l’amour prend plus de place dans mes textes.»

Bref, l’artiste évolue au lieu d’entretenir l’image irrévérencieuse de ses débuts. Si on lui reproche encore ses chansons les plus controversées (on se rappellera notamment de Saint-Valentin, chanson parue en 2006 qui lui a valu d’être jugé pour «provocation à la violence» en 2013, avant que ce verdit lui soit retiré en 2016 au nom de la liberté d’expression), Orelsan désire maintenant tourner la page sur cette période. «J’ai l’impression que, peu à peu, les gens se rendent compte que je suis quelqu’un de bien, que je suis capable d’écrire des œuvres et des textes qui ont une portée significative. On revient sur mon passé de façon épisodique, mais c’est assez rare dans les derniers temps», résume le rappeur, sans trop vouloir replonger dans cette affaire qui a refait surface en février dernier lorsqu’une pétition adressée à la ministre de la Culture demandait qu’on lui retire ses Victoires.

En fait, depuis Le chant des sirènes, Orelsan est d’abord et avant tout perçu comme l’un des artistes les plus ingénieux de la France plutôt que comme un jeune rappeur carburant à la polémique. Lancé en 2013, le premier album des Casseurs Flowters, duo qu’il mène avec son ami Gringe, lui a permis d’élargir son champ de création. Conceptuel, cet opus proposait une incursion d’une demi-journée dans la vie de deux rappeurs désœuvrés qui, devant l’ultimatum donné par leur producteur, doivent composer une chanson. «On voulait que l’album soit comme un road movie, qui nous permettrait de se relancer et d’échanger des points de vue au micro. D’une certaine façon, je me suis un peu redécouvert avec ce projet, et c’est grâce à lui qu’on a eu envie de faire un film.»

Sorti en 2015, Comment c’est loin renouait avec le même univers et les deux mêmes protagonistes que l’album initial des Casseurs Flowters. Inspiré des «stoner movies américains à la Jay et Silent Bob ou Harold & Kumar», le long métrage réalisé par Orelsan et Christophe Offenstein a obtenu un succès convaincant en France, comptabilisant plus de 250 000 entrées.  «Ça a été énormément de travail à faire, mais c’est l’une des plus belles expériences de ma vie. J’ai tout particulièrement aimé l’écriture du scénario. J’aimerais vraiment répéter l’expérience, même si je ne suis pas pressé de refaire un film.»

Dans le même genre, la très populaire minisérie Bloqués (diffusée sur Canal+ en 2015 et 2016) mettait également en vedette Orelsan et Gringe dans leurs propres rôles. Cette fois, les deux camarades passaient leurs journées à discuter sur un canapé «en attendant qu’il se passe quelque chose». Décidément, l’indolence est un trait de caractère qui fascine, voire habite, le rappeur. «Orelsan, ce n’est pas un personnage, c’est moi, mais chaque idée de scénario ou chaque chanson est un exercice de style. Une chanson comme Suicide social, par exemple, ça représente le moment où un mec pète les plombs. C’est une chanson de six minutes qui, au fond, illustre une vingtaine de secondes de pensées. Même histoire pour Paradis, une chanson d’amour qui symbolise le court moment où tu t’endors auprès de quelqu’un que tu aimes. Avec Bloqués, c’est un peu le même processus : j’avais envie de parler de cette facette de moi, même si je ne me considère pas nécessairement comme un mec fainéant.»

Revigoré par ces expériences d’écriture, le rappeur désire continuer à ouvrir ses horizons artistiques. Moins désillusionné, moins nihiliste, il cherche maintenant la lumière plutôt que la noirceur. «J’essaie de ne plus être cynique», proclame-t-il. «Je veux faire des chansons plus positives, car pour moi, c’est un challenge beaucoup plus important que de faire des trucs négatifs. Le plus important, c’est de ne jamais refaire la même chose.»