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Le corps réinventé, l’expérience Marie Chouinard


Le corps trouve des expansions dans les accessoires; il devient malgré eux, à travers eux.(Interprètes: David Rancourt, Lucie Mongrain.)
Photo: Marie Chouinard
 

J'ai vécu l'expérience. Voilà, c'est dit. Il y a des événements qui chambardent votre vie.

Un désastreux concours de circonstances m'avait presque convaincu de rester à la maison. Seul avec mon fils, ma jeune gardienne s'était désistée à la dernière minute, et je me trouvais devant le néant. Soit je manquais le spectacle de l'année – vous aurez compris que je parle de bODY_rEMIX – soit j'y allais avec mon fils.

Eh bien, nous y sommes allés.

Après avoir essuyé quelques commentaires du genre "je ne savais pas que les enfants avaient le droit d'assister au spectacle", nous avons pris place parmi l'assistance. Je maugréais intérieurement en me disant que des milliers d'enfants étaient branchés sur leur télé au même moment, en train de se gaver des images les plus atroces ou les plus dégradantes, qui de surcroît ne leur seraient jamais expliquées… Alors un peu de peau, sans véritable connotation sexuelle – à moins de la chercher dans chaque geste – ne lui ferait certainement aucun mal.

 
Interprètes: Kirsten Andersen, Carla Maruca.
Photo: Marie Chouinard

Nous partagions à peu près la même excitation, discutions de nos attentes… Lorsqu'enfin a commencé le spectacle, c'est avec la même béatitude un peu naïve que nous avons accueilli le travail de la compagnie Marie Chouinard. En plus de profiter de cette mise en scène grandiose de la résilience du corps humain, j'ai pu voir le regard extraordinairement vierge de mon fils se gaver d'autant de beauté; les corps rendus difformes des danseurs, devenus des êtres impossibles, à la fois monstrueux et beaux…

Après une vingtaine de minutes, fiston s'est mis à cogner des clous, évidemment. Si j'avais pu, à cinq ans, m'endormir sur cette musique, bercé par les images fortes proposées par les danseurs, voyant à quel point l'être humain peut être beau, je crois que ma perception de la vie aurait été tout autre.

Il a dormi comme un loir pendant la plus grande partie du spectacle. Ce qui ne l'a pas empêché d'en profiter – au moins des vingt premières minutes. Il n'a que la danse aux lèvres depuis. Et aux extrémités, n'en déplaise aux voisins…

Et moi. Eh bien. En plus de voir la plus belle performance de danse contemporaine que je n'avais jamais vue – j'avoue que mon expérience n'est pas très grande à ce sujet, mais la renommée de Marie Chouinard laisse croire que je ne suis pas le seul à avoir apprécié – j'ai vécu l'un de ces moments parmi les plus doux qu'un père puisse vivre avec son fils. Nous étions seuls (parmi la foule) et bien, et je profitais de chaque minute – du spectacle autant que de ce contact filial devenu trop rare. Je me suis rappelé quand cet enfant était encore poupon, alors qu'il devait chaque soir, pour s'endormir, fermer les yeux dans nos bras.

L'expérience s'est soldée par une ode à la vie. Ce qui s'est produit se trouve bien au-delà des mouvements effectués par les danseurs, même si leur performance a été parfaite. Il est question d'attentes très élevées, et pourtant comblées, et d'un bonheur tout personnel amplifiant la beauté de la situation. Comment ma lecture de l'oeuvre aurait-elle pu être autrement? Tout était simplement parfait.

Et si certains ont reproché au spectacle, à tort ou à raison, de présenter plusieurs solos simultanés, personnellement, je trouve que le spectacle n'en respectait que mieux la vie. Parce que dans la vie, on ne peut ni tout voir, ni tout comprendre. On n'a qu'un point de vue, il faut simplement apprécier ce qu'il nous offre.