Carré rouge et théâtre québécois à Avignon et Bussang
Pendant que Mani Soleymanlou et le Théâtre PAP obtiennent un certain succès à Avignon dans la programmation OFF, Violette Chauveau est sur les planches du Théâtre du Peuple à Bussang dans la nouvelle pièce de Carole Fréchette, Small Talk. Discussion avec ces artistes se produisant sur fond de combat des artistes français contre la réforme du régime des intermittents.
Au Avignon OFF, le succès de Cinq visages pour Camille Brunelle, la brillante pièce de Guillaume Corbeil mise en scène par Claude Poissant, n’a rien de très étonnant. La salle est pleine chaque jour depuis deux semaines, selon nos sources, et les quelques échos de la presse régionale et de la blogosphère sont hautement favorables. Il faut dire que cette pièce d’une redoutable intelligence, interprétée avec une précision de scalpel par les comédiens Francis Ducharme, Julie Carrier-Prévost, Mickaël Gouin, Eve Pressault et Laurence Dauphinais, mérite bien cette reconnaissance outre-mer. Le fait d’être programmé à La Manufacture, qui a l’une des programmations les plus sérieuses du OFF et qui attire un public pointu et avide de théâtre contemporain, est aussi un gage de succès.
Le metteur en scène Claude Poissant confiait d’ailleurs récemment à La Presse que de nombreux diffuseurs sont venus voir la pièce et souhaitent la présenter, de sorte qu’une tournée française se profile pour 2016, avec quelques arrêts en Suisse. Voilà qui est à mettre dans la colonne des bonnes nouvelles.
Faisant partie, avec la production du Théâtre PAP, d’une série intitulée Focus Québec, le spectacle solo Un, de Mani Soleymanlou, est également au programme de La Manufacture. Ce monologue sur l’écartèlement identitaire avait notamment suscité de vives réactions lors de quelques représentations à Paris l’an dernier (lesquelles sont d’ailleurs racontées dans le spectacle Deux, qui est aujourd’hui complété par le spectacle Trois pour former une trilogie identitaire).
À Avignon, le public reçoit Un avec davantage de bienveillance, nous dit Mani Soleymanlou. «Les spectateurs qui viennent voir le spectacle ici sont des festivaliers qui se nourrissent d’un grand nombre de spectacles pendant quelques jours et qui sont prêts à entendre diverses paroles et à observer des démarches de toutes sortes. Je ne vis donc pas les discussions intenses que la pièce avait déclenchées à Paris ou même à Calgary, même si je m’aperçois à nouveau que les enjeux d’écartèlement identitaires que je raconte en évoquant mon expérience d’Iranien en France et au Québec résonnent très fort et préoccupent tout le monde à peu près de la même manière, en Europe comme en Amérique.»
Pour Soleymanlou, les premières représentations, à l’orée de juillet, ont été plus difficiles, les spectateurs se faisant d’abord rares. Avec ses 1300 spectacles, Avignon OFF est une jungle dans laquelle il n’est pas toujours simple de se démarquer. Mais la salle s’est graduellement remplie, le bouche-à-oreille aidant, et de nombreux diffuseurs ont également manifesté leur intérêt pour le spectacle, que Soleymanlou ne souhaite toutefois plus présenter seul, maintenant que sa trilogie est complétée. Peut-être y-aura-t-il une tournée française de Un-Deux-Trois dans un avenir pas si lointain. Trop tôt pour le confirmer.
Il faut dire aussi que le contexte militant dans lequel se tient cette année le festival a mené à l’annulation de quelques représentations en début de parcours. Les artistes français luttent cet été contre une réforme du régime des intermittents du spectacle, un système unique en France qui permet aux travailleurs contractuels d’obtenir du chômage pendant leurs périodes creuses et d’ainsi contrer la précarité des métiers du spectacle qui assurent rarement une continuité de salaire. Les intermittents d’Avignon ont même adopté le carré rouge québécois comme symbole de solidarité!
