Lomepal : «J’ai besoin d’être surmené»
En quelques mois, Lomepal est passé du succès d’estime à la gloire. Habitué aux salles pleines à craquer chez lui, le rappeur français était de passage au Québec pour deux spectacles à guichets fermés la semaine dernière. Entretien expéditif et condensé.
Quand on le rejoint dans un café de la Promenade Masson, Lomepal déjeune bien tranquillement avec ses acolytes. En tout, ils sont plus de 16 musiciens et techniciens à le suivre pour cette expédition au Québec. «On habite dans un Airbnb pas très loin d’ici. Et, pour une fois, je ne me suis occupé de rien [en terme d’organisation]. Je ne fais que suivre l’équipe.»
Le contexte est foncièrement différent de celui de juin 2017, alors que le rappeur était débarqué au Belmont pour une deuxième fois en deux ans avec ses camarades belges Caballero et JeanJass. Cette fois, le bar-spectacle du boulevard Saint-Laurent n’avait pas l’étoffe ni la capacité pour l’accueillir. Le rappeur a donc visé plus haut : le MTelus et l’Impérial Bell. «La plupart des artistes vont te dire qu’ils préfèrent les petites salles, mais ce n’est pas mon cas. J’aime voir des gens à perte de vue, j’aime quand on chante tous ensemble.»
En France, Lomepal a gravi les échelons scéniques avec une impressionnante rapidité. Quelques mois après la sortie de son premier album Flip à l’été 2017, le Parisien est passé de la Maroquinerie et de la Gaîté Lyrique (des salles de 600-700 personnes) à la Cygale (environ 1000 personnes) et à l’Olympia (environ 2000). «On a aussi fait quelques festivals, mais après, on ne savait plus quoi vendre… On a lancé quelques Zénith et d’autres salles similaires [d’une capacité de 6000 places et plus], mais pour les remplir, ça me prenait de la nouveauté. Je voulais avoir quelque chose à raconter sur ma vie d’adulte, car Flip, c’était surtout le récit de mon adolescence.»
Le rappeur a donc choisi de donner suite à son premier album au plus vite. Les premières sessions à Rome ont été parsemées de doutes. «Dès que j’entendais une instru, j’avais le réflexe de dire ‘’Ha, ça, ce sera la Bécane 2’’ ou bien ‘’Voilà, la Ray Liotta 2’’. À un certain moment, j’ai tout arrêté… Je devais cesser de penser au premier album, arrêter de penser à refaire quelque chose. J’étais insécure.»
Entre deux spectacles, le Parisien a trimé dur pour écrire de nouvelles chansons. «C’était vraiment difficile, j’étais perdu… Mais à force de gratter sur la réserve, j’ai fini par trouver des choses plus profondes à dire que sur Flip.»
[youtube]iXp9xuNi0mU[/youtube]
Le rythme intense de la tournée a fini par l’inspirer, comme en témoigne 1000°C, son duo avec Roméo Elvis. «Ça parle de burn-out, de cette idée d’enchaîner tout le temps les spectacles sans relâche. Ça donne le vertige parfois, mais en réalité, j’aime cette vie. C’est cette cadence qui me maintient en vie et, quand ça s’arrête trop longtemps, je déprime. J’ai besoin d’être surmené.»
Paru en décembre dernier, Jeannine est un album de paradoxes, de dilemmes, d’antagonismes. Heureux d’avoir atteint ses rêves les plus ambitieux, Lomepal y fait également état de ses angoisses et de son spleen post-succès. «C’est un album sur la désillusion, sur lequel je me rends compte que je ne suis pas plus heureux maintenant qu’avant. En fait, c’est le constat qu’on est toujours plus heureux quand on est sur le point d’atteindre ses rêves qu’une fois que tout est fait. Bien sûr, il y a énormément de trucs bien qui m’arrivent maintenant, mais l’inspiration, je l’ai trouvée dans les trucs plus sombres.»
L’inspiration, il l’a aussi trouvé dans sa famille. Hommage à sa défunte grand-mère qui souffrait de troubles de santé mentale, Jeannine évoque les zones d’ombre et de lumière de la folie. «J’avais envie de parler de ça, car je sais qu’il y a un tabou qui persiste face aux maladies mentales. Quand j’étais petit, ma mère me disait : ‘’Tu vois cette personne en fauteuil roulant, tout le monde va être gentil avec elle, car son handicap est visible, alors qu’une personne folle, on préfère la fuir, car on ne connaît pas sa réalité.’’ Toute mon enfance, d’ailleurs, j’ai eu peur de devenir fou. Ma mère travaillait avec avec des gens atteints de maladies mentales, et je l’accompagnais souvent dans les hôpitaux psychiatriques.»
Au lieu de critiquer le sort qu’on réserve à ces personnes souffrantes, Lomepal a choisi d’aborder la folie comme un pouvoir, celui qui nous pousse instinctivement à accomplir de grandes choses et à déplacer des montagnes. «Je n’avais pas envie de parler des trucs débiles que ma grand-mère faisaient, car oui, elle avait un côté sombre. Mais en même temps, sa folie l’a amenée à partir, à tout donner ce qu’elle avait et à prendre un billet pour l’Inde. Elle est restée là-bas des années à organiser des soupes populaires avec l’intention de sauver le monde par la nourriture. Les gens étaient bouleversés par sa motivation, sa transcendance. À mon avis, cette force de caractère est un pouvoir. C’est précisément cette détermination qui me guide et m’inspire.»