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Vendredi soir sur le Plateau

Vendredi soir sur le Plateau, trente minutes avant de trouver un foutu stationnement. Quand enfin, à l'entrée d'un terrain vague recyclé en parking cheap et raboteux, un type relativement louche me charge six dollars pour avoir "l'esprit tranquille". Je me déleste d'une voiture devenue boulet. Si un "urbain branché" nous reproche de trop utiliser nos voitures en région, il faudra se rappeler qu'il n'y a rien de courageux à abandonner son véhicule quand on est littéralement pogné en ville.

L'air est cru. Dans la ruelle, des amoncellements d'immondices. Mais ça ne pue pas, il fait trop froid. Je reviens sur Saint-Denis pour me mêler à la faune branchée du Plateau. Je flirte avec les boutiques qui placent en devanture des marchandises colorées et étranges. Ici des peaux de vaches parmi les tapis. Là des meubles diformes et séduisants. Je me laisse apprivoiser. Même si on me bouscule. Même si une voiture manque de me percuter. J'ai pourtant attendu la verte pour traverser.

Là un commerce de vêtements vintage. Je n'ai pas l'habitude de faire les boutiques. Doit bien faire quelques années que je n'ai pas fait de lèche-vitrine. Il faut sans doute une crise économique pour que j'aie le goût de le faire. J'entre dans un monde que je ne connais pas. Je touche les tissus, soulève, soupèse, évalue, caresse. J'essaie une veste, une autre. Je choisirai celle-ci. La vendeuse est une menteuse. Je lui parle d'une veste à capuchon, accrochée plus haut sur un crochet inaccessible. Elle me dit que c'est la dernière, en espérant peut-être trouver en cela un argument valable pour que j'achète. Derrière d'autres chemises, une dizaine de copies exactes. Et sur la table, une autre pareille. Elle est gênée. J'arbore un sourire presque sadique. Elle a été démasquée.

Sur le trottoir, mon petit sac sous le bras, je croise une femme qui tend la main. Elle quête sur le Plateau, là où les gens la regardent de haut. Je n'ai pas de monnaie. Bordel. Avoir su.

À la SAQ, où je vais cueillir une bouteille de bon vin, sachant que j'aurai rendez-vous avec mon portable, je me retrouve à la file d'une vingtaine de personnes. Il y a là un roulement tel que deux étalagistes sont en perpétuel réaménagement du stock des bouteilles. Ce soir, sur le Plateau, ça va être chaud.

La bouteille dans mon petit sac sous le bras, je retourne au studio où je crèche. Quelque part, une bouquinerie. Des recueils de poésie révolutionnaire dans la vitrine. Et voilà, je retombe sous le charme. J'ai oublié les pires trente minutes de ma journée, à me battre pour un coin où ranger ma voiture. Je ne vois plus que ces choses qui me manquent chez moi.

Montréal la mal aimée. Quand je te retrouve, je te déteste. Quand je te retrouve, je t'aime.