Belzébrute : L’abc du théâtre indie
Dans les théâtres montréalais, l’esprit indie se remarque dans les petites salles où se produisent de jeunes artistes qui ont décidé de créer au lieu d’attendre que le téléphone sonne. Mais peu de troupes demeurent indépendantes par choix. Sauf Bélzébrute, le «band de théâtre». Portrait.
Ils se nomment Jocelyn Sioui, Clémence Doray, Amélie Poirier-Aubry, Éric Desjardins et Caroline Fortin. Ces jours-ci, ils se préparent à s’envoler pour le Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes de Charlevilles-Mézières où ils présenteront, notamment, leur gros succès Shavirez, le Tsigane des mers. Créé en 2008, ce délirant spectacle de marionnettes, de masques et d’objets n’a pas cessé de tourner depuis, entre autres dans sa version jeune public. Dans cette épopée de 70 épisodes, un pirate part à la recherche de son père et affronte vents et marées dans ce qui deviendra, vu du siège du spectateur, une fête théâtrale épique à la narrativité sans cesse renouvelée.
«On veut avoir la liberté de faire de l’esthétisme pur, explique Jocelyn Sioui. On explore avant tout des formes. Notre propos n’est pas sociopolitique, notre théâtre n’est pas engagé, et ça, franchement, dans le paysage théâtral actuel au Québec, ce n’est pas valorisé. Ça nous a naturellement conduits à l’indépendance.» Sa comparse Amélie Poirier-Aubry, la musicienne du groupe, opine du bonnet. «Il y a une zone qui est presque totalement inexplorée par nos théâtres, c’est celle de la fantaisie et de l’imaginaire pur. Or, c’est ce terrain-là que nous occupons. Et comme on a voulu foncer coûte que coûte dans cette direction, on n’a pas eu le choix d’être indie.»
La plupart de ceux qui font du théâtre indépendant, c’est-à-dire autogéré, non dépendant de financement public et en dehors des théâtres établis, ne le font pas nécessairement par choix. Ils se produisent à l’Espace la Risée ou à l’Espace 4001, font la promotion de leurs spectacles par eux-mêmes ou en se joignant au réseau Carte Prem1ères. Mais ce n’est pas toujours un positionnement idéologique, ni un parti-pris esthétique; simplement une étape avant l’institutionnalisation, un passage obligé en début de carrière. Étape dont la plupart préféreraient se passer pour obtenir plus vite une reconnaissance de leurs pairs et de l’institution.
Belzébrute n’est pas du nombre. Ils sont des adeptes purs et durs de l’indépendance, ont renoncé depuis longtemps à être subventionnés et préfèrent depuis toujours évoluer dans les réseaux parallèles, lors du festival Fringe ou au Théâtre MainLine. C’est là que j’ai vu Manga, en 2011. Cette pièce en forme de bande dessinée japonaise était servie par de splendides costumes et par des reconstitutions très précises des personnages de mangas, grâce au maquillage et au jeu facial. C’était du jeu masqué sans les masques, fort inusité et fort pertinent, dans la mesure où le spectacle s’attachait aux procédés narratifs du manga et mettait en lumière les résonances tragiques et théâtrales de cet univers.
«Nos petits moyens ne nous ont jamais empêchés de faire un travail esthétique soigné, dit Jocelyn Sioui. On travaille avec des bouts de ficelle, mais on arrive à des résultats qui nous étonnent nous-mêmes. Dans Manga, qui est notre réalisation la plus esthétiquement achevée, on a voulu dépasser nos limites. Comme artiste, il n’y a aucune satisfaction à attendre d’avoir des subventions pour créer, c’est extrêmement contre-productif.»
«Et puis, ajoute Amélie Poirier-Aubry, on ne veut pas fonctionner en prévoyant tout sur trois ans. On n’est pas fans des plans quinquennaux. Ça ne nous aide pas tout le temps, on ne peut pas faire partie du réseau habituel des théâtres établis, mais on garde une spontanéité dans le travail qui nous est chère.
Ils sont nombreux, les artistes de théâtre qui leur envient cet état d’esprit.
—–
L’avenir de Carte Prem1ères
Les fondateurs du réseau Carte Prem1ères (qui propose un abonnement aux spectacles de petites salles et de lieux parallèles) se demandent comment donner un nouveau souffle à leur bébé. «À l’époque, précise Francis Monty, les théâtres établis n’incluaient pas les spectacles de leurs petites salles dans leurs documents officiels de saison. Les temps ont bien changé. Carte Prem1ères a toujours sa raison d’être, mais nous nous demandons à quels nouveaux besoins il faut répondre.» Le chantier de réflexion est désormais ouvert. Une chose est sûre, en créant le jury et le Gala des Cochons d’Or il y a cinq ans, Carte Prem1ères a permis de sains débats collectifs: le gala n’a rien de la traditionnelle séance d’autocongratulation, en raison de ses coups de gueule bien sentis et sa volonté de remettre les dogmes en question. Il faut sans doute poursuivre dans cette voie.