Ne pas avoir peur du noir
On est loin de la poudre aux yeux : chez Ô 6e Sens, il n’y a pas d’attrape, pas de gimmick, pas de concept ésotérique. Que de la bonne bouffe servie dans un autre univers, celui des non-voyants. Suivez le guide.
Celui derrière le concept d’Ô 6e Sens voit très bien, ce qui ne l’a pas empêché d’être sensible à la cause des handicapés visuels. « Dans mon ancienne vie, j’ai donné de mon temps à Mira, notamment pour la familiarisation des chiens-guides. Ça m’a mis en contact avec des personnes non voyantes et j’ai été touché », raconte Jean-François Lessard. Il s’est rendu compte que les aveugles n’étaient pas que des personnes vieillissantes aux prises avec la cécité, mais aussi des jeunes qui veulent être actifs et profiter, comme les autres, d’une belle vie et d’un bon boulot.
« J’ai constaté que perdre la vue rendait très dépendant et que les jeunes aveugles occupaient souvent des emplois où ils étaient isolés, au lieu d’être intégrés. Je connaissais déjà le concept de restauration dans le noir, qui existait ailleurs dans le monde, et je me suis dit, pourquoi pas amener ça à Québec? Tant qu’à travailler, aussi bien le faire en faisant du bien à quelqu’un d’autre. » Plein d’enthousiasme, Jean-François décide alors de se lancer dans l’aventure de l’ouverture d’un restaurant… même s’il n’y connaissait rien! « Je me suis entouré de professionnels de l’hôtellerie et de la restauration. L’École hôtelière de la capitale a offert gratuitement une formation de service en salle à nos serveurs, spécialement adaptée pour eux. La générosité des gens a été épatante. »
Dans un restaurant dans le noir, les rôles sont inversés : le client devient dépendant du serveur et doit lui faire entièrement confiance. Les convives sont amenés à vivre, l’espace d’un repas, la sensation d’être transportés dans le monde des non-voyants. Même si le menu est unique (pour faciliter le service), les intolérances, allergies et dégoûts sont pris très au sérieux. Le menu change tous les mois, selon une thématique. La seule chose qui ne change pas, outre le fait qu’il est dégusté dans un noir si complet qu’on ne voit même pas ses propres mains : il y a toujours un plat contenant un ingrédient… disons particulier. « Le chef appelle ça l’ingrédient audacieux. Ce peut être des abats, du crocodile, des amourettes… on demande toujours l’autorisation des convives avant l’entrée en salle. La plupart sont game! » explique le propriétaire en riant.
« Je crois que notre clientèle est plus audacieuse que la moyenne. Quand on a servi des insectes, rares étaient ceux qui sont repartis choqués (il y en a eu, mais peu!). On en offrait dans un bol à la sortie de la salle, et plusieurs se prenaient une poignée de grillons ou de vers, même ceux qui n’avaient pas voulu en manger! » rigole Jean-François. Il arrive que des clients se surprennent à manger et à aimer des aliments qu’ils détestaient. « Les gens aiment essayer de deviner ce qu’ils mangent, c’est très drôle, c’est comme un jeu. »
Restaurant dans le noir Ô 6e sens
1200, avenue Germain-des-Prés, Québec, G1V 3M7
418 704-7367