Sèxe Illégal : choisir ses cibles
Toujours aussi cinglant, mais plus grand public qu’à ses débuts, le duo Sèxe Illégal présente la deuxième première médiatique de son spectacle Légendes. Rencontre avec les artistes derrière les personnages : Mathieu Séguin (alias Paul Sèxe) et Philippe Cigna (alias Tony Légal).
D’abord, la question qui brûle toutes les lèvres : pourquoi une «deuxième» première médiatique?
Philippe Cigna : Quand on a fait notre première l’an passé au Dr. Mobilo Aquafest [NDLR : festival d’humour qu’ils ont fondé il y a trois ans avec Guillaume Wagner, Adib Alkhalidey et Virginie Fortin], la réaction du public a été super bonne, mais malheureusement, il y avait pas vraiment de journalistes dans la salle. Le rayonnement du show a donc été assez limité.
Mathieu Séguin : Pis là, on trouvait que le timing était particulièrement bon pour le relancer, car on a eu une belle année. On s’est promenés un peu partout au Québec et on a eu un peu plus d’exposure à la télé dans des émissions comme Open Mic et L’heure est grave.
Est-ce que le contenu du spectacle est similaire à sa mouture de l’an dernier?
P.C. : C’est le même squelette, mais il y a un nouveau chapeau, des nouvelles affaires, des nouvelles tounes. Après 10 ans de travail, c’est comme si on avait traversé un fil d’arrivée, comme si on avait trouvé notre recette. Sans être grand public dans le sens strict du terme, notre proposition est claire, bonne et intéressante. Je suis content de voir des gens plus vieux dans nos salles qui capotent ben raide. En fait, la plupart du temps, les gens finissent par nous aimer quand ils passent par-dessus le nom.
M.S. : Ouais, le nom… On l’a jamais regretté, car on trouve ça l’fun, mais c’est sûr que ça fait peur au monde, Sèxe Illégal.
P.C : Pis, en fin de compte, on fait probablement partie des humoristes au Québec qui en font le moins, des jokes de cul. Dans ce show-là, je crois qu’il y a à peu près juste un passage qui parle de sexualité.
M.S. : En fait, c’est Jean-François Mercier qui devrait s’appeler Sèxe Illégal!
Pour ce spectacle, vous pouvez compter sur le soutien d’un producteur (La Tribu). Vous attendiez-vous à recevoir un appui de la sorte après tant d’années à vous autoproduire?
P.C. : Sincèrement, je pensais pas qu’on y arriverait! Il y a huit ans, on a eu une entente avec une grosse boîte de prod d’humour, que j’essaie de ne plus nommer. Cette fois-ci, je vais ENCORE ne pas la nommer… (rires) Mais bon, après un mois avec cette boîte-là, on trouvait que ça s’en allait à la mauvaise place. On avait l’impression qu’on allait bientôt être tablettés. Durant un meeting, on a juste décidé de déchirer le contrat.
M.S. : Après ça, par contre, on était un peu fourrés, car toutes les autres boîtes d’humour avaient un peu le même frame. Les pourcentages de séparation des profits avaient pas vraiment de bon sens. Fallait comme donner 50% de ce qu’on faisait… À un certain moment, on a juste dit : «Mangez de la marde, on va s’autoproduire!»
P.C. : C’est cool, mais ça fatigue de s’autoproduire. C’est pas notre job! Si j’avais voulu faire ça dans la vie, je serais allé à l’École du show-business! Quand La Tribu a déposé son offre, on a donc décidé de l’essayer et, jusqu’à maintenant, c’est l’fun.
M.S. : Pis le plus intéressant dans tout ça, c’est que, quand ça va mal, on peut appeler quelque part pour donner de la marde à quelqu’un!
Devez-vous parfois mettre de l’eau dans votre vin?
P.C. : Si on a choisi d’aller avec eux, c’est que le fit était naturel, car oui, on va se le dire, on est un peu l’enfer. D’emblée, on leur a dit que personne n’allait jamais nous imposer quoi que ce soit. Oui, on peut discuter, mais on veut pas d’ingérence dans nos textes.
M.S. : Genre on veut pas d’idées de producteur!
P.C. : On sait que c’est pas mal intentionné de leur part, mais bon… La mode a beau être au stand-up très lousse à l’américaine, il y a encore des producteurs au Québec qui imposent des metteurs en scène aux humoristes. Nous, on veut rien savoir de se faire dire qu’on doit se déplacer à tel moment à 90 degrés pour aller en-dessous d’un puits de lumière. On veut notre pleine liberté sur scène, et c’était important que ce soit clair dès le début avec notre équipe.
Diriez-vous que c’est cette quête de liberté qui vous a poussés à cofonder le Dr. Mobilo Aquafest?
