Les foires alimentaires, nouveau visage de la restauration
Jamais deux sans trois : après l’ouverture du Central près de la Place des Arts en octobre dernier et celle du Time Out Market au Centre Eaton le mois suivant, le Cathcart accueillera les clients à partir de la fin janvier à la Place Ville-Marie…
« Il est étonnant de voir comme les foires gastronomiques manquaient à Montréal! » Pour le chef Danny St-Pierre, qui chapeaute le projet du Central, il était plus que temps que le concept débarque chez nous, et plutôt trois fois qu’une : face à la densité de population dans le centre-ville, à la forte demande pour les lunchs d’affaires et à l’achalandage touristique, l’offre alimentaire était en déficit dans le quartier. « On s’installe dans un endroit où il y a besoin. Tout est tellement saturé qu’on est comme un refuge, indique le chef. On n’est pas les seuls à proposer cette offre, et on est ravis de le constater car on gagne tous à développer ce segment-là. »
Le bassin de clientèle est le même pour les trois foires, qui partagent le même objectif : nourrir les gens à l’heure du lunch en proposant un format de repas dans une rapidité d’exécution et un prix abordable (les plats oscillant entre 5 et 20$). Même si ces trois foires alimentaires ouvrent leurs portes en l’espace de quatre mois dans le même quartier, aucun des directeurs ne parle de compétition. « Ces différentes foires, ça fait longtemps que c’est dans l’air, explique Danny. Le Time Out, c’était pas un grand secret ; le plus grand secret était de savoir quels chefs allaient s’y installer… »
Time Out Market a finalement annoncé un beau casting de chefs, dont Normand Laprise avec les burgers gastronomiques du Burger T!, Charles-Antoine Crête et sa cuisine flyée, Claude Pelletier et Mélanie Blouin avec des plats inspirés du Club Chasse et Pêche, les pizzas façon Moleskine de Fred Saint-Aubin… Didier Souillat, chef de la direction du Time Out Market, ne sait pas si certains de ses chefs ont également été courtisés par d’autres foires, mais ça ne l’a pas inquiété plus que ça : « Il y a assez de supers chefs pour tout le monde à Montréal! »
Du côté du Cathcart, son créateur Alexandre Besnard indique que lui et son équipe n’avaient de toute façon « pas le désir d’avoir des celebrity chefs ». Au Central, pas non plus de chefs vedettes, mais « des spécialistes dans ce qu’il font » : « C’est un patchwork décomplexé mais de grande qualité, développe Danny. Les clients n’ont pas une version édulcorée d’un autre resto, mais quelque chose d’authentique. » On partage les chefs donc, et l’argent aussi – le Time Out Market a par exemple un partenaire en commun avec le Cathcart (Ivanhoé Cambridge).
Qu’est-ce qu’on mange?
Si elles sont toutes construites autour du même concept (offrir différents concepts culinaires sous un même toit), chaque foire a ses particularités. La Place Ville-Marie comptant 12 000 travailleurs, le Cathcart a pour sa part le plus grand espace : « C’est plus qu’une foule d’habitués, comment Alexandre. On a la nécessité de nourrir ces habitants. » Il met aussi en avant le hall de verre d’environ 7 700 pieds carrés imaginé par Sid Lee Architectures. Tout un concept au niveau du look. « On regarde le ciel, on a le sentiment qu’on est à moitié dehors. La luminosité est un vrai plus. »
Trois kiosques offrent un service à table façon resto classique, dont la cantine japonaise Akio gérée par les chefs Antonio Park et Olivier Vigneault, la Pizzeria Del Fornaio de Federico Bianchi (Bottega) et la Brasserie Mirabel de Nicholas Giambattisto (Un Po’ Di Piu). Le reste de l’offre alimentaire compte neuf comptoirs de cuisine de rue avec des concepts différents : salades, poulet frit, burgers, sandwichs…
Au Time Out Market – qui pour sa part ne compte presque pas de fenêtres -, on se félicite pour l’emplacement de choix : en étant au Centre Eaton, la foire profite de la présence du métro et des travailleurs locaux. Quant au concept, Didier le distingue un peu des autres : « Nous, on se positionne différemment en proposant des grands chefs à une fraction de leurs prix habituels. À la fin de la journée, on a quand même Normand Laprise qui fait des burgers chez nous, et ça c’est pas rien! » En outre, tous les plats sont servis dans de la vaisselle, proposant ainsi des « standards de qualité un peu plus élevés ». Enfin, et surtout, le directeur souligne la plateforme média dont jouit le Time Out Market, qui distribue un magazine bimestriel à Montréal.
Le Central se présente quant à lui comme « le pendant culturel de la foire alimentaire », selon Danny. « C’est LA destination pour les gens qui vont voir des spectacles. Le cœur de notre business, nous, c’est pas les touristes, nuance le chef. Le Time Out a une signature qui est reconnaissable dans le monde entier ; c’est très normatif, carré… Nous, on est un peu plus organique. Un peu comme une auberge espagnole. » Au menu : snack-back thaï, salaison artisanale et bio, cuisine marocaine traditionnelle, tapas de Pinxto, plats indiens du Super Qualité, crèmes glacées et chocolat, churros et nougat… Enfin, Danny souligne l’aspect très local du Central, un projet montréalais des designers aux actionnaires, fait pour les Montréalais.
Restauration soft casual contre vision bourgeoise
Cette nouvelle offre culinaire change radicalement du format des restos qui ont pignon sur rue. Parmi les avantages pour les restaurateurs participants, il y a d’abord l’achalandage assuré, ou presque. On compte autant de chefs et marques pour attirer la clientèle qu’il y a de kiosques, et s’il n’y a pas de notion d’accueil comme dans un restaurant classique, tout est à inventer. Par exemple, certains kiosques du Central envoient des serveurs se promener dans l’espace pour créer de l’animation et proposer leurs plats ou boissons aux clients installés aux tables.
En outre, chaque offre alimentaire est protégée – on n’aura qu’un seul kiosque de burger par exemple, pour ne pas créer de concurrence. La foire alimentaire est le bon levier pour un jeune restaurateur qui veut se lancer, pense Danny : « C’est beaucoup plus facile de s’installer dans un endroit comme le nôtre plutôt que tout seul. Ça crée des moments pour les gens qui n’auraient pas eu l’audace de se lancer dans la complexité dans la restauration classique. »
Selon le chef, Montréal a gardé longtemps la « vision bourgeoise » de la restauration, classique, avec pignon sur rue. La foire alimentaire, c’est le retour du balancier – « et il va en avoir de plus en plus », prévoit Danny. « La foire alimentaire, c’est soft casual, mais c’est pas du fast-food de comptoir! On est en train de prendre les faiblesses de la restauration classique et d’en faire des forces… »
Le concept offre en effet aux clients l’option de manger rapidement et dans une ambiance plus relaxe – celle qu’on recherche de plus en plus dans les bars de quartier -, sans pour autant faire de compromis sur la qualité. Avec les kiosques variés, on vient manger en groupe et chacun y trouve son style de cuisine et le budget de repas qui lui convient le mieux. Si le lieu est souvent vu comme très corporatif, la foire alimentaire peut aussi devenir conviviale et ressembler à un lieu de rassemblement culturel. « Bref, ça déplace le fait de s’alimenter, conclut Danny. C’est très dans l’esprit montréalais… »