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Cégep d’Alma: f*ck the system

Salut jeune militant du Cégep d’Alma,

J’avais précédemment écrit ce texte-là à l’attention du juge Jean Lemelin mais comme je le tutoyais, des amis m’ont conseillé de réajuster le tir, car semble-t-il que j’encourais le risque d’être accusé d’outrage au tribunal. Tsé, je vais être honnête avec toi, c’est vrai que ça peut avoir l’air cool d’être traîné en justice pour un texte mais une fois que le buzz est passé et que les gens trippent sur un autre dossier, toi, tu restes pogné avec ça pis là, la joke commence à être plate.

Faque voilà, finalement, cette lettre-là, je l’adresse à toi.

Tu devineras que je t’écris en réaction avec la décision que le juge Jean Lemelin a prise vendredi passé. Oui oui, l’affaire de la requête en injonction. Tu sais celle qu’une étudiante du Collège d’Alma a demandée car elle se sentait brimée par la grève étudiante?

Lorsque j’ai appris la nouvelle, j’ai soudainement eu envie de tout sacrer ça là et de me partir un site internet du genre : «Fuck the system.» Non mais tsé, quand on vit dans une société où tout ce que l’on trouve à faire lorsqu’un groupe d’étudiants inoffensifs se donne la peine de manifester leur désarroi quant au sort qu’on leur réserve, c’est de leur fesser dessus ou des les asperger de poivre de cayenne, et ce, comme si ce n’était que de vulgaires insectes, on finit par se dire: « Ahhh… pis fuck ça. »

Tu me pardonneras aussi la longueur quasi chaotique de la dernière phrase. Je te dis ça car vois-tu, j’ai fait mes études en littérature française et non en droits. De ce fait, bien des choses m’échappent dans le milieu juridique. J’ai encore cette candeur qui fait que je respecte les décisions parfois déstabilisantes des juges. Je tiens pour acquis qu’ils savent juger. Je tiens aussi pour acquis qu’ils aient de la jugeote. De façon générale, du moins.

Je te dis ça car en partant de l’idée que personne n’est infaillible, j’imagine que ça doit arriver à l’un d’eux de rentrer à la maison le soir, de repenser à leur journée et de se dire que telle ou telle décision qu’ils ont prise n’était peut-être pas si bonne que ça. On fait tous des moves poches dans notre vie professionnelle et sais-tu à quoi l’on reconnaît les meilleurs? Ce sont ceux qui se plantent le moins souvent.

Or, sans vouloir le moins du monde remettre en question notre appareil juridique, je me permets quand même de douter par rapport au dénouement de cette histoire du Collège d’Alma. Je vais mettre des gants blancs, mais vite de même, j’ai l’impression que tu t’es tout simplement fait bullshiter.

Je comprends qu’en enculant quelques mouches par ci et par là, c’est pas trop long qu’on finisse par trouver des irrégularités lorsqu’il est question d’un scrutin se tenant dans un cadre scolaire. Ici, on ne parle pas d’un bureau de vote se tenant pendant des élections fédérales. Soyons clairs, j’ai bien peur que les organisateurs de ce scrutin n’aient pas eu le temps de préparer les installations à plusieurs semaines d’avis. Et là, lorsque quelqu’un me sort le fameux argument de la présentation des bulletins de vote, tant qu’à partir là-dessus, pourquoi ne referait-on pas le référendum de 1980?

Outre l’enculage de mouches, j’ai la ferme conviction que ce vote s’est déroulé le plus justement possible. Toi et tes confrères étudiants, vous avez été invités à vous prononcer sur une décision collective, la proposition de grève aura été refusée par six voix, puis une pétition aura entraîné un second vote en faveur de la grève et puis la suite, tu la connais. Un homme de loi a décidé que tout ça, ça ne valait rien. D’ailleurs, je pense à tous ces pays où la démocratie relève de bouffonnerie et j’ai de la peine pour tous ces gens là-bas qui rêvent de justice.  Mais bon…

Tu as dû le remarquer, ce revirement de situation m’a énormément attristé. En fait, je me suis inquiété à propos de ce que tu retirerais de cette expérience-là et ça m’a littéralement terrorisé. Pour une fois dans ta courte existence, tes confrères étudiants et toi, vous vous organisiez afin de vous positionner quant à notre société et comme si vous étiez des imbéciles pas du tout aptes à prendre des décisions, on a stoppé votre élan en sortant la grosse artillerie lourde. Les autres étudiants qui s’opposaient à votre mouvement auraient pu s’asseoir avec vous afin d’arriver à une entente mais au lieu de ça, ils ont appelé « papa » qui s’est occupé avec plaisir de vous sacrer une claque en plein sur la gueule.

J’ignore complètement ce qui a motivé une telle décision de la Cour, mais tu peux au moins te contenter d’une chose: on t’a donné une des plus grandes leçons que même le meilleur prof de cégep du monde entier ne pourra jamais t’enseigner.

On t’a appris que notre système est optimisé pour ceux qui n’ont aucune gêne à piler sur les autres pour arriver à leur fin, pour les experts-crosseurs qui multiplient les tours de passe-passe afin de ne jamais payer d’impôt, pour les dirigeants d’entreprises qui s’offrent des primes afin de se féliciter d’avoir jeté des employés à la rue, bref, une société taillée sur mesure pour ceux et celles qui se sacrent de la collectivité.

Tu devrais remercier le système pour ça. En une seule décision de la Cour, on t’a peut-être fait sauver des milliers de dollars en prêts et bourses. Maintenant que tu sais comment ça marche, ne te reste plus qu’à savoir jusqu’à quel point ta conscience sociale te limitera.

Mais bon, sais-tu que je suis fier de toi quand je te vois défier l’injonction de la Cour. Non pas que je veuille t’inciter à te foutre du système judiciaire. C’est juste qu’entre toi et moi, je ne crois pas que ta bravade fera mal à qui que ce soit. Il n’y aura pas mort d’homme à ce que je sache.

Tu sais, tu me redonnes espoir. Tu me démontres que lorsque qu’une histoire mérite d’être réécrite avec un grand « h », il y a encore des gens qui sont prêts à aller au front.

Et surtout, je te souhaite de ne jamais perdre ta fougue. Nous n’en serons que plus riches en tant que société.