Éric Lapointe au FEQ : comme une deuxième Saint-Jean
Le gratin de la scène musicale québécoise était rassemblé sur les Plaines d’Abraham mardi soir, à l’occasion du spectacle fort attendu d’Éric Lapointe au Festival d’été de Québec. Retour sur ce que le rockeur nous avait annoncé comme «le show de sa vie».
En arrivant sur le site un peu après 20h30, on ne peut que constater l’immense popularité d’Éric Lapointe, qui se confirme de génération en génération. Aucun artiste québécois évoluant en français (mis à part Céline Dion et peut-être Robert Charlebois) n’a la carrière et le répertoire qu’il faut pour rassembler autant de dizaines de milliers de personnes sur les Plaines.
Et, pour l’occasion, notre rockeur national a l’intention de faire les choses en grand. Il le prouve dès le début du spectacle en entrant sur le site du FEQ en moto. Retransmise en direct sur écran géant, son arrivée a quelque chose d’épique, ne serait-ce qu’en raison de la musique haletante, qui semble tout droit sortie d’un suspense. Coat de cuir, lunettes fumées, visage stoïque, Lapointe débarque de son engin motorisé et fait des accolades à ses camarades, Les sœurs Boulay et Safia Nolin en ligne de front, avant de prendre un enfant dans ses bras. On aurait dit Blade qui revient au bercail comme un héros après un spectaculaire carnage de vampires.
Le chanteur monte sur scène et entonne une reprise bien musclée de L’envie, légendaire chanson de son idole Johnny Hallyday, interprétée en collaboration avec son «chum Garou». Le volume reste bien crinqué pour la suivante, la reprise éprouvée de Bobépine de Plume Latraverse, dont on semble avoir ralenti la cadence par rapport à la version studio parue en 1996. La tirade rock se poursuit sans relâche avec Marie-Stone, malheureusement minée par un Marc Dupré à la voix beaucoup trop propre pour ce genre de chanson.
«Je tenais à vous dire : salut la gang! Je suis tellement content d’être avec vous à soir. Les plaines sont pleines! Pis il fait beau!» s’exclame Lapointe. «À soir, ça va être mon party. Ça va être votre party (…) M’a essayer de faire le show de ma vie.»
C’est Terre Promise qui suit. Succès instantané lors de sa sortie en 1994, juste avant la sortie de son premier album Obsession, cette «chanson symbolique» – car «c’est grâce à elle que je me suis rendu jusqu’à vous autres» – est le premier moment de communion de la soirée. Les gens s’enlacent, se regardent en chantant, les poings fermés.
Déjà bien en sueur (faut dire que le cuir n’a jamais aidé à la transpiration), Lapointe ralentit la cadence avec une ballade rock, Belle folie, interprétée en duo avec Ludovick Bourgeois, dont la voix peine à se faire entendre à côté de celle du rockeur.
«C’est grâce à vous autres si je peux me payer la traite de même (…) Tant que vous allez être là, je vais être là!» lance-t-il, extrêmement reconnaissant, avant d’y aller d’un interlude blues signé Steve Hill, qui a toujours ce désir de faire crier sa guitare le plus fort et le plus longtemps possible. La table est mise pour Émeute dans la prison, classique de la discographie d’un certain Michel Pagliaro, qui brille sur scène par son charisme rassurant et sa longue tignasse sel et poivre. Une interminable compétition de virtuosité entre Hill et Stéphan Dufour, fidèle allié de Lapointe, plombe toutefois la reprise en cours de route.
«Une phrase que je répète à tous les shows : on n’est pas venus chanter POUR vous autres, mais on est venus chanter AVEC vous autres», insiste-t-il, enjoignant les spectateurs à former une chorale pour la toujours très efficace 1500 miles. Deuxième moment de communion.
Semblant déjà un peu fatigué, Lapointe prend une pause en coulisses pour regarder la touchante relecture de Reste là des Sœurs Boulay. Probablement la reprise la plus originale de la soirée.
La machine repart pour Motel 117. Assurées par Marcella Grimaux, les projections qui accompagnent la pièce (voir photo ci-dessous) sont tout particulièrement impressionnantes. Lapointe profite de ce moment pour prendre un bain de foule, allant jusqu’à embrasser une partisane appuyée sur la rambarde clôturée. Probablement un hommage au bec plus ou moins sollicité de Mariana Mazza deux semaines auparavant.
Les 2Frères s’amènent pour On commence à s’quitter, sans réellement amener quelque chose de plus à la chanson. C’est d’ailleurs le risque de ce genre de spectacle : ce qu’on gagne en dynamisme, on le perd parfois en pertinence.