P.C. : Oui, la liberté sur scène, c’est primordial. À Juste pour rire, on te dit que tu peux faire ce que tu veux, mais il y a toujours une certaine censure. Personne te dit concrètement d’enlever un passage, mais souvent, tu peux hésiter à faire de quoi d’audacieux, en te disant que ça marchera pas. Maintenant qu’on a notre festival, on la voit, la vraie réalité du métier. On comprend mieux notre business.
M.S. : On a une perspective plus large sur ce qui se passe. On est capables d’appuyer nos critiques.
P.C. : Mais à la base, l’idée, c’était juste de bâtir un festival pour donner un spotlight à des humoristes qu’on aime et les laisser travailler comme ils veulent. Pour ma part, j’aurais adoré qu’on vienne me chercher en début de carrière et qu’on me dise : «Fais ce que tu veux sur scène et inquiète-toi pas trop des ventes. Oui, on veut qu’il y ait le plus possible de monde dans ta salle, mais on te demandera pas de résultats de performance. Ne stresse pas avec ça et amuse-toi!»
Vous trouvez que les jeunes humoristes d’aujourd’hui ont davantage de liberté que vous à vos débuts?
P.C. : Quand on a commencé, Juste pour rire, c’était la seule compagnie. Tu pouvais pas faire un move dans l’industrie, sans mettre le pied proche d’elle.
M.S. : Et, si tu osais dire que t’aimais pas le concept des galas Juste pour rire, tu te faisais dire de te fermer la yeule. T’étais perçu comme un cinglé.
P.C. : Maintenant, tout est morcelé, plusieurs instances se partagent le pouvoir. Le Mobilo, c’est notre bébé, mais on est tellement contents qu’il y ait des initiatives qui se développent ici et là comme le Minifest. Ça fait plus de places où travailler et, tous ensembles, on pousse pour que les artistes touchent plus d’argent avec leurs shows. On change tranquillement la mentalité de l’industrie.
C’est d’ailleurs cette «mentalité de l’industrie» que vous critiquez dans Légendes…
M.S. : Oui. On critique beaucoup la vacuité de l’humour québécois et, par la bande, on critique le fait que l’argent ne se rend pas aux artistes comme il le devrait.
P.C. : Le pire, c’est qu’en humour, on n’est vraiment pas les plus à plaindre. Les musiciens ont des gigs parfois beaucoup moins payantes que nous et, en plus, ils sont souvent 4 ou 5 à se splitter les revenus. Les gens achètent pu d’albums, ne vont plus aux shows, écoutent La Voix… En fait, ce milieu-là repose essentiellement sur la volonté de ses artisans à ne pas dire «FUCK YOU» à toute. On leur met sur le dos que la musique, c’est leur passion et que, s’ils aiment ça, ils doivent continuer à tout prix. Mais, pour vrai, c’est pas la passion de personne de manger des semelles de bottes pour souper. C’est vraiment en animant les GAMIQ qu’on a réalisé tout ça. On trouve ça plate que le public soit aussi désengagé que ça. On dirait qu’ils attendent que le nom d’un artiste leur saute au visage pour qu’ils aient la curiosité de l’écouter… Ils attendent un panneau publicitaire sur le bord de l’autoroute.
M.S. : Le cas type de ça, c’est mon père. Il est très 70’s rock et me dit régulièrement : «Y’en a pu de bonne musique comme ça au Québec…» Au contraire, il y en a jamais eu autant! T’as juste à taper «ROCK QUÉBEC» pis tu vas découvrir des groupes comme Chocolat. Chaque fois que je lui fais écouter quelque chose de même, il finit par me dire : «Tabarnak, c’est vrai que c’est bon!»
P.C. : Je comprends que c’est pas tout le monde qui a le temps de chercher de la nouvelle musique, mais l’état des choses demeure plate et inquiétant. On voulait parler de ça dans notre show, tout en critiquant le milieu de l’humour qui avance à petits pas. Des fois, je regarde des shows à TVA pis je me dis : «Quessé ça???»
Avez-vous l’impression d’être à contre-courant de ce qui se fait en humour ici? Disons qu’actuellement, la tendance est davantage à l’humour d’observation et au crowdworking (du stand-up improvisé devant public) qu’aux personnages et aux critiques virulentes…
P.C. : Un peu. Ce qui me gosse dans le crowdworking, c’est que c’est la consécration du temple du rire. Peu importe le propos ou l’absence de propos, on va croire qu’un gag est bon parce qu’il fait rire les gens. Mais, à mon avis, faut que l’humour soit plus riche que ça, sinon on pourrait tous aller sur une scène et s’écarter les fesses en lâchant un pet. Tout le monde va rire, on le sait! Il y a une responsabilité derrière l’humour. Tu as le pouvoir de ridiculiser des situations, donc tu dois choisir tes cibles.
M.S. : On dit pas que tout le monde est obligé de fesser sur le pouvoir, mais en tout cas, ça serait cool si on pouvait au moins arrêter de fesser sur le monde en-dessous…
Légendes – Deuxième première médiatique
21 mars à 20h
Le National (Montréal)
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