Depuis quelques semaines, le Théâtre CRI présente une mise en scène du livre Parents et amis sont invités à y assister, de Hervé Bouchard. Ceux qui ont lu le bouquin le savent: c'était un gros morceau à se mettre en bouche. Mais voilà, le CRI, qui est en fait un centre de recherche en interprétation situé à Jonquière, aime relever ce genre de défi. Que reste-t-il de cette expérience théâtrale?
Le côté tragique de la trame littéraire qui met en scène une famille de mal pris, pognée dans la "marde" (vous n'aurez jamais entendu ce mot aussi souvent au cours d'une même soirée), éplorée par la mort du paternel, aura fini par se transformer en un théâtre plutôt statique. Le choix de transformer en un immense monument la robe de bois de la mère Manchée (Josée Laporte) n'était pas pour aider à dynamiser le jeu, et les longs monologues assumés par la comédienne (qui ne pouvait capitaliser que sur son propre visage pour donner de la substance au texte, engoncée dans son emmanchure de robe de bois, sans bras pour gesticuler) finissaient malheureusement par être lourds. Et pourtant, la comédienne assure de façon remarquable. Sans doute le problème se situe-t-il plutôt sur le plan des choix qui ont été faits lors de l'adaptation du texte.
Une plus grande place aurait pu être faite au choeur des orphelins (Dany Lefrançois, Marc-André Perrier, Martin Giguère et Jérémie Desbiens), dont les interventions très rythmées étaient toujours particulièrement réussies. À la limite du hip hop, flirtant même avec l'ambiance du slam alors qu'ils s'applaudissaient pour s'encourager à intervenir, et encore lorsqu'ils récitaient avec les deux tantes (Monique Gauvin et Anne Laprise) des répliques qui évoquaient des contines d'enfants, ils habillaient le texte de façon spectaculaire. Ne serait-ce que pour la performance extraordinaire de Jérémie Desbiens lors de son monologue polyphonique, le spectacle valait cent fois le détour.
Sur le plan de la scénographie, l'univers brun du livre de Hervé Bouchard ne pouvait pas donner un spectacle très coloré. Tout de même, les accessoires – dont cette robe monumentale – n'avaient pas grand chose pour séduire. On aura préféré l'efficacité de certains procédés – entre autres l'utilisation des matelas pour figurer cercueil, lits, tableau noir, vélo… Toutefois, le rétroprojecteur, diffusant les écrits de la mère Manchée sur sa propre vêture, tombait un peu à plat. Représenter l'écriture de la mère sans bras était, il me semble, inutile, la comédienne arrivant à nous faire comprendre sans le moindre doute que ce qu'elle proférait tenait d'une correspondance plutôt que d'une adresse formelle.
Faut-il avoir lu le livre pour apprécier? Je pourrai vous en dire plus demain, j'ai encouragé ma conjointe à aller faire son tour ce soir. Mais personnellement, je ne crois pas. Il me semble que tout ce qu'il faut savoir tient en cette réplique de Dany Lefrançois: "Ce n'est pas comprendre qu'il faut. C'est raconter. C'est détourner le regard d'autres en occupant leurs oreilles."
Se laisser raconter l'histoire de la famille Beaumont. Et sortir de là avec, encore une fois, la certitude que le CRI sait se rendre indispensable sur la scène théâtrale saguenéenne, voire québécoise. Parce que le travail qui a été accompli avec cette production n'aurait pu être fait par personne d'autre de cette façon, malgré les quelques critiques formulées qui n'enlèvent en rien la pertinence de la pièce.
Jusqu'au 29 novembre seulement, à la salle de répétition du Centre culturel du Mont-Jacob. Réservez, il n'y a pas beaucoup de places – mais beaucoup d'intéressés. À preuve la rangée de chaises qui avait dû être ajoutée lors de mon passage.
Photos en vrac
(crédit: Jean-François Caron)
Lisez aussi l'entrevue que nous a accordée Hervé Bouchard au début de cette aventure.