Pellep Pellep Pellep, Jay St-Louis, Mathieu St-Onge, Gab Roy : Les agitateurs du web nous envahissent
Le Zoofest a invité certains agitateurs du web québécois à sortir du monde virtuel pour quelques soirées et à se dévoiler sur scène dans le Showeb. Ils sont humoristes, vlogueurs, chanteurs, commentateurs ou chercheurs aguerris de vidéos à fort potentiel viral; on les dit provocateurs et briseurs d’interdits, mais ils sont aussi des sociologues du dimanche qui comprennent mieux que quiconque la mythologie du web 2.0. Regards sur la culture du LOL, ou le Far Web, avec certains de ses plus illustres représentants québécois.
Jay St-Louis est vlogueur, blogueur et dépisteur de tendances web. Une référence incontestée, que tous les intervenants à qui nous avons parlé décrivent comme le roi du web québécois. «De nous tous, c’est de lui dont vont se rappeler les livres d’histoire», m’a dit Gab Roy, qui présente d’ailleurs au Zoofest un spectacle de stand-up intitulé Erreur 404 et partiellement traversé de blagues sur la culture web québécoise. À ses côtés, à la table du Voir, se trouvent Mathieu St-Onge et Pellep Pellep Pellep (de son vrai nom Stéphane Pellichet). Le premier agit sur tous les fronts. Vlogs, sketches humoristiques, peinture inspirées par des personnalités du web, trouvailles web et chansons parodiées: rien ne semble lui échapper. Pellep, fondateur du très fréquenté petitpetitgamin.com, est un redoutable recherchiste d’internet. C’est lui qui a déniché de nombreuses vidéos virales récentes comme la célèbre «Bonne fête Keveun». Ce qu’ils font est difficile à définir. Un peu d’humour, certes, mais, disent-ils en choeur, «le mot humour est trop étroit pour définir ce qu’on fait.»
«On est des faiseurs de choses se passer, dit Jay St-Louis. On agit dans l’interactivité et la spontanéité, et on utilise dans nos contenus des références à des sous-cultures pointues. Et, surtout, ce sont nos fans qui font évoluer la narrativité de nos contenus en interagissant avec nous. L’humour est toutefois l’un de nos plus importants moteurs de création, avec un seul souci en tête: faire vivre une sous-culture web québécoise francophone.»
Ils sont catégoriques: ils font tout ça par réflexe d’affirmation du fait québécois dans le cyberespace, largement dominé par la culture anglophone. Et ils prennent cette tâche au sérieux. Ils ont pourtant du mal à obtenir la reconnaissance qu’ils désirent. «Ce sont des phénomènes web, on ne peut pas voir ça comme des produits artistiques!», a dit récemment Louise Richer, directrice de l’École nationale de l’humour, à un journaliste de L’actualité. Les quelques controverses les ayant impliqués font davantage la manchette que leur créativité et l’étiquette de provocateurs vulgaires leur colle à la peau. «Il y a un peu de culture porno dans ce que je fais, mais ce n’est qu’une petite partie de mon contenu et j’en ai marre qu’on ne voie que ça, ou qu’on ne me parle que de l’épisode du KIA Pointe-aux-Trembles», dit Gab Roy, qui a été accusé d’être responsable d’un incendie criminel chez ce concessionnaire qu’il avait critiqué quelques jours plus tôt dans une vidéo. «Beaucoup de gens, souligne Jay St-Louis, disent que ce qu’on fait est une forme d’intimidation sophistiquée. On découvre des phénomènes viraux comme Mario Benjamin et on rit d’eux, bien sûr. Mais on ne fait rien de manière méchante. Dans un reportage récent avec Guylaine Gagnon, par exemple, on aurait pu être très mesquins, mais on a choisi de couper des scènes qui auraient pu montrer Guylaine comme une bête de foire. On voulait la traiter comme une humaine, lui montrer du respect, chercher dans ses vulgarités quelque chose de révélateur sur l’humain.»
Voilà qui est dit. Le Far Web québécois (l’expression est la leur) est un territoire d’observation de la nature humaine. Les gars se considèrent un peu comme des anthropologues du web. «La moquerie, dit Mathieu St-Onge, est souvent notre point de départ, mais elle se transforme ensuite en analyse, et puis en référents – les vidéos que nous avons contribués à populariser restent dans l’arrière-plan de tout ce qu’on fait. On crée une mythologie, une culture.» «Personnellement, ajoute Pellep, je fais surtout du « revlogging », du partage de contenus. Il faut de la passion pour se taper quotidiennement un tel travail de recherche. Et quand la moquerie est le seul intérêt d’une vidéo, je m’abstiens. Il faut qu’il y ait derrière chaque contenu un phénomène sociologique, quelque chose de fondamentalement humain.»
Un spectacle continuel
Notre société du spectacle a fait naître le phénomène de la mise en scène de soi. Et les agitateurs du web sont aux premières loges pour le constater. Ainsi, ils sont fascinés par les stars du web qui, comme eux, se dévoilent ou lancent des sketches sur YouTube, comme Johnny Crying, Matthieu Bonin, Gabriel Joncas, Pat Vaillancourt, Noémie Dufresne, MelshBitch (la liste n’est pas exhaustive). À cela s’ajoutent les jeunes vedettes de Facebook comme Jade Lavoie et Christopher Tremblay.
«Notre fascination pour ces jeunes-là et pour les phénomènes viraux en général vient toujours d’un intérêt pour les failles de l’humain, dit Mathieu St-Onge. Les vidéos les plus populaires sont toujours celles qui présentent des échecs, du monde trop saoul, des gens qui se laissent aller. C’est la seule constante, hormis le fait que ce sont toujours des gens gentils (à l’exception de Guylaine Gagnon). Je pense que ça en dit long sur les traits culturels québécois.»
Grand observateur, St-Onge croit que le web québécois est un cas intéressant pour étudier les publics. «Contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, on n’aime pas, au Québec, que les phénomènes viraux comme « Mon père est riche en tabarnak » ou « Tequila Heineken » soient ensuite monnayés. Quand le gars de « Mon père est riche » a essayé de profiter de sa nouvelle notoriété pour faire la tournée des bars et faire de l’argent avec ça, le public québécois a décroché. Même chose pour Guylaine Gagnon, qui est une prostituée: quand elle se mettra à faire trop d’argent à cause de sa notoriété web, je sens que certains vont s’indigner.» Les Québécois et l’argent: un bien épineux sujet que le Far Web permet d’entrevoir sous de nouveaux rapports.
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