Drôle, tout de même. Comme les meilleures intentions sont parfois détournées.
Dans sa réponse à ma chronique de cette semaine, Madame Carole Girard fait référence au fait que j'aie refusé de commenter un texte qu'elle m'avait fait parvenir. Je n'ai sans doute pas été généreux autant que d'autres (Madame Girard cite Judi Richards) qui auront fait l'exercice.
Si je reviens sur ce sujet, c'est que d'autres aussi m'ont fait parvenir des textes, et chaque fois j'ai décliné l'invitation. Et je continuerai de le faire.
J'ai pourtant reçu quelques petits bijoux de poésie. Des envois qui m'ont fait un bien fou. Encore tout dernièrement, je recevais un long courriel, bien tourné, à la fois gratuit et mordant. J'ai été déstabilisé par la surprise, comme si on avait injecté tout à coup un peu de poésie dans ma journée et que j'en avais été dopé. C'est sans doute ce genre d'événement inattendu qui rend le plus agréable mon travail. (Vous vous reconnaissez, alors acceptez cet hommage.)
Là où je décroche, c'est qu'on me demande de critiquer un texte personnel, qui n'a jamais été publié. Parce que si je verse dans l'éloge, on se fera beaucoup d'espoirs, et ça ne signifie pas que les maisons d'édition abonderont dans le même sens. Et si je remets en question certains détails, je pourrais nuire à la vie d'un manuscrit qui pourtant en aurait valu la peine.
Je n'ai pas la science infuse. Il n'y a pas de recette pour être publié – et pour les maisons d'édition qui adhèreraient à l'idée d'un canevas préétabli, ça me semble ne pas valoir un clou (ce qui n'empêche pas des milliers de personnes de lire et d'aimer lire ce type de roman, ce qui prouve encore à quel point on ne peut se fier à moi pour savoir ce qui mérite ou non d'être publié).
En fait, ce que je crois, c'est que chacun devrait se faire confiance. Si untel a trimé dur sur un manuscrit, qu'il aime sincèrement ce qu'il a fait, qu'il en est fier, il devrait soumettre encore et encore son texte aux maisons d'édition les plus propices à l'édition du genre qu'il a choisi. Car si 90% des manuscrits sont refusés, ça ne signifie certainement pas que 90% des textes n'avaient pas de valeur. Beaucoup trop de facteurs influencent les choix qui sont faits par les maisons d'édition.
L'important dans tout ça, c'est de se respecter. Parce que si ce untel aime vraiment ce qu'il a fait, d'autres pourront l'aimer aussi.
Et l'échangisme, dans tout ça?
Lorsque dans ma chronique je décoche quelques flèches (somme toute gentilles) à Andrée Watters, je n'oppose pas la chanson au genre romanesque. Je suis moi-même tout à fait COUPABLE D'ÉCHANGISME CULTUREL. Je pense à Striboule, de Plume Latraverse, je pense aussi au roman de Jean Leclerc… Et à l'inverse, il y a les auteurs qui ont agi comme paroliers (je cite Bruno Roy, mais pensons à Réjean Ducharme qui a écrit entre autres pour Charlebois)…
Ce qui a inspiré ma chronique n'est donc pas le passage de la chanson au roman. Pas du tout. Peut-être même que Madame Watters réussira à nous pondre une oeuvre incontournable, qui sait? Je le lui souhaite sincèrement. C'est plutôt le fait qu'elle ait insinué que le roman la libèrerait de toutes contraintes qui m'a dérangé. Bien d'autres avant elle ont tenté d'amenuiser les difficultés vécues par les romanciers, souvent avec bien plus de virulence – en fait, elle ne méritait peut-être pas d'être nommée dans ma chronique. C'est vrai, qui me dit, au fond, qu'elle ne travaille pas déjà d'arrache-pied à son roman? Qu'elle ne connaît pas les contraintes qu'impose ce genre?
Le plus triste, c'est que même certains auteurs contribuent à fausser cette image, arguant qu'écrire est un jeu. Ils semblent considérer que leur travail est encore plus valable s'il est facile, les transformant du coup en génies. Or, je suis de ceux qui croient encore que le travail est important – peut-être suis-je en cela un irréductible à notre époque?
Drôle, tout de même. Comme les meilleures intentions sont parfois détournées. En écrivant ma chronique, je pensais justement à ceux qui, comme Madame Girard, m'ont fait parvenir des textes qui seront peut-être – ou peut-être pas – publiés. Des auteurs qui n'ont pas encore de reconnaissance et qui pourtant travaillent avec passion, même en n'ayant aucune certitude quant à l'avenir de leurs écrits. Qui jouent à écrire comme d'autres jouent à la loterie, mus par un besoin irrépressible, dépendants à la fiction ou à la poésie. Je me disais qu'on n'a pas le droit de réduire la portée du travail de tous ces auteurs, qui "rushent", qui pleurent, qui se démènent, qui croient puis désespèrent… Puis croient encore, heureusement.
Et c'était égoïste, aussi. Je pensais à moi, à mon travail, à ces textes qui s'empoussièrent dans mon classeur. Je pensais à tout ce temps qu'on ne compte pas parce qu'il faut nécessairement, aujourd'hui, considérer l'écriture comme un passe-temps, un à-côté amusant, un loisir comme un autre.
Et voilà qu'on me taxe d'avoir une attitude élitiste…