Je me demande: quand peut-on déclarer la mort d'un poète?
Je suis préoccupé par ce que devient Richard Desjardins. Je n'ai fait qu'effleurer la question dans ma dernière chronique (La pire erreur) et pourtant j'aurais pu la faire entièrement sur le sujet. Richard Desjardins est-il encore un poète?
Dans L'erreur boréale, on a entendu Desjardins user de son verbe le plus beau au profit de sa cause. Ses tournures avaient de la poigne, du mordant. On l'a même entendu chanter – on se souviendra de cette scène poignante où il chantait avec son père, et me revient en mémoire quelques paroles de cette autre chanson, "j'connais pas l'nom des étoiles dans le ciel, ni des rivières, ni des oiseaux, honte à moi trop souvent j'connais pas l'ch'min qu'i'm'faudrait prendre pour être content"…
Au lieu de ça, on le retrouve dans le décor pasteurisé d'une bibliothèque ou d'un salon de luxe, comme s'il n'était plus qu'une voix, ou une image utile à cette cause qu'il veut défendre. Aucune trace de ses chansons, même s'il en a chanté plusieurs qui s'intéressaient directement à la cause des Amérindiens.
Il se sera rangé, répondant ainsi aux critiques qu'avait essuyées le documentaire choc sur la situation de la forêt boréale à sa sortie. C'était avant que le gouvernement et les principaux acteurs visés ne soient forcés d'admettre que derrière la poésie, il y avait une indéniable vérité.
C'est une défaite, pour moi. Parce qu'avec L'erreur boréale, Desjardins avait réussi à prouver que la poésie ne nuisait pas au propos, qu'il était possible de faire violence aux injustices sans sombrer dans un magma verbeux, fade et dénué de beauté. Un recul attristant.
Le tout jumelé au fait que, dans ses derniers albums, Desjardins nous a réchauffé plusieurs titres qu'il chantait déjà sur un air plus country à l'époque précédent ses premiers succès, il faut admettre que la question est troublante. Richard Desjardins est-il encore un poète? Pire encore: avec le regain de popularité du country, son prochain opus nous relancera-t-il Hey Rose-Aimée?