La fausse nonchalance de Mon Doux Saigneur
Avec Horizon, Mon Doux Saigneur sort des sentiers folk lo-fi pour rouler à vitesse modérée sur une route plus claire et ensoleillée. À quelques heures d’une session d’écoute de l’album au Cinéma Moderne, on s’est entretenus avec Émerik St-Cyr Labbé, auteur-compositeur-interprète et leader de la formation montréalaise, pour en apprendre davantage sur les horizons qui se dessinent sur ce deuxième album.
On a presque fini notre café quand Emerik St-Cyr Labbé passe la porte de l’établissement, trente minutes après l’heure fixée. Une situation aux airs de déjà-vu, rappelant ce jour d’été fatidique de l’été 2017, juste avant la sortie de son premier album, où on l’avait attendu aussi longtemps, avant d’apprendre par l’entremise de son attachée de presse qu’il avait plutôt choisi de partir à Natashquan sur un coup de tête.
Cette fois, au moins, il ne nous a pas complètement oubliés. Au contraire, Emerik est en pleins préparatifs en vue de son lancement d’album, ce qui le tient loin de ces idées de trips improvisés à la dernière minute. «Mais quand je décide d’y aller, j’y vais. Sans vraiment y penser», dit-il, comme pour nous prouver que, malgré ce focus plus sérieux, il n’a pas vraiment changé.
Chose certaine, la nonchalance de St-Cyr en entrevue traduit mal ce qu’il semble être dans la vie de tous les jours : un gars d’action. À peine quelques mois après la sortie de son premier album homonyme, il était déjà de retour en studio avec ses fidèles acolytes David Marchand, Eliott Durocher-Bundock, Etienne Dupré et Mandela Coupal Dalgleish. «J’avais envie qu’il se passe de quoi tout de suite, mais j’étais pas prêt pour un album», explique-t-il.
Puis, en juin et octobre 2018, deux chansons issues de ces sessions, Tempérance et Mythologie, paraissaient sur son Bandcamp, laissant entrevoir une signature plus étoffée, ou du moins, pas aussi volontairement lo-fi qu’avant. «Avant, j’écrivais les tounes chez nous, et chacun amenait son truc par la suite, mais là, j’avais envie qu’on travaille plus comme un band, de manière plus concise. On est une gang d’amis ben proches dans la vie, il fallait que cette amitié-là s’entende. On a tout enregistré ça live, en même temps. Ça a transcendé le folk guitare-voix.»
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Les autres sessions de l’album ont été marquées par ce même esprit de camaraderie. Par ce même raffinement des arrangements aussi. Plus libre et déliée, la voix de Labbé s’avère moins monotone, plus riche. «C’est qu’on a doublé les pistes vocales. C’est comme une technique pour faire en sorte qu’on entende mieux ma voix, car je suis pas un choriste ou un grand chanteur», admet-il. «Mais sur Content, par exemple, on a rien doublé, et y’a un autre effet qui apparait.»
Un effet plus brut, plus vrai, en phase avec le texte de la chanson, probablement le plus intime de l’album. «L’autre fois t’étais plus là c’est pas drôle / Mais là, c’est plus ça, tu le vois où tu vas», y chante doucement Labbé, avec une émotion discrète, mais palpable. «Je me parle à moi et à mon père, qui est décédé… qui s’est suicidé en 2016. J’ai eu de la misère à faire la toune en studio. J’ai demandé aux gars de sortir. On était juste moi et Jesse Mac Cormack (qui a coréalisé l’album avec Tonio Morin-Vargas). On est allés chercher autre chose. En show, on risque de faire aussi une petite parenthèse solo de même. Une petite cérémonie avant de revenir aux festivités.»
En trame de fond de son premier album, la mort de son père est ici abordée de façon plus frontale. «C’est un rite de passage, la fin d’un cycle. Ça me rappelle que je suis passé au travers, que j’ai retrouvé le sourire, la lumière. C’est sûr que si j’oublie de penser (à lui) une journée, ça finit par me rattraper. Ça va toujours m’habiter, mais je suis content de passer la majorité de mes journées à chercher plus de lumière.»
Autrement, Horizon parle surtout d’amour et d’amitié. Parfois avec une candeur tempérée (Patience, Hook II), d’autres fois avec une prudence avisée et un certain recul analytique (Mythologie, Traîne Marie). Si l’essentiel des textes sont d’abord improvisés, Labbé s’est assuré de les travailler à juste titre. «Au début, j’veux laisser parler mon subconscient, histoire de voir si y’a des trucs qui ont du sens. Après, je tasse ce qui se dit pas bien ou qui a pas du tout de sens. J’y vais pour une balance entre les deux. Pis j’ai gossé longtemps pour certaines phrases. C’était quasiment religieux de respecter l’automatisme avant, mais là, je voulais que ça brule et que ça tiraille et que ça chatouille en même temps. Je voulais faire des phrases qui vont vivre longtemps avec peu de choses.»
Comme quoi? «Genre : ‘’Il y a du monde pour qui l’amour est un oeil sous la peau qui se préserve’’» répond-il après avoir un peu hésité, en citant la chanson Maudit. «Dans ce cas-ci, ‘’préserve’’ peut autant se rapporter à ‘’amour’’, ‘’oeil’’ ou ‘’peau’’.»
«Et : ‘’T’es allé haut, t’es allé bas / T’es allé loin, t’es allé de l’autre bord’’» ajoute-t-il, en citant Aller. «Ces phrases-là me sont apparues en jouant de la guitare, juste comme ça, mais je les trouve très riches. Ça peut autant se rapporter à moi qui suis bipolaire qu’à mon père qui est allé l’autre bord. En même ‘’l’autre bord’’, c’est quoi? Ça peut autant référer à un voyage ou à la mort qu’à quelqu’un qui sombre dans une dépression. Ça représente aussi l’autre côté de la médaille.»
Dernièrement, c’est le voyage qui a incarné cet «autre bord». Avec la réalisatrice Frédérique Bérubé, l’artiste est parti en Californie filmer pas moins de cinq vidéoclips. «Au début, c’était supposé être juste un, mais on a tellement improvisé d’affaires sur place que ça nous a motivés. Juste avant qu’elle reprenne l’avion, je lui ai dit : ‘’Fais juste te rappeler qu’il y a six tounes qui ont pas de clips, donc si t’as des idées, empêche-toi pas.’’»
Bien au-delà de la mission ou, même, de la destination, c’est donc le parcours qui guide Emerik St-Cyr Labbé. L’été, cette envie de prendre le large est d’ailleurs plus forte que tout. «Ce que j’aime, c’est être en char, mettre de la musique, bouger un peu, camper quelque part en chemin. C’est là que j’oublie mon téléphone, mes obligations. C’est la route qui me grounde.»
De là ce titre tout simple, mais on ne peut plus significatif dans le cas qui nous intéresse : Horizon. «L’horizon, c’est grandiose dans ma tête. Quand tu vois le paysage devant toi, tu la vois la ligne, la grandeur, l’espace, la liberté.»
Et quand l’appel de l’horizon frappe, celui de Natashquan par exemple, tout le reste prend le bord.
Horizon (Grosse Boîte) – disponible le 31 janvier 2020
Lancements : le 13 février au Théâtre Fairmont (Montréal) et le 5 mars au D’Auteuil (Québec)