Rap local : Alaclair Ensemble, la réplique aux offusqués
Chaque semaine, cette chronique met en lumière l’oeuvre des rappeurs et des producteurs québécois les plus intéressants du moment. Au programme : entrevue, revue non-exhaustive des nouveautés de la semaine et aperçu des prochains spectacles à voir.
Entrevue //
Sur Le sens des paroles, Alaclair Ensemble migre vers un rap plus posé, moins absurde, consolidant au passage une signature trap percutante, très actuelle.
En intro, De partout donne habilement le ton à ce cinquième album – le deuxième à paraître sous l’étiquette rouyn-norandienne 7ieme Ciel. La voix modifiée d’un animateur de radio communautaire (Dice B de Radio Centre-Ville) y surgit en ouverture : «Y’a des rappeurs francophones qui gagnent des Felix et qui font clairement du mumble rap. Pourquoi c’est clairement du mumble rap? C’est parce que la moitié de ce qu’ils disent, on comprend rien!» Directement visés par ces allégations, faites dans la foulée de leur victoire du Félix de l’album hip-hop de l’année au dernier Gala de l’ADISQ, les rappeurs de la formation répondent à leur détracteur durant le reste de cette chanson-fleuve, qui s’étend sur près de sept minutes.
Alaclair cherchait-il, d’emblée, à remettre les pendules à l’heure? «Je pense que oui», répond Ogden alias Robert Nelson, avant de nuancer. «Mais je pense pas qu’il faut analyser ça dans un simple rapport d’action-réaction. En fait, c’est pour ça qu’on a high-pitched la voix [de Dice B]. C’est pas un diss, c’est juste l’idée de répondre à des propos qui symbolisent un discours qu’on entend souvent à propos de nous. On a voulu mettre ces éléments de dialogue sur la table.»
Groupe pionnier de la nouvelle scène rap qui prend d’assaut le Québec depuis le début de la décennie, Alaclair Ensemble a souvent été perçu comme un collectif loufoque, à la forte propension humoristique. Si l’étiquette lui a servi à se démarquer de ses compères, elle a aussi nourri quelques critiques à son égard, principalement de la part de puristes plus ou moins habitués à une mouture aussi éclatée et saugrenue du rap québécois. L’an dernier, Dominic Maurais (animateur vedette de Choi Radio X) allait même jusqu’à qualifier le groupe de «Passe-Partout sur l’acide».
Juste retour des choses, le titre de ce cinquième album se veut une déclaration subtile, mais ferme contre ce genre de lecture sommaire et caricaturale que beaucoup de gérants d’estrade entretiennent à l’égard d’Alaclair Ensemble. «Le sens des paroles, c’est une réplique à ceux qui s’arrêtent à l’aspect aléatoire d’Alaclair et qui font pas l’effort d’écouter», explique Ogden. «Le problème avec eux, c’est qu’ils sont habitués d’écouter des trucs prosaïques, dont le sens se déploie sur un axe horizontal avec une réflexion qui va du point A au point B. Alaclair, c’est le contraire, ça se passe sur l’axe vertical : chaque rappeur peut faire des associations avec les idées des autres, et les propos peuvent se recouper. En quelque sorte, ça s’apparente plus à de la poésie qu’à de la prose, et ça rapporte rarement une histoire ou, même, un propos. C’est un peu pour ça qu’on dit de nous qu’on fait n’importe quoi et, sincèrement, je suis un peu tanné… Sérieusement, les gens sont capables d’en prendre plus que ça! À mon avis, y’a pas de sens objectif ou précis à chaque œuvre. Ce qui est important, c’est la génération de sens que chaque auditeur se fait. L’opinion de l’artiste est la moins importante dans le processus.»
Au-delà de cette nécessaire mise au point en guise d’entrée en matière, le collectif étoile complété par Vlooper, Maybe Watson, Eman, KNLO et Claude Bégin s’affirme avec beaucoup de mordant sur ce cinquième album, probablement son plus ambitieux à ce jour. Moins manifeste, l’humour emblématique d’Alaclair Ensemble ne semble plus être son moteur de création principal, bien que beaucoup de couplets (notamment ceux de Watson) soient encore très divertissants.
Exemple le plus convaincant de cette transformation : le personnage de Robert Nelson qui délaisse peu à peu sa prestance burlesque pour épouser des formes rap plus conventionnelles. «Le côté nasillard et farfelu de Robert devient une corde à mon arc plutôt que ma façon principale d’aborder les tounes. J’avais commencé cette transition sur l’album précédent et je crois que, là, il y a pas mal juste sur Quand même clean que je prends mon ancienne voix», observe Ogden, actuellement en train de préparer un premier album solo. «Pendant des années, j’avais besoin d’aborder le rap de façon décontextualisée, et l’humour me servait beaucoup, mais récemment, j’avais besoin de revenir à des formes d’expression plus intimes. Ça va me faire plaisir de ressortir mon personnage en spectacle ou durant une toune, un peu comme une paire de pantoufles confortables qu’on met à l’occasion, mais pas par défaut.»
