Alimentation et développement durable : c’est quoi la gastronomie responsable ?
Quand on parle de la cuisine du futur, l’environnement revient invariablement dans les premières lignes. Que ce soit à la maison ou au resto, les acteurs de l’alimentation doivent se tourner plus vers le bio et les pratiques responsables. Le festival YUL EAT avait d’ailleurs consacré une soirée au sujet en septembre dernier, durant laquelle chefs et mixologues avaient rencontré nutritionnistes et journalistes pour discuter de l’alimentation du futur.
Ce même mois se tenait à Montréal le premier symposium du GastronomiQc Lab, l’unité mixte de recherche de l’Institut de Tourisme et d’Hôtellerie du Québec et de l’Université Laval. Scientifiques et chercheurs se sont ajoutés au débat culinaire afin de voir dans quelles mesures ils peuvent aider la restauration à changer ses méthodes pour aller vers le développement durable.
Le conférencier principal était Juan Carlos Arboleya, sommité dans le domaine : il est en effet chef du département des Sciences au Basque Culinary Center, en Espagne, directeur des programmes de maîtrise et de doctorat en Sciences gastronomiques et rédacteur en chef de l’International Journal of Gastronomy and Food Science. Il a notamment expliqué lors de la conférence les avancées de la science permettant de repenser le gaspillage alimentaire – dans un contexte où un tiers de la nourriture produite actuellement est jetée, selon les plus récents chiffres de l’ONU. Entrevue avec un scientifique qui travaille dans l’assiette.
VOIR : Quelle est la mission du Basque Culinary Center ?
Juan Carlos Arboleya : Avec la surpopulation, les changements climatiques, etc., il faut qu’on change nos façons de manger. On a besoin d’avoir une autre relation à la nourriture, dans les restaurants et dans l’industrie alimentaire. C’est là-dessus qu’on se penche avec notre Institut. Par exemple, il va bientôt y avoir une pénurie de protéines, car la protéine de viande coûte trop cher à produire… Il va falloir trouver de nouvelles sources d’ingrédients.
Comme quoi ?
Parmi nos recherches, un de nos étudiants travaille sur des micro-organismes, qui ressemblent à des petits crabes. Ils ne sont pas consommés par les humains à part par quelques individus au Vietnam. On s’est rendu compte que ces organismes étaient une bonne source de protéines, en plus d’avoir un goût umami, à savoir qu’ils sont intéressants d’un point de vue culinaire. Oui, on pense vraiment qu’on peut continuer à manger en priorisant les saveurs et le goût tout en utilisant différemment les produits qui sont à notre disposition.
Quelles sont les principaux problèmes dans notre façon de manger ?
Dans notre société, on essaie d’être très productifs, mais en voyant à court terme. Il faut qu’on apprenne à penser selon un calendrier à long terme. Je pense que c’est ce que la société demande désormais aux gens et aux gouvernements : on doit être plus concernés, non pas par ce qui va se passer dans 10 ans, mais dans 50 ans.
Et puis, on jette, beaucoup trop. On a par exemple l’habitude de manger des fruits avec une belle apparence, en mettant de côté ceux qui ne sont pas beaux. C’est une erreur à mon sens. La pomme qui n’est pas la plus belle peut parfois avoir bien meilleur goût.
On n’est pas obligés de jeter les restes quand on cuisine. On n’invente rien ici : il y a quelques décennies, nos grands-parents ne jetaient rien, ils réutilisaient les reste de nourriture ou les transformaient. Nous, on essaie juste de se réajuster à ce qu’ils faisaient bien avant nous.
Quelles méthodes peut-on utiliser pour « cuisiner durable » ?
À l’Institut, on essaie d’utiliser de façon différente les déchets alimentaires en cuisine pour créer de nouveaux produits. Par exemple, en utilisant le processus de fermentation : on récupère du pain qui serait jeté et on le fait fermenter. Avec ça, on peut faire des saucisses, ou utiliser ce pain fermenté à la place du riz…
Et oui, on peut faire un produit de bonne qualité en utilisant les déchets alimentaires. D’ailleurs, on ne devrait pas les appeler « déchets ». Dans le domaine de la science alimentaire, on les appelle « sous-produits ».
Comment mettre en place ces changements à grande échelle ?
Le changement doit se faire de partout. À la maison, en essayant d’utiliser mieux la nourriture, sans jeter les restes par exemple. Dans les restaurants aussi bien sûr, où la proportion de gaspillage alimentaire est bien plus grande. Chacun d’entre nous doit se sentir concerné et faire sa part.
Nous les scientifiques, nous devons offrir notre travail au public. On doit apprendre à mieux communiquer pour expliquer nos recherches et avancées. La science est un domaine important pour lutter contre le gaspillage alimentaire, mais pas le seul ; il faut aussi utiliser les connaissances qui découlent de la sociologie ou de l’anthropologie, par exemple.
Comment se situe le Canada en matière d’alimentation durable, par rapport à l’Europe notamment ?
Je ne dirais pas que le pays est en retard ; c’est simplement que les recherches de ce type ont commencé plus tôt chez nous. Par exemple, le Pays basque a beaucoup investi financièrement afin de contribuer à la rencontre entre scientifiques et acteurs de la gastronomie, notamment les chefs. Au Canada, de ce que j’ai vu, vous avez un gros potentiel en matière d’alimentation. Je pense à la mentalité des gens, mais aussi à vos plantes sauvages et comestibles, et à vos immenses forêts…