Eddy de Pretto : renverser la tendance
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Eddy de Pretto : renverser la tendance

Après ses passages remarqués aux Francos et au Mile Ex End l’été dernier, le maître de la chanson rap française Eddy de Pretto s’offre une mini-tournée québécoise. Nous l’avons attrapé quelques minutes à son hôtel pour discuter de sa musique et du rapport qu’il entretient avec sa soudaine image publique.

Tu nous rends visite pour une troisième fois en moins d’un an, ce qui est assez généreux de la part d’un artiste français aussi en demande que toi. Comment ta relation évolue-t-elle avec le public québécois?

J’ai adoré l’accueil au MTelus lors des Francos de Montréal en juin dernier. J’y ai ressenti une connexion vraiment puissante, qui m’a vraiment fait plaisir. Ça m’a surpris, car je connaissais pas du tout le terrain québécois. Je savais pas à quel point ma musique s’était rendue ici et si les thèmes étaient en phase avec votre contexte culturel. Dès que je suis parti, j’ai eu envie de revenir, et c’est ce que je fais en septembre lors du Mile Ex End. J’ai bien aimé l’expérience également.

Depuis ton dernier passage en sol montréalais, tu n’as pas arrêté de donner des spectacles chez toi. Est-ce que la fatigue commence à prendre le dessus?

On n’a effectivement pas arrêté, sauf peut-être une semaine à Noël. Sincèrement, j’adore ce rythme. Y’a rien de mieux que la scène dans la vie. Pour l’instant, ça va, je ne suis pas encore trop fatigué. Je suis encore très excité et je crois que c’est typique d’un premier album. T’as envie de bouffer de la scène jusqu’à en être dégoûté. On te donne et tu prends. En revanche, il y a certainement des offres que j’aurais dû refuser, mais ça fait partie de l’expérience.

Depuis tes débuts ou presque, tu es uniquement accompagné d’un batteur, Johny K, sur scène. Est-ce que tu gardes la même formule minimaliste pour tes spectacles à grand déploiement?

Oui, j’aime l’idée de garder ça simple, même sur des scènes monstrueuses. J’accorde beaucoup d’importance à la scénographie par contre. Il y a notamment un gros grillage lumineux qui m’accompagne et sur lequel je peux monter. Malheureusement, je ne peux pas l’emmener au Québec, mais c’est un mal pour un bien, car j’aime l’ambiance des salles un peu plus petites.

La réédition de Cure, intitulée Culte, est parue en novembre dernier. Sur le montage de la pochette, on te voit assis, bien calme, avec un bras énormément musclé. On y décèle évidemment un peu d’ironie, mais aussi une certaine métaphore. Te sens-tu plus fort maintenant?

Il y a beaucoup d’ironie en effet, mais il y a là aussi une façon de dire que la «cure» a marché et que mes chansons m’ont aidé à assumer qui j’étais. Cure est un album au propos très lourd, très sérieux, dans lequel je parle de ma construction sociale, du garçon qu’on attendait que je sois, celui qui ne devait jamais pleurer, celui qui devait être viril, vaillant, robuste. En fait, ce garçon que je devais être est tout le contraire de moi : un être sensible, capricieux, qui n’aime pas les sports. J’ai sorti ces émotions de manière brute, sous-tension, avec un ton très premier degré. Et là, avec Culte, je voulais renverser la tendance, en disant de manière dérisoire qu’on peut aussi rigoler de tout ça.

Est-ce que tes prochaines chansons mettront autant l’accent sur le textes et ces thèmes identitaires? Ou, au contraire, as-tu le désir d’aller vers un projet plus musical?

Moi, c’est vraiment le texte qui m’anime. La musique reste le tapis, le support, une mise en forme pour faire passer des messages. Après, il est possible que cette forme change et que je fasse un album d’afrobeat ou de salsa. L’important, c’est le message, le poids du texte, le respect des émotions.

Ton ascension a été assez foudroyante. En deux ans, tu es passé d’une curiosité très nichée, à l’époque du mini-album Kid, au rang de coqueluche qui remplit des salles de plus de 8000 places. Comment vis-tu avec tout ça?

C’est drôle. Je pensais que ça m’aurait fait plus tourner la tête, mais finalement, pas du tout. Il y a des moments vertigineux, d’autres moments relous. Reste que j’ai gardé les mêmes potes, le même appartement dans le 18e à Paris… Je suis constamment ramené à ce que j’étais, donc je n’ai pas l’impression d’avoir trop changé. ll y a peut-être juste mon compte de banque qui n’est plus le même. (rires)

L’accueil que tu as reçu à la sortie de Cure semble assez unanime. Pourtant, tu y parles sans gêne de ton homosexualité – un fait qui est assez rare dans le rap francophone. Est-ce que cette acceptation a quelque chose à dire sur notre époque?

Je n’ai pas eu trop de commentaires malveillants et, pour être franc, ça m’a étonné. J’avais peur de recevoir beaucoup d’insultes. Encore aujourd’hui, j’essaie d’étudier la question, et c’est tout récemment que je crois avoir trouvé une piste. À mon avis, mon physique est conforme aux normes sociales, et c’est ce qui fait que je ne dérange pas beaucoup. Les gens attendent souvent d’un homosexuel qu’il soit cliché, qu’il ait un style exubérant, alors que moi, visuellement, je ne réponds pas à ces attentes. Les haters sont rarement ceux qui vont écouter profondément les chansons. Ce sont plutôt les gens qui regardent leur feed et qui, choqués, vont répondre : ‘’Ferme ta gueule, va te faire foutre!’’ C’est un peu ce qui arrive actuellement à Bilal Hassani, un jeune garçon arabe de 19 ans qui porte des perruques, qui se maquille et qui représentera la France à Eurovision. Il s’est pris toutes les foudres de la Terre française, et je pense que c’est en raison de son image. Le fond n’intéresse pas les gens, du moins en premier lieu. C’est triste, mais c’est comme ça.

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