Foudres : La vérité sur le spectacle de Dave St-Pierre que vous ne verrez jamais
On sait maintenant que Foudres, le dernier morceau de la trilogie Sociologie et autres utopies contemporaines, de Dave St-Pierre, ne sera probablement jamais présenté à Montréal. Voici donc un aperçu de ce que vous allez manquer: une critique (à posteriori) du spectacle tel que vu à Amsterdam en juillet 2012.
Dave St-Pierre l’a dit ici et ici: tant que les subventionneurs et les diffuseurs d’ici ne sauront délier les cordons de leur bourse, il ne présentera pas Foudres. Même les représentations d’Ottawa et Toronto, prévues plus tard cette saison, semblent incertaines. Voici donc mon regard sur une représentation vue dans le cadre du festival Julidans au Stadsschouwburg d’Amsterdam, où j’ai pu constater que Foudres fait magnifiquement suite à La pornographie des âmes et Un peu de tendresse bordel de merde. Le spectacle a sûrement un peu changé depuis que je l’ai vu, mais on me dit que l’esprit est le même. Poursuivant une quête d’amour et d’engagement sans y parvenir, les personnages mi-cabotin mi-romantiques de Dave St-Pierre y traquent le couple de manière moins incisive que dans les deux premiers volets de la trilogie, en portant une vision plus tragique.
Plus souvent porté à dépeindre une jeunesse incapable d’engagement qu’une galerie de personnages sincèrement amoureux, Dave St-Pierre semble déroger à son ton habituel dans les premières scènes du spectacle. Si le romantisme a toujours été son territoire et si ses danseurs sont toujours mus par une quête d’amour et d’absolu, ils sont généralement vite anéantis par le cynisme, par l’ironie ou par l’échec. Ici, il n’y a pas à-priori d’insolence, du moins rien d’aussi corrosif que les propos de la narratrice-prêtesse d’Un peu de tendresse bordel de merde, qui retentissaient dès le début du deuxième spectacle de la trilogie.
Alors que les lumières s’ouvrent sur un groupe de Cupidons nus, recherchant intempestivement leurs vêtements épars, la musique sera nostalgique et la scène vite investie par une énergie bon enfant et un sentiment d’espoir alors que s’avancent deux amoureux pris d’assaut par ces Cupidons prêts à tout pour unir leurs ouailles. Ces anges de l’amour sont les émules des blondasses naïves d’Un peu de tendresse bordel de merde : des personnages clownesques et enfantins affichant naturellement une nudité libre et ludique, mais aussi une certaine cruauté derrière leurs regards angéliques. Sous leur emprise, les danseurs Éric Robidoux et Karina Champoux entameront quelques pas de deux et quelques étreintes douloureuses. Ce sera l’histoire d’un amour fou, éperdu, d’un amour qui carbure aux excès mais qui s’éteindra dans la douleur, dans le sang, et dans des chorégraphies de plus en plus athlétiques et brutales autant que dans la surcharge émotive.
La violence arrive vite, alors que les Cupidons fracassent leurs corps contre de longues tables noires pour inciter les amoureux à une idylle fougueuse et sans compromis. Vif, ardent, à fleur-de-peau: tous ces termes décrivent bien l’état d’esprit de ce spectacle et, on pourrait dire, de l’œuvre entière de St-Pierre. Interrompue par de romantiques duos dans lesquels Éric Robidoux, viril, cueille en pleine poitrine les mouvements aériens de sa partenaire, la pièce poursuit inlassablement son imparable crescendo. Entre l’homme et la femme, parfois, les rôles s’inverseront, et les corps d’abord chargés de testostérone ou de fureur vont s’affaisser et se tordre de douleur devant l’impossibilité du couple. Certes, ce n’est pas dans ces duos que Dave St-Pierre se réinvente: ils sont typiques de son style à vif et de ses chorégraphies qui jouent toujours avec les contradictions sentimentales, en évoluant au bord de l’essoufflement et de l’épuisement des danseurs.
Plus puissantes sont les scènes de groupe où, se faufilant en-dessous et par-dessus une rangée de tables (comme dans une sorte de tranchée), les corps vont mener bataille, se brandir et se cambrer comme pour résister aux coups tout en les prenant fièrement dans la gueule. Les femmes d’un côté, puis les hommes de l’autre: c’est une guerre des sexes qui ne connaîtra pas d’accalmie et qui finira inévitablement très mal. À elle-seule, cette scène vaut entièrement le déplacement: Dave St-Pierre n’a peut-être jamais créé une danse aussi athlétique et aussi précise. Jamais rien d’aussi brutal ni d’aussi violent, par ailleurs.
La brûlante chorégraphie aura donné coup d’envoi à une série de scènes tragiques et assumées comme telles: l’amour ne sera désormais plus possible et Éric Robidoux débarque sur scène en larmes avec, en mains, le dernier bouquet de fleurs du monde entier. C’est la fin d’un monde, la fin de toute possibilité amoureuse, le triste dénouement dans la solitude et dans le sang. Comme interprète, Robidoux a maintes fois prouvé sa capacité à flirter avec l’extrême virilité comme avec la plus pure fragilité. Il navigue ici entre ces deux eaux de manière exacerbée mais étonnamment jamais purement caricaturale, avec une émotion authentique.
Entre temps, les Cupidons auront continué leurs apparitions clownesques et sorti à quelques reprises les spectateurs de leur mutisme (notamment dans une scène vraiment grossière, typiquement cabotine à la manière St-Pierre, où interviennent un spectateur et une poupée gonflable). Mais peu à peu, leurs petits jeux amoureux deviendront naïvement cruels. À mesure que les corps se fracassent contre le sol, que le sang envahit la scène et que les corps-à-corps du couple se couvrent d’un voile noir, les Cupidons vont finir par disparaître.
Il y a évidemment peu de subtilité dans l’univers Dave St-Pierre, ni de surprises dans la progression dramatique, mais c’est bien cette quête d’absolu et cette recherche du plus-grand-que-soi qui ont fait sa marque et l’intérêt de son travail. Foudres est tout à fait à son image.
These are the flowers of all the supermarkets.. :)