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Les failles financières et fiscales du projet de loi 3

Depuis le début, je l’affirme : demander aux employés et aux retraités de payer le déficit actuariel passé ne tient pas la route de la logique financière. Malgré tout, le dialogue de sourds continue. Alors, je propose la réflexion suivante qui pourrait atteindre les instigateurs de l’idée.

Le problème du facteur d’équivalence et du coût de renonciation :

Un contribuable bénéficiant d’un fonds de pension à prestations déterminées ne peut pas cotiser à son REER à la même hauteur que d’autres contribuables. En effet, on lui attribue un facteur d’équivalence venant réduire sa cotisation possible et donc la déduction de son revenu. Ce facteur est issu d’un calcul actuariel simplifié tenant en compte que l’employeur assure un rendement futur, peu importe les résultats de la caisse du régime sur les marchés boursiers.

Quand on demande à l’employé de rembourser le déficit actuariel, on devrait indubitablement réduire le facteur d’équivalence de ses déclarations fiscales passées pour garder une certaine cohérence (en substance économique). Cette réflexion génère des questions sous-jacentes :

  • Va-t-on demander aux employeurs de faire une nouvelle émission amendée des feuillets passés sur une période de 5, 10 ou 20 ans? Il le faudrait puisque l’employeur change le contrat ex post.
  • Est-ce que l’on devrait indemniser les employés pour un rendement non fait sur des placements qu’on leur a empêché de faire depuis 5, 10 ou 20 ans? Si l’on transfère le risque à l’employé, on doit venir corriger le handicap fiscal équivalent attribué et la perte du revenu autonome de placement.
  • Comment trouver les ressources pour faire le calcul actuariel individuel de tous les employés?

 

La réponse officielle du gouvernement a été :

« Je vous invite à consulter le paragraphe 10 du Projet de loi 3. Il n’y aura donc aucune correction rétroactive de facteur d’équivalence. »

Voici le paragraphe 10 :

« 10.  La part des déficits imputables aux participants actifs le 1 er  janvier 2014 doit être assumée par la réduction de prestations du régime, à l’égard de ces participants, à compter de cette date. La part des déficits imputables à l’organisme municipal doit être remboursée sur une période de 15 ans et ces déficits ne peuvent en aucun cas être consolidés. » (C’est une réponse basée sur la mécanique et non sur la substance économique).

Cette réponse est non seulement insatisfaisante, mais ne répond pas du tout à la question. Je ne demandais pas comment on voulait redresser la situation, mais plutôt comment allait-on justifier l’illogisme de la non prise en compte du coût de renonciation. Le projet de loi 3 représente en partie une saisie d’actifs et un bris de contrat pour une période gagnée. Cela ne fait aucun sens financièrement.

En somme, on a pénalisé le travailleur fiscalement tout au long de sa carrière pour lui attribuer la juste part de ce qui lui serait donné à la retraite. Si le gouvernement du Québec ajuste finalement l’avantage fiscal et demande un remboursement, il doit dédommager fiscalement l’employé de façon rétroactive. Ce que l’on ne fait pas avec le projet de Loi 3.

Qui plus est, une rémunération globale comporte plusieurs composantes :

  • Salaire de base
  • Vacances
  • Assurances
  • Possibilité ou non d’être payé pour le temps supplémentaire
  • Fonds de pension et autres avantages de retraite
  • Flexibilité d’horaire
  • Cafétéria subventionnée
  • Garderie subventionnée d’employeur
  • Etc.

 

Ainsi, revoir unilatéralement la portion « fonds de pension » de tous les employés municipaux sans tenir compte des autres facteurs de rémunération est une grave erreur de logique financière.

Tout cela semble le prototype d’une législation provinciale visant l’ensemble des employés de l’État.  Il n’y a rien de mal à vouloir renégocier certaines conditions de travail ou de s’adapter à une nouvelle réalité. Par contre, la saisie d’actif est une forme de vol légalisé. Ce projet de loi devrait être modifié.

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Précisions ajoutées le 25 août :

Quand on s’exprime dans les médias, il faut souvent expliquer rapidement des concepts. Pour ne pas endormir le grand public, on fait une analyse sommaire des principes de l’argumentaire. Par contre, dans le domaine économique, il y a toujours un comptable, un actuaire, un responsable de la paye ou autre professionnel qui a besoin de parler de mécanique. Ainsi, voici quelques précisions pour ceux-ci.

