Je ne sais pas l'heure qu'il est. Dehors, c'est la brunante. À l'intérieur, c'est le blackout. Je peux encore me fier sur la batterie de mon portable pour une heure environ.
C'est l'Hydro qui a envoyé son armée pour réparer un poteau chancelant en face de la maison du voisin. Ils ont dû couper le courant. Et me voilà en panne. Et me voilà en crise.
Dehors c'est la brunante. À l'intérieur c'est le blackout. Et moi je n'ai rien à faire. Y'a pas à dire, je dépends. L'Hydro me tient par les couilles.
Ce n'est pas ma seule dépendance. J'en ai quelques unes dont je ne prends conscience qu'en cas de manque. Je déménageais, dernièrement. Et avec moi, les bureaux de la rédaction du Voir Saguenay/Alma. Et je me suis retrouvé sans Internet. Ouch. Pas facile.
C'est le genre d'outil dont on peut dans les faits aisément se priver. J'veux dire, je peux manger mes toasts le matin sans être branché sur le web, et je n'ai aucun symptôme physique grave lors du sevrage, ni crise d'hyperventilation, ni irruptions cutanées, ni démangeaisons désagréables. Mais tout de même. Mon fournisseur Internet me tient aussi par les couilles. Il semble bien qu'il ne m'en reste même plus une pour moi. C'est un peu ça, être dépossédé. Faudrait voir avec les descendants des victimes du grand Dérangement.
Le problème, c'est que lorsqu'on a accès à l'Internet, c'est tellement utile qu'on développe la manie de s'en servir pour tout. Pour écouter la radio, savoir la météo, connaître les films à l'affiche, lire le journal – on commence évidemment par le Voir, s'entend – faire ses transactions bancaires, se dégourdir le poignet ou prévoir ses vacances, réserver un avion, commander un livre, savoir comment isoler sa maison, comment planter de la vigne près de la cheminée. Bref, si généralement tous les moyens sont bons, dans ce cas, c'est plutôt tous les prétextes sont bons pour se servir du moyen.
Tout ça pour dire que, seul dans le blackout, je n'ai trouvé que mon portable pour me dégourdir l'esprit. Mais il semble bien que j'ai surestimé l'énergie qu'il pouvait avoir pour me tenir compagnie. Alors je retournerai à ma solitude, au sombre écho du vide, en attendant que revienne mon amoureuse, ma méthadone.
Tiens, la voilà.
Félicitations!
Il ya longtemps que je voulais vous écrire pour vous dire que j’aime votre style. C’est de l’air frais dans notre univers médiatique.
Vous savez mettre de la poésie dans tous les évènements de la vie dont la perte de l’électricité et par le fait même d’Internet…Bravo!
Il y a toutes sortes de dépendances. Certaines dont nous voudrions volontiers nous passer et d’autres que nous voudrions éternelles et qui nous tiennent le cour, mais sans nous mettre la corde au cou. L’électricité dont je ne pourrais pas me passer, c’est celle qui m’illumine du dedans. Celle qui m’électrise au contact de l’autre. Celle d’une passion qui allume ma créativité qui s’assombrie certains jours, par la monotonie de la quotidienneté ou par l’absurdité de ce que je ne peux pas changer.
Le « blackout » que je crains le plus, n’est pas tant celui qui sans « l’Hydro », risquerait de plonger ma maison dans le noir, mais c’est bien celui qui noircis les pensées et qui fait que l’on cherche parfois la lumière au bout du tunnel. Je veux bien consommer à outrance l’énergie qui voyage sur une ligne de transmission fait de regards lumineux et de touchers qui font frissonner sans avoir froid.
Quand tout flanche d’une réparation sur un poteau électrique chancelant, profitons de ce moment pour nous brancher au-delà de l’inforoute qui d’un coup de clique, nous donne le sentiment de liens. Faisons une cure de désintox des pixels qui organisent ce que nous voulons communiquer, mais qui n’est pourtant pas mathématique. Sevrons-nous de la souris qui clique les liens cybernétiques sur un clavier sans vie et devant un écran fait d’une page blanche de lumière artificielle. Quand ça flanche, il y a encore possibilité qu’une main fasse corps avec un crayon qui danse sur un papier vierge, à la lumière d’une chandelle, s’il le faut.
Qu’est-ce qu’il y a de pire qu’une panne de désir, panne d’inspiration, panne d’énergie physique ou psychologique ?
Je suis une romantique finie et même si la techno me donne le sentiment de ne pas être isolée du monde, quand derrière portes et volets clos, je vais à la rencontre de mon complice des 20 dernières années, alors l’hydro peut bien prendre son temps pour réparer la panne.