La plupart du temps, Lapointe n’a besoin de personne pour faire rayonner ses chansons avec vigueur. Il le démontre une fois de plus avec La Bartendresse, un autre mémorable moment de communion entre lui et sa foule conquise. Il profite de cette liaison avec les spectateurs pour demander un silence général, le temps d’interpréter l’une des chansons qui lui tient le plus à cœur, Sans vous, une déclaration d’amour bien sentie à ses enfants. Mission à moitié réussie, car les fans n’ont pas vraiment envie d’arrêter de crier.
Visiblement timide de chanter devant autant de gens, Safia Nolin entame Loadé comme un gun seule. Toujours aussi juste et sensible, sa voix résonne avec une puissante intensité sur l’ensemble des Plaines et se mêle avec une étonnante fluidité à celle plus éraillée du rockeur.
Après Coupable, l’une des chansons les plus hard rock de son répertoire, Lapointe calme le jeu avec Mon ange, interprétée aux côtés d’une artiste du Cirque Éloize qui multiplie les acrobaties dans des cerceaux. On comprend la métaphore de l’ange qui surplombe Lapointe, mais à force de vouloir constamment mettre le paquet, Stéphane Laporte (qui signe la mise en scène du spectacle) enlève de la profondeur à certaines des plus grandes chansons du rockeur. C’est précisément le cas ici.
Deux autres moments dont on se serait bien passé : les reprises de Je suis malade de Serge Lama (avec Lara Fabian) et de Dream On d’Aerosmith (chantée par Colin Moore et Travis Cormier, poulain préféré de Lapointe à La Voix). «Pourquoi, lui, il a le droit de chanter une toune?» demande une spectatrice. Question légitime.
Toujours aussi énergique, Marjo ramène le spectacle vers le droit chemin avec Illégal, chanson fétiche de son groupe Corbeau, que Lapointe se plait manifestement à chanter. Il entame ensuite l’une de ses reprises les plus réussies à vie, Un beau grand slow de Richard Desjardins, évidemment absent. Voilà le quatrième moment de communion de la soirée.
On ne peut pas en dire autant de Môman, chantée avec un Kevin Parent à la gestuelle désarticulée. On ne sait pas trop quelle mouche l’a piqué, mais chose certaine, il semble y avoir de l’action en coulisses.
Plus posé, Mario Pelchat s’amène pour Ma gueule, qu’il livre avec une vive force émotionnelle. On aurait pas pu imaginer une plus belle complicité entre deux artistes aussi différents.
Le raz-de-marée d’invité.e.s continue de battre son plein : l’illustre Jean-Pierre Ferland fait bonne figure sur Qu’est-ce que ça peut ben faire?, le toujours capable Martin Deschamps se démarque sur la salve Priez! et l’hyperactive Marie-Mai tente de voler le show en se lançant partout sur Ce soir on danse à Naziland. «T’es assez déconcertante. Tu dansais pas de même en répétition», lui lance d’ailleurs Lapointe, un peu déboussolé par l’ampleur de la situation.
Les deux artistes se retrouvent ensuite au milieu de la scène pour une réinterprétation de la ballade la plus prisée des karaokés depuis l’an dernier, Shallow de Bradley Cooper et Lady Gaga. «Je pense qu’on est deux artistes comme dans le film», estime le rockeur, avant d’incarner Cooper avec un résultat moyen. Bref, à retravailler.
Le sprint final du concert s’entame avec Le ciel de mes combats, qu’il livre à fleur de peau comme d’habitude. Rupture de ton considérable avec Les Boys, chantée avec peu de rigueur par Kevin Parent et Ludovick Bourgeois. Mais, on pardonnera rapidement, car le clou du spectacle se dévoile : L’Essentiel, interprétée avec nul autre que Ginette Reno, applaudie à tout rompre par une foule suspendue à ses lèvres. On en aurait pris plus.
Autre rupture de ton : Le Boys Blues Band, cette fois avec Garou, Travis Cormier et… Marie-Mai. Drôle de façon de terminer un spectacle, mais on se doute bien que le rappel en vaudra la peine.
Troquant le coat de cuir contre le coat de jeans, Lapointe revient sur scène et rend un hommage bien senti à son bon ami Roger Tabra, poète et parolier décédé il y a quelques années. Il lui dédie l’immortelle N’importe quoi, chantée à pleins poumons par l’ensemble de la foule. Ultime moment de communion.
Enfin, Louis-Jean Cormier et Justin Boulet se joignent à Marjo et Marc Dupré (curieusement vêtu d’un chandail des Sex Pistols) pour la grande finale : La voix que j’ai, chanson du grand Gerry dont les paroles semblent avoir été écrites sur mesure pour Lapointe.
À la toute fin, la vingtaine d’artistes invités se joignent au curieux quintette. L’image est belle à voir. On se croirait en plein concert du 24 juin.
Il est là l’immense pouvoir d’Éric Lapointe : rassembler.