Le spectacle commence avec l'énumétion savoureuse de tout ce qui est désir. De tout ce qui mêne à l'absolu. Le ton était donné, j'exultais déjà.
Combien de temps faut-il pour que soit créé un monde? Avec ses montagnes, son ciel et ce qu'il a de vie? Un monde d'envie et de désir… C'est à la création d'un monde que nous assistons dans les premiers moments du spectacle.
Gargantua Photo: Alexandre Larouche |
Dans le Gargantua du Cri, les manipulateurs sont comme autant de dieux imparfaits qui se seraient fondus dans le paysage. Des enfants titanesques, indociles et indisciplinés, qui joueraient avec la vie, acceptant de transgresser les règles de leur propre jeu. Ce n'est pas la justesse de leurs gestes, ni exactitude de la mesure chorégraphique qui suscite l'intérêt… Un enfant ne demande pas à son jeu d'être parfait. Il lui demande d'être un jeu. Ce serait abus de cliché de dire que les sept comédiens ont l'air de s'amuser. Ils ont plutôt l'air d'enfants plus grands que nature qui s'amusent, simlement.
Photo: Vicky Côté |
Bémol à apporter. Les marionnettes (parce qu'elles sont nombreuses) représentant le grand Gargantua manquent peut-être un peu de poids, n'acquérant jamais plus que la prestance d'une poupée. Évidemment, c'est un choix justifiable, puisqu'on voulait que les objets demeurent bruts. Or, le Gargantua ne semble pas prêt à accueillir avec autant d'abus ses jouissances légendaires.
Ce qui entraîne la réflexion la plus intéressante – et ne serait-ce que pour la susciter, le spectacle vaut la peine d'être vu – c'est la façon dont le spectacle arrive à trouver la beauté là où on n'a pas l'habitude de la voir. Des corps diformes et gras (je ne parle pas des comédiens eux-mêmes, mais des costumes, vous l'aurez compris) donnent l'impression de sculptures de chair plantureuses, opulentes. À une époque où les critères de beauté des organisateurs de défilés doivent respecter des règles assurant un poids minimal aux mannequins, réussir à faire jaillir la beauté de ces êtres diformes est tout un exploit.
Parlant de beauté, quelques tableaux ont été franchement bien exécutés, et le coup d'oeil, esthétiquement, avait de quoi éblouir. Je pense à la chorégraphie foetale lors de l'accouchement de Gargamelle… Et à la grande guerre contre Pichrochole…
Enfin, il faut sans aucun doute souligner le défi que devait représenter cette production pour les comédiens qui en font partie. Arriver à travailler avec tous ces objets, autant de contraintes – d'obstacles – au bon déroulement de la pièce… Si mon premier réflexe a été de me dire que c'était peut-être trop, il faut admettre que l'excès était tout indiqué dans une pièce ayant Gargantua pour sujet et pour objet.
J'ai été bousculé, hier soir. Ce n'est pas une conséquence du propos de la pièce, ni de la façon dont c'était joué; je n'ai pas été choqué. En fait, je n'ai aucune espèce d'idée de ce qui a pu se passer. Mais quelque chose en moi a été dérangé. Et que je ne sache pas pourquoi ne fait qu'augmenter mon plaisir au centuple.
Petit conseil… Lorsque vous aurez acheté votre billet, un bref aperçu de l'histoire de Gargantua peut être un bon préalable (sans pour autant être nécessaire) pour bien suivre l'histoire du personnage légendaire.
Bon spectacle (et j'attends vos propres commentaires…)
J’en reviens de ce Gargantua (presque, ça fait quand même quelques heures). Ayant lu le bouquin il y a des années, je fus ravi ; non pas de me faire raconter le bouquin que j’avais traversé (puisqu’on raconte à peine ici, peut-être pas assez pour certains), mais plutôt d’avoir été arraché de mon siège pour me planter, carrément immobilisé, des rêves plein les paumes et les plantes, à regarder (car c’est un spectacle qui se regarde, qui s’entend à peine), à me faire enfant, l’instant d’une soirée trop courte, à être ébloui, bercé puis ravi.
Décidément, Guylaine Rivard ne me déçoit jamais.