Rap local : Sans Pression, juste la vérité
Chaque semaine, cette chronique met en lumière l’oeuvre des rappeurs et des producteurs québécois les plus intéressants du moment. Au programme : entrevue, revue non-exhaustive des nouveautés de la semaine et aperçu des prochains spectacles à voir.
Entrevue //
Sur son sixième album French AmeriKKKa, le vétéran S.P. (alias Sans Pression) fait le point sur sa vie et, tout particulièrement, sur ses 20 années de carrière au sein de la scène rap québécoise.
Frappant, le titre a évidemment une portée politique forte. «French AmeriKKKa, c’est un hommage au peuple opprimé, aux Gaulois de l’Amérique. Le drapeau des States avec les fleurs de lys sur la pochette, c’est une façon de montrer ce serait quoi si les Français avaient encore le contrôle de l’Amérique. Ça se veut provocateur, et c’est ce que je voulais… comme un clin d’œil au livre Nègres blancs d’Amérique. C’est nous, les moutons noirs du continent et, des fois, même si je suis pas moi-même quelqu’un de révolté ou de violent, j’ai l’impression qu’on a besoin des extrémistes pour nous défendre. Si on se bat pas pour notre langue, c’est vrai qu’on va la perdre. Et moi je me suis toujours battu pour cette cause-là.»
Né à Buffalo en 1976, le rappeur aux origines congolaises est arrivé dans la métropole au début des années 1980, à une époque où les tensions entre les anglophones et les francophones étaient vives. À l’adolescence, il a dû faire un choix linguistique déterminant pour le reste de sa vie. «J’allais à l’école française, mais je vivais dans un quartier jamaïcain à ville LaSalle, là où les Noirs anglos n’aimaient pas vraiment les Noirs francos. Ça se battait pas mal, à un point où nos pauses à l’école n’étaient pas en même temps. On finissait aussi nos journées à des heures différentes. Quand j’ai commencé la musique, les gens de mon coin m’ont donc convaincu de rapper en anglais, mais mon message passait mal. Le problème, c’est que j’avais pas d’exemple de rap que j’aimais en français… jusqu’au jour où j’ai entendu M.R.F. et KC LMNOP. Peu après, j’ai fait un show en français et, tout de suite, j’ai vu qu’il y avait plus d’impact. C’est là que j’ai su ma carrière allait être en français.»
Dotée d’un message clair sur les convictions politiques du rappeur, la chanson d’ouverture Québec libre aborde directement cette période de transition. «C’est vraiment mon vécu : de l’immigration de mes parents, qui sont venus ici pour avoir un meilleur avenir, jusqu’à mon choix de m’investir au Québec.»
Bref, malgré ce que son titre laisse sous-entendre, French AmeriKKKa a une dimension beaucoup plus personnelle que sociale ou engagée. Alors que son prédécesseur, Micro Drive-By, était jonché de rimes brutes et de textes impulsifs, bien souvent improvisés, ce sixième opus marque par certains textes un peu plus avisés et intimes, notamment ceux de Si tu continues comme ça et On va célébrer la vie. Hommage à son frère qui s’est enlevé la vie il y a plusieurs années, cette dernière a été particulièrement difficile à écrire. «Au début, je voulais même pas la mettre, car je trouvais l’album déjà trop sombre. Mais quand j’ai annoncé la date de sortie de l’album (23 novembre) sur Facebook, ma sœur m’a appelé et elle arrêtait pas de me demander pourquoi j’avais choisi cette date-là. À un moment donné, j’étais presque sur le bord de me fâcher parce qu’elle insistait pour savoir la raison, alors que moi, j’avais choisi ça de même, sans trop me poser de questions. C’est là qu’elle m’a rappelé que le 23 novembre, c’était le jour de la fête de notre frère. Tout de suite, j’ai vu ça comme un signe et j’ai rappelé mon équipe pour qu’on mette la chanson sur l’album. J’ai craqué… Le destin m’envoyait un signe, et c’était la décision qui s’imposait.»
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S.P. fouille également dans son passé sur La vérité, chanson qui marque une nouvelle ère dans sa relation avec Ti-Kid, rappeur qui complétait le duo Sans Pression avant qu’il devienne un projet solo au milieu des années 2000. Tendus pendant plus d’une décennie, les rapports entre les deux amis de longue date se sont améliorés l’an dernier lorsque S.P. a été hospitalisé pour une importante greffe de peau dans la foulée d’un incendie. Ensemble, ils redonneront vie à leur classique 514-50 dans mon réseau avec une réédition anniversaire en mai prochain. «C’est un des premiers qui est venu me voir à l’hôpital et, depuis ce temps-là, on a reconnecté. Cette chanson-là, c’est pour dire au monde qu’il ne faut jamais se fier aux rumeurs. Tu veux savoir la vérité? Tout est beau entre nous deux. Les histoires sont finies. Ce qu’on veut maintenant, c’est que l’industrie québécoise laisse une plus grande place au rap et que les artistes du mouvement puissent manger à leur faim.»
Vingt ans après Zone sinistrée, chanson qui l’a propulsé au-devant de la scène hip-hop québécoise en 1998 aux côtés d’Yvon Krevé, le Montréalais d’adoption reste optimiste quant à la réception de son nouvel album, même s’il admet qu’il «tombe découragé par moments».