«C’est passionnant à voir aller, explique Mani Soleymanlou. Évidemment, il y a ici beaucoup d’artistes étrangers qui ne sont pas directement touchés par ce combat mais tout le monde a pris la décision d’être solidaire. En tant que Québécois, on ne peut même pas rêver d’avoir un jour un système aussi généreux que celui-là, qui est vraiment unique à la France, mais en filigrane de ce combat, il y a la nécessité de défendre l’importance des arts du spectacle et de ses travailleurs qui sont trop souvent sous-payés et déconsidérés. Chez nous, le criant sous-financement du théâtre place les artistes de théâtre dans une situation de fragilité financière et elle menace de plus en plus souvent la tenue des productions – je pense qu’on peut inscrire cette préoccupation dans le combat des intermittents en France, qui soulève des enjeux similaires. Néanmoins, il est clair que notre regard étranger sur le combat des intermittents est un peu superficiel et que, si on peut le soutenir, on peut très mal en débattre: c’est très complexe tout ça.»
La comédienne Violette Chauveau, qui passe l’été sur la scène du Théâtre du Peuple à Bussang, dans les Vosges, fait le même constat. «Ici, dit-elle, on a intégré à la mise en scène du spectacle un moment de prise de parole pour expliquer le combat des intermittents et impliquer le public dans la lutte, s’il le désire. Les réactions des spectateurs sont touchantes et la plupart d’entre eux s’empressent de manifester leur soutien. Aux yeux d’une comédienne québécoise, la ferveur du militantisme artistique des Français est inspirante, et en même temps très confrontante. Au début, je me suis demandé si c’était ma lutte, si mon implication était légitime, mais j’ai décidé que oui. Ça me confirme à quel point notre situation de sous-financement est catastrophique au Québec et ça me donne envie d’être plus militante chez nous. Encore récemment, j’ai joué dans une production non-financée pour laquelle je n’ai pas été payée autrement que par le principe du partage des recettes. Je fais ça avec passion mais c’est une situation vraiment déplorable, et ça ne devrait pas arriver à des productions programmées dans nos théâtres institutionnels ou théâtres établis.»
Le Théâtre du Peuple est un magnifique théâtre dont le fond de scène s’ouvre pour des finales en plein-air à flanc de montagne. On y présente chaque année un spectacle à l’affiche tout l’été, dans un esprit de théâtre populaire, pour un public très diversifié. Le metteur en scène Vincent Goethals, qui dirige le théâtre depuis 2011, a commandé cette année un texte à la Québécoise Carole Fréchette et est venu travailler en atelier à Montréal au Centre des auteurs dramatiques, où il a rencontré Violette Chauveau et lui a offert un rôle. Small Talk vient donc d’être créé à Bussang, dans un cadre bucolique qui enchante la comédienne, au cœur de ce que Goethals a appelé une saison québécoise (la comédienne Marie-Eve Perron y présente aussi ses spectacles Gars et Marion fait maison, alors que la pièce D’Alaska, de Sébastien Harrison, y est jouée en matinée).
«Small Talk est une pièce touchante et drôle, raconte Violette Chauveau, qui raconte l’histoire d’une jeune fille de 25 ans qui a du mal à communiquer et qui fait tout pour essayer de s’améliorer. C’est un théâtre de personnages, dans lequel l’entourage de Justine et les gens qu’elle rencontre ont des personnalités exacerbées. Je joue sa mère aphasique, mais la pièce met aussi en scène une femme d’origine russe au comportement explosif, un frère animateur de talk radio ou une muette qui parle en langage des signes. Carole explore différents aspects de la communication humaine, mais c’est surtout une belle pièce sur le passage à l’âge adulte.»
Décidément, le théâtre québécois se porte bien en France ces jours-ci!
À lire également: Instantanés du festival d’Avignon 2014, un texte de notre collaboratrice belge Sylvia Botella