BloguesLe blogue de Pierre-Luc Brisson

Petite démocratie

« Pour moi, tout parti politique n’est au fond qu’un mal nécessaire, un de ces instruments dont une société démocratique a besoin lorsque vient le moment de déléguer à des élus la responsabilité de ses intérêts collectifs. Mais les partis appelés à durer vieillissent généralement assez mal. Ils ont tendance à se transformer en églises laïques hors desquelles point de salut et peuvent se montrer franchement insupportables. À la longue les idées se sclérosent, et c’est l’opportunisme politicien qui les remplace. Tout parti naissant devrait à mon avis inscrire dans ses statuts une clause prévoyant qu’il disparaîtra au bout d’un certain temps. Une génération? Guère davantage, ou sinon, peu importe les chirurgies plastiques qui prétendent lui refaire une beauté, ce ne sera plus un jour qu’une vieillerie encombrant le paysage politique et empêchant l’avenir de percer. » – René Lévesque, Attendez que je me rappelle…, 1987, p. 290

 

Après des mois à tenter d’ouvrir une fenêtre électorale (après deux blitz d’annonces économiques et un débat sur la « laïcité »), les sondages d’opinion sourient enfin au gouvernement de Pauline Marois. Le Québec se dirige donc, irréversiblement, vers une campagne électorale printanière. L’Assemblée nationale faisant relâche pour deux semaines, la plupart des commentateurs et des analystes anticipent, suite au dépôt du second budget Marceau (exercice pour la forme, sans réels crédits), le déclenchement de nouvelles élections dans la deuxième semaine de mars. Comme il arrive bien souvent dans pareille situation, les projets de loi qui étaient à l’étude au moment de la dissolution de la Chambre « meurent au feuilleton », détruisant ainsi des mois – voire des années – de préparation, d’études et de réflexion. C’est notamment le cas du projet de loi sur le droit à « mourir dans la dignité », piloté par la ministre Véronique Hivon et qui a fait l’objet d’un travail trans-partisan exemplaire, dont on aimerait qu’il inspire plus souvent nos élus, porté par les gouvernements successifs de Jean Charest et de Pauline Marois. Alors que le projet arrivait enfin à son terme, ce dernier passera visiblement à la trappe, le calendrier étant bousculé par la volonté du gouvernement d’en découdre au plus vite avec le PLQ et de déclencher une élection au moment où Philippe Couillard peine encore à définir les contours de son discours politique.

 

Le spectacle partisan auquel se sont livrés cette semaine les élus des deux côtés de la chambre était plus qu’affligeant et nous rappelait avec encore plus d’acuité la vétusté de notre système parlementaire. On a pu voir le leader du gouvernement nous exposer à quel point il était outré de l’attitude de l’opposition qui refusait de précipiter l’adoption du projet de loi, échouant du même coup à nous expliquer pourquoi son parti tient à dissoudre la chambre à ce moment-ci, alors qu’aucun blocage parlementaire, qu’aucune nécessité politique (sinon son propre profit électoral) ne justifie la précipitation à vouloir aller se soumettre au suffrage des électeurs. Pire, le Parti Québécois contrevient à l’esprit de sa propre loi sur les élections à date fixe, loi adoptée sous le principe que les élections « appartiennent à la population » et qu’elles doivent « servir l’intérêt démocratique, pas l’intérêt du parti au pouvoir » (dixit Bernard Drainville, 2012).