«Les gens pensent souvent que Sans Pression, c’est une grosse machine, alors que c’est faux. La réalité, c’est que je coure partout et que, des fois, j’ai l’air désorganisé parce que je porte trop de chapeaux en même temps. Je mets énormément de temps dans ma musique et chaque gros montant que je fais, je le réinvestis là-dedans : dans le mix, l’impression de t-shirts, le graphisme… J’ai choisi de faire mes affaires de façon indépendante, et c’est le prix que j’ai à payer pour ça. Et maintenant, je ne me fais plus d’idées. Chaque fois que les jeunes artistes me demandent des conseils, je leur dis de ne s’attendre à absolument rien du rap. Je ne suis juste pus capable de vendre du rêve aux jeunes, contrairement à tous les autres rappeurs qui flashent des grosses palettes dans leur clip. La vérité, c’est qu’ils se sont probablement mis six ensembles pour ramasseur leur cash ou, sinon, qu’ils ont fait cet argent-là avec autre chose que la musique. Moi, j’embarque pas dans ce gimmick-là, car anyway, je sais que c’est pas dans la nature québécoise de flasher notre cash de même. Still, je vais quand même parler d’argent dans mes chansons à l’occasion. C’est mon côté américain qui ressort.»
Nouveautés d’envergure //
Six mois après avoir dévoilé son premier EP solo, le percutant Spirit Mode Vol. 1, Kris the $pirit poursuit sur sa belle lancée avec The Prana.
DJ au sein de Brown, le producteur Toast Dawg y va d’un puissant remix de Nervous.
Récipiendaire d’un Lucien au GAMIQ dimanche soir, le producteur électro Apashe propose un clip pour sa collaboration avec l’excellent Wasiu : Majesty, chanson la plus aboutie de son EP Requiem.
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Plus mélodieux que jamais, le collectif XXI livre un nouvel EP emo-trap aux refrains pop.
Entre trap et metal, le Montréalais MUGXTSU offre un premier EP en carrière, le brutal The Awakxning.
Plus d’un an après avoir fait paraître son EP Youth, Neko rapplique avec une proposition un peu plus audacieuse sur Bangitout!.
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Le maître Obia le chef s’allie à la sensation Rowjay sur ce remix de Zéros, chanson tirée de son éminent premier album solo Soufflette.
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LeMind témoigne d’une évolution artistique notable sur Barzzz, un troisième album en carrière et un premier sous l’étiquette Deux Monts.
De retour d’une longue tournée panquébécoise, le duo Gros Big présente GB2, un deuxième projet plus mordant que son prédécesseur.
Joce y va d’une nouvelle pièce trap psychédélique lo-fi.
Colo redouble de vulgarité sur J’me reconnais pu, extrait de son album à venir Le retour de Dessalines.
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Le mystérieux rappeur cagoulé YH se lance officiellement avec une première mixtape, Aujourd’hui ou jamais, propulsée par le clip de Félonie avec White-B.
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Le duo Jack & Kastro lance les deuxième et troisième extraits de sa mixtape Jaspora 2.0.
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Quelques jours à peine après avoir dévoilé sa mixtape honorable On da Run, Flawless Gretzky évite de faire du surplace et propose Finished, une chanson trap pop bien exécutée.
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Mori$$ Regal pose avec brio sur cette production signée Vincent Pryce et Nicholas Craven, deux excellents beatmakers au groove hip-hop originel.
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Prolifique à souhait, Nicholas Craven publie aussi deux autres beats instrumentaux.
E R R O R (de KAJ Collective) collabore avec Uzuazo et Yasmine sur l’enveloppante By Myself.
L’ingénieux producteur Jeune Xi (de Tour de Manège) a composé l’ensemble de cet EP dans un train entre Aix-en-Provence et Paris.
Deux ans après l’embryonnaire mais très prometteur An Invitation to an Emergency, le collectif à quatre têtes Brakhage revient de l’avant avec The Poem, un EP rap expérimental plus équilibré.
Le collectif polyglotte Nomadic Massive illumine le gris ambiant de l’automne avec Miwa, un EP aux teintes funk et R&B avec des touches afro-latines et caribéennes.
3 shows à voir //
J7 et Adamo (alias Gros Big) s’offrent un spectacle de lancement gratuit au Club Soda avec le groupe «reggaekeb» Okapi et le duo de youtubeurs Jemcee & Gab Joncas.
Club Soda (Montréal), 28 novembre (20h)
WordUP! X – s01e04 – TITLE MATCH
La première saison du WordUP! X atteint son point culminant avec une grande finale qui opposera notamment les deux titans du battle rap québécois Franko Bucci et Freddy Gruesum.
Coop Katacombes (Montréal), 30 novembre (19h30)
Alaclair Ensemble / Lancement à Montréal
Après un lancement à Québec la semaine dernière, Alaclair Ensemble amène Le sens des paroles à Montréal pour un spectacle qui affiche déjà complet. Les retardataires pourront se reprendre le 8 décembre prochain pour la supplémentaire.
Club Soda (Montréal), 30 novembre (21h)
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