Pour appuyer ce virage, le producteur Vlooper a déployé une signature trap, en phase avec les standards américains du genre. «C’est un album aussi homogène que Les frères cueilleurs, mais les proportions sont inversées. Au lieu d’être un album de boom bap avec quelques tounes plus trap comme Ça que c’tait, c’est le contraire. C’est un peu une façon pour nous de nous positionner comme des old schoolers ou des vétérans, mais qui sont pas nécessairement pris avec la mentalité ou l’idéologie qui vient avec. Oui, on aime l’ancien rap, mais on est down avec le nouveau rap, avec tout ce qu’il offre comme outils, comme façons de créer.»
Autre changement notable au menu : Le sens des paroles est le premier album de la formation depuis 4,99, son opus initial paru en 2010, à ne pas avoir été essentiellement écrit, composé et enregistré dans un chalet. «En fait, on est allés dans un chalet en janvier dernier, mais le travail avait déjà été commencé avant, depuis la fin 2016. On avait envie de prendre notre temps et de se permettre de revisiter les chansons avec du recul. On voulait moins être dans le rush du blitz et, sincèrement, je trouve ça nice de varier la formule, d’explorer une autre patente.»
Et signe supplémentaire que les temps changent, Alaclair Ensemble se permet même d’aller présenter sa nouvelle galette en Europe francophone avant d’en faire de même au Québec. «Au début, on voyait ça comme un problème, d’aller lancer notre album en France avant Montréal ou Québec, mais finalement, on a vu ça comme une opportunité. Dans l’idéologie que tout est une blague pour Alaclair, il y avait quelque chose de drôle dans l’idée de dire qu’on quitte le Québec pour partir à la conquête de la France.»
Les objectifs de la formation restent toutefois réalistes concernant cette tournée d’une dizaine de dates outre-Atlantique, sa troisième en deux ans. «C’est plus réaliste que jamais de penser que ça peut donner quelque chose, mais on n’a pas le choix de rester terre-à-terre face à tout ça. Il faut que ce soit payant de faire ces tournées-là, car ça peut pas être juste du défrichage forever, d’autant plus que certains d’entre nous ont des engagements familiaux. À date, on a clairement des bons signes, mais on n’est pas rendus millionnaires. On a des dépenses réelles, et il faut par-dessus tout que ça reste viable.»
Lancement à Québec – Impérial Bell, 23 novembre
Lancements à Montréal – Club Soda, 30 novembre et 8 décembre
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Nouveautés d’envergure //
Kevin Na$h s’affirme une fois de plus comme l’un des rappeurs les plus prometteurs de la nouvelle garde avec 4:00 AM, un deuxième projet solo produit par le rutilant QuietMike.
JT Soul présente un EP de deux titres, Bona Fide Lovin’.
White-B et Lost sont sur une impressionnante lancée ces jours-ci, comme le confirment une fois de plus la qualité de cette nouvelle chanson et le succès de son clip.
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C.p.f. redonne signe de vie avec l’excellente 1000 jours.
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Nicholas Craven signe un remix d’une chanson de Conway, rappeur emblématique de la nouvelle scène de Buffalo.
Le duo de beatmakers 4e Regiment, formé de Brand et Raiden, se fait plaisir avec une beat tape inspirée de l’univers Marvel.
4e Regiment prête également main forte au rappeur C-Nek sur cette toune de rappel.
Le grand manitou des 13 Salopards, Richman, renoue avec l’esthétique organique de sa chanson Fidji, parue cet été, avec Guet-apens.
Baggies se fait plus intimiste que jamais sur Porte-clé, un EP à la signature plus lisse que son précédent album Su’a front.
Cobna prépare son retour avec La rue, premier extrait du EP Le verre à moitié plein prévu pour le 19 octobre prochain.
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Vingt ans après la version originelle, le duo Rainmen réactualise son classique Pas d’chilling dans une version édulcorée.
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Flawless Gretzky propose ici l’une de ses meilleures chansons des derniers mois. Slept on Me met la table pour un projet complet, supposé paraître le 2 novembre.
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Mobb livre une chanson trap dépouillée, Draco.
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Anciennement connu sous le nom de Ced Lemesy au sein des WordUP! Battles, LEM$ arpente ici une production trap bien ficelée de Nicky Savage.
Membre du sextuor LaF, le producteur Oclaz se tourne vers la hip-house avec Hydro.
Le très prolifique L.A. CO$TE rapplique avec un neuvième projet en 2018 : Sir Cost A Lot Adventures Volume One, un EP mumble rap expérimental.
Le duo Heartstreets se joint à la chanteuse L’Isle (fka Ariane Brunet) sur une excellente nouvelle pièce au croisement du R&B et du hip-hop, produite par Realmind.
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Jeune coqueluche de la scène rap locale, Salimo livre cette fois une chanson pop dancehall.
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3 shows à voir //
Random Recipe rentrée montréalaise
Après avoir voyagé un peu partout à travers le monde, le trio Random Recipe arrive en terres conquises pour la rentrée montréalaise de sa tournée en soutien à Distractions, troisième album paru cet hiver.
Théâtre Corona (Montréal), 3 octobre (20h)
Le spectacle de rap Rapsody permettra la rencontre de Yes Mccan, FouKi ainsi que le duo johannais Fly Jordy & The Unknxwn.
La Boîte (Saint-Jean-sur-Richelieu), 5 octobre (20h)
Désirant célébrer son million d’abonnés Youtube, le vlogueur Mahdi Ba organise une soirée rap avec Kevin Na$h, Mike Shabb, FouKi, Dead Obies et Nate Husser.
Ausgang Plaza (Montréal), 7 octobre (20h)
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