1)      Le calcul du facteur d’équivalence : 

Le facteur d’équivalence est un calcul simplifié et mécanique. Par exemple, pour les régimes gouvernementaux québécois, il existe un guide de calcul et des tables en annexe détaillant ce facteur. Ainsi, il est vrai de dire que le facteur d’équivalence ne devrait pas être modifié dans les faits mécaniques, même en attribuant les remboursements de déficits actuariels aux employés. Par contre, il y a implicitement une distorsion de fait de calculer un montant en fonction d’une rente future, même si les conditions d’un régime changent en cours de route. La spécificité de chaque régime et individu devrait être prise en compte dans une logique économique parfaite.

Mon argumentaire se situe sur le principe de prééminence du principe économique sur la forme juridique (ou mécanique comptable). Si l’on préfère, j’insiste sur le préjudice économique implicite subi par l’employé lorsque l’on revient sur les conditions passées du contrat de travail.

Le facteur d’équivalence empêche l’employé (participant à un régime à prestations déterminées) de contribuer à la hauteur de 18% du revenu gagné. Par contre, l’employeur s’engage à combler la rente et assume la différence entre l’actif de la caisse et le passif généré par la portion de retraite gagnée par les employés (Obligation au titre des prestations constituées – OTPC). L’écart entre ces deux éléments (actif du régime et OTPC) génère un surplus ou un déficit actuariel. Au fur et à mesure que la carrière de l’employé avance, il gagne une partie de la rente. Le fait de demander à l’employé de rembourser une portion du risque devant être assumé par l’employeur vient remettre en cause la stratégie planifiée des flux de trésorerie passés.

Voilà pourquoi j’affirme que dans « le principe économique », on pénalise l’épargne passée de l’employé. Voilà pourquoi je fais le lien avec le facteur d’équivalence pour illustrer en quoi la mécanique fiscale vient tronquer la capacité d’épargne de l’employé bénéficiant d’un régime à prestations déterminées. Je comprends que cette injustice est implicite à la mécanique actuelle des régimes à prestations déterminées. En somme, il y a une différence entre ce que la mécanique fiscale fait et ce qu’elle devrait donner économiquement. Voilà la raison pour laquelle je précise que cette notion du projet de loi ne « tient pas la route de la logique financière ».

2)      Le concept d’assurance :

Un fonds de pension à prestations déterminées est, en substance économique, une assurance salaire à la retraite. En effet, l’employé cotise à son régime durant toute sa carrière (prime d’assurance) et bénéficie d’une prestation déterminée à la retraite. Comme dans le cas d’une assurance, on échange un paiement actuel contre l’assurance de recevoir un montant futur. Les prestations étant imposables, il est logique que les primes (cotisations) payées par l’employé soient déductibles.

L’assureur (l’employeur) s’engage à verser une rente à l’employé. Si l’employé décède prématurément, une portion de la rente va au bénéficiaire désigné (ex. : 50 % de la rente au conjoint survivant).

La portion assumée par l’employeur représente une charge de salaire dont le paiement est différé. Contre du travail actuel effectué par l’employé, l’employeur s’engage à verser un salaire futur. Ainsi, le fonds de pension doit être pris en compte dans un principe de rémunération globale et non comme un bonbon individuel. Autant du côté syndical que de la partie patronale, on doit être en mesure de bien quantifier la valeur de ce transfert de risque lors des négociations.

Donc, cette assurance a un prix. L’employé échange des dollars actuels contre des dollars futurs. Ainsi, venir changer les conditions du contrat pour la période future est possible, mais il faut comprendre que cela générera une modification du prix de l’assurance et des autres facteurs de la rémunération globale.

Demander à l’employé de rembourser le déficit actuariel appartenant à l’employeur pourrait se traduire de la façon suivante :

« L’assuré rembourse l’assureur !»

Cette dernière phrase défie toute logique, mais c’est ce que le gouvernement demande lorsqu’il exige un remboursement de déficit actuariel passé.

En espérant que les intervenants suivants comprendront le message :

  • les responsables du dossier au gouvernement;
  • les firmes de relations publiques
  • les actuaires au service de l’État;
  • les responsables de la paye;
  • les consultants du gouvernement;
  • les firmes d’assurances payées par le gouvernement;
  • etc.

En somme, j’espère que la deuxième partie de ce billet permettra à toutes autres personnes ou personnes morales en conflit d’intérêts ou non de comprendre l’essence de l’illogisme de la rétroactivité d’un remboursement de déficit actuariel passé. De plus, cela permettra à ces dernières de réfléchir aux problèmes soulevés et aux solutions possibles plutôt que de tenter de discréditer l’auteur de la réflexion.