 

En situation minoritaire, il était fort à parier que le gouvernement aurait tôt ou tard été renversé par les partis d’opposition, ou contraint à déclencher un scrutin devant un blocage parlementaire persistent. Or, nous sommes loin de nous trouver présentement devant un tel cas de figure : la CAQ de François Legault stagne à 15%, alors que le PLQ, miné par le départ de Fatima Houda-Pepin et le manque de résolution de son chef, tire de l’arrière dans les sondages. Aucun des deux partis d’opposition n’a d’intérêt, à ce moment, à forcer la tenue d’un scrutin printanier. Le gouvernement avait donc le devoir moral de respecter, sinon la lettre, du moins l’esprit de sa propre loi et, plutôt que de chercher à chauffer la fournaise de la locomotive électorale, travailler à faire adopter les importantes pièces législatives (mourir dans la dignité, création de l’inspecteur général de Montréal) qui attendent encore d’être sanctionnées. Mais qui se soucie encore de morale politique, alors que la majorité est à portée de la main?

 

Quant à Philippe Couillard, ses actions des dernières semaines ne font que contribuer à miner sa stature de chef de parti et de premier ministre en attente, lui qui est incapable non seulement d’articuler un message clair et cohérent, mais de servir une réplique crédible et constructive au gouvernement de Pauline Marois. Qu’en aurait-il coûté au Parti libéral de légèrement compresser le temps de parole de ses députés afin de faire adopter le projet de loi de Véronique Hivon? Pourquoi répondre à l’électoralisme du PQ par la petitesse partisane, par des jeux de coulisse parlementaires? Si le parti gouvernemental est incapable d’assumer une certaine posture politique qui dépasse ses seuls intérêts électoraux immédiats, il était du devoir de l’opposition de s’élever au-dessus de la mêlée et de faire adopter ce projet de loi, adoption qui lui aurait permis du même coup de souligner l’électoralisme du parti au pouvoir. Plutôt que cela, Philippe Couillard s’est fendu d’une sortie publique plus que surprenante lors de la présentation du budget Marceau, affirmant que son parti était non seulement prêt à voter contre le budget, mais à renverser le gouvernement et partir en élections! Erreur d’autant plus grotesque que la seule posture politiquement viable était celle de dénoncer, précisément, les velléités électorales du PQ, de tendre la main au gouvernement afin de faire fonctionner le parlement et de se positionner ainsi comme le parti qui représente véritablement les « intérêts » des électeurs, qui sont loin de souhaiter un scrutin hâtif et injustifié, qui nous en coûterait, collectivement, plus d’une centaine de millions de dollars…

 

Nous vivons dans une petite démocratie. Une démocratie minée par un système bipartisan archaïque et non-représentatif (le gouvernement n’a à peine récolté que 32% des voix), dans lequel deux vieux partis enfermés dans leurs réflexes partisans se disputent le pouvoir depuis plus de quarante ans. Une petite démocratie par la bassesse de ses débats, qui sont bien souvent nourris par le populisme ambiant – est-il besoin de revenir sur six mois de débat sur la Charte pour s’en convaincre? – et dont les élus, manquant singulièrement d’envergure et de sens de l’État, sont prêts à dire tout et son contraire, à fouler les principes de leurs propres lois, afin de maintenir leur formation politique au pouvoir. Où est la grandeur? Où est le désir de se mettre au service de la cité, d’un idéal plus grand qui n’est pas cette version pastichée de l’indépendance nationale, par exemple, que l’on agite comme un hochet afin de rallier les militants en temps d’élections… La crise de 2012 nous avait démontré de façon éclatante, par l’entêtement du gouvernement et l’adoption de la loi spéciale, les limites du parlementarisme britannique tel que nous le vivons au Québec. Nous aurions pu espérer que, fort du mouvement politique et populaire qui avait traversé notre société, le gouvernement Marois aurait tablé sur cet élan afin de transformer durablement nos institutions démocratiques. Au contraire, une fois parvenu dans les banquettes du pouvoir, il n’a fait que chercher à conforter sa position, en employant la panoplie habituelle des artifices partisans (annonces économiques pré-électorales, wedge politic sur la Charte, etc.). Au-delà des transformations cosmétiques, force est de constater qu’il nous faudra encore attendre afin de trouver ceux et celles qui sauront faire revivre notre démocratie et lui insuffler, enfin, un peu de grandeur…