Les cendres bleues : La nécessaire parole
Scène

Les cendres bleues : La nécessaire parole

On savait la puissance du poème de Jean-Paul Daoust, lauréat du Prix du gouverneur général en 1990. Pour porter à la scène Les cendres bleues, ce magnifique texte racontant l’amour illicite unissant un garçon de six ans et un jeune adulte, le metteur en scène Philippe Cyr fait le choix de la sobriété et d’un accompagnement gestuel délicat. Bien joué.

Philippe Cyr est un jeune homme discret, sur qui les projecteurs s’allument encore faiblement mais qui, dans ses plus récents projets, a montré une certaine aisance comme metteur en scène. Pas encore de signature affirmée, mais définitivement une grande intelligence du texte et une capacité à révéler le meilleur des écritures auxquelles il s’attaque. Dans sa mise en scène de Norway.today, un texte du Suisse-Allemand Igor Bauersima, il avait capté la fougue adolescente des personnages comme le ton hachuré de leurs conversations, du monde virtuel jusqu’au vertige des paysages du réel, en orchestrant une représentation entre théâtre de parole et théâtre technologique.

Le voici devant une partition plus délicate. L’amour que raconte Jean-Paul Daoust dans ce long et beau poème est traversé de passion, de sensualité, également d’apprentissage. Voilà une chose bien noble, que l’enfant gardera en lui comme un précieux trésor, malgré la blessure. Mais c’est aussi un amour toxique, un abus de pouvoir qui laissera des cicatrices. Pas de pathos, donc, dans la direction d’acteurs de Philippe Cyr, et pas un mot plus haut que l’autre, au profit d’une certaine distance qui met en lumière la force narrative du poème et permet d’apprivoiser les mots les plus douloureux en toute douceur. Cette sobriété témoigne aussi de la maturité avec laquelle l’auteur revisite les événements troubles de son enfance, avec un recul bienfaisant qui ne dissimule pas l’horreur des souvenirs mais permet d’envisager d’y survivre.

Découpant le texte pour le redistribuer dans les voix de trois acteurs (Sébastien David, Jonathan Morier et Jean Turcotte), il en accentue ainsi les chevauchements entre l’autobiographie et les touches de fiction, entre les sentiments vifs du moment et les regards rétrospectifs sur les événements, entre la candeur de l’enfant et la blessure de l’adulte. Tantôt distants les uns des autres, tantôt  délicatement soudés au corps de l’autre, les comédiens jouent dans l’espace à ce même jeu de rapprochement et de distance par rapport à l’amour illicite. Les trois corps se meuvent sur un sol baigné de quelques centimètres d’eau: réceptacle de la mémoire ou bain pour laver ce trouble passé. Les éclairages, très précis, sculptent les corps et parfois les dissimulent pour n’en révéler que quelques muscles frétillants.

Le tout crée un climat propice à la parole: une parole nécessaire, qui va bien au-delà de l’acte thérapeutique et qui témoigne éloquemment des contradictions de l’amour. Du beau boulot.