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Le rôle du lecteur

C'est fou ce qu'on reçoit des courriels, quand on est journaliste culturel. Surtout lorsqu'on ose signer une chronique hebdomadaire, parce qu'alors on s'implique personnellement dans nos textes, ce qui a le don d'exciter la controverse. Je les lis tous, parfois avec un certain délai, mais tout de même.

Parfois gentils, souvent informatifs, quelques uns se permettent de délicieuses envolées philosophiques qui me divertissent à souhait. En effet, j'aime être surpris par les idées un peu saugrenues – et pourtant sérieuses – de certains lecteurs. Je me demande d'ailleurs ce qu'il advient de Jack London, qui me léchait-timbrait ses réflexions les plus percutantes…

Parfois, trois ou quatre lignes suffisent pour me faire passer un bon moment en votre compagnie. D'autres fois, je me trouve chanceux de pouvoir suivre avec vous une réflexion un peu plus profonde, jetant un éclairage nouveau sur ces lieux un peu sombres que nous sommes trop peu à aimer défricher…

Ça m'émeut toujours de devenir le lecteur de mes propres lecteurs. L'inversion des rôles me donne une bonne dose d'énergie – même lorsque nous ne sommes pas d'accord – me confronte, m'excite et me fait réfléchir.

Les courriels les plus touchants sont souvent ceux d'artistes desquels j'ai pu parler, dans le journal ou sur ce blogue, qui ressentent l'urgence de me remercier – comme si je faisais oeuvre de charité… C'est drôle, tout de même. Je n'ai pourtant pas la gueule pleine de fleurs. Ou alors j'en choisis qui ont quelques épines bien placées.

Il m'est arrivé de recevoir certains courriels d'une rare (heureusement) agressivité, habituellement anonymes. Disons que le tact n'est pas par tous partagé… (Moi-même, j'en use parfois avec parcimonie, malgré les efforts que je déploie pour retenir les élans de quelque transport.)

Parfois je divise le lectorat du Voir. Difficile de toujours rallier tout le monde à sa cause sans se résigner à ne rien dire. D'une voix je reçois des louanges – et même quelques flagorneries -, de l'autre on me rabroue et on me renvoie à mes leçons, parfois à tort, parfois à raison (je ne suis rien de plus que quelque chair douée de pensée, avec ses limites et son désir d'avancer).

Oh, j'en ai dit des bêtises. Je suis même un peu alarmiste (euphémisme). C'est arrivé à quelques reprises dans les dernières semaines, ce que m'a reproché un récent courriel…

Alors que je prône le dialogue culturel, je réponds peut-être trop peu à ceux qui m'interpellent. Aussi ai-je décidé de répondre à celui-ci. Évidemment, le blogue n'en devient pas pour autant un forum de discussion, mais il se voulait tout de même un lieu de rencontre entre différents points de vue – je trouve d'ailleurs déplorable que les gens préfèrent encore l'anonymat des courriels au carrefour du blogue.

Voici donc des extraits du message de M.B.P.

"Jer (sic) suis désolée de te dire ça [quand ça commence comme ça, on sait que ça ne sera pas très flatteur] mais j'ai un peu de rogne à ton égard (1) parce que des fois tes séances de masturbation (2) philosophiques me saoulent (3)…." [M.B.P.]

1) En général, les gens qui écrivent à des journalistes savent bien faire la part des choses entre ce qui est dit et l'individu qui le dit. C'est lorsqu'on s'adresse à un chroniqueur que la nuance est plus difficile à cerner, puisque dans cette fonction, on utilise en général le JE, et on donne son point de vue, s'exposant à des attaques ad hominem plutôt qu'à une argumentation sur le fond.

2) On sait depuis un certain temps que la masturbation ne rend ni sourd, ni fou. Une large partie de la population la pratique sans que ce soit anormal – d'aucun avouera même trouver ça agréable.

3) Je suis tout de même heureux d'avoir pu contribuer à votre ivresse, même si elle semble vous avoir donné mal au coeur.

"Au lieu de chialler (sic) que la culture se meurs (sic) et s'agonise (sic) au saguenay (sic) il serait peut etre (sic-sic) temps que tu nous offre (sic) une autre facette de cette culture (4)(5) pour qu'on essaie du moins de la réanimer…(6) sans vengeances (sic) ni rancunes (sic)…(7) [M.B.P.]

4) Sur les seize pages de notre journal, je n'en utilise que quelques colonnes pour élaborer mes élucubrations à propos de mes préoccupations culturelles. Il s'agit de billets d'humeur, d'envolées plus ou moins littéraires (et/ou philosophiques, c'est un péché somme toute mignon), sans prétention autre que celle de divertir, meubler quelque temps d'attente, outre peut-être celle de susciter un quelconque intérêt pour le fait culturel. Le reste du journal s'applique justement à faire vivre la culture dans la région.

5) En entrevue avec Jean-Pierre Girard, de Radio-Canada – peut-être aurez-vous manqué son émission – je prônais un pessimisme positif – aussi absurde que cela puisse paraître. Ce que je voulais par là signifier, c'est l'importance de bien voir le problème, de craindre le pire, même, mais de façon à mieux imaginer des solutions qui pourront être efficaces. Ignorer un problème me semble la pire façon de le régler.

6) Très heureux de savoir que vous vous considérez comme faisant partie de la solution. Je vous trouve plus négative que moi, par contre. Je ne crois pas que la vie culturelle du Saguenay-Lac-St-Jean soit déjà inerte. Je crois justement qu'elle est encore vive et qu'il faut simplement lui éviter de faire quelque mauvais pas.

7) Vraiment sans rancune. J'entends votre commentaire comme porteur de beaucoup d'espoir. Ça fait toujours beaucoup de bien de savoir que d'autres ont envie de se battre pour la même cause.

Ah, maintenant je me souviens pourquoi je ne réponds pas plus souvent… Ce billet est définitivement trop long.

Vous avez des suggestions ou des commentaires? Vous voyez, je ne suis pas bien méchant, et j'aime vous lire.