Scène

Attentat : «Nous avons soif de poésie mouillée»

Réhabilitant la tradition du grand spectacle poétique mais aussi un théâtre d’affirmation nationale qui célèbre la langue, la collectivité et le territoire, les sœurs Véronique et Gabrielle Côté inventent une forme inspirante dans leur spectacle Attentat.

Les sœurs Côté aiment croire à la lumière au bout du tunnel et au pouvoir des mots sur nos consciences malmenées. Elles sont des destructrices de cynisme ambiant, des assoiffées d’un monde où la poésie remplacerait la désillusion. Ensemble, elles ont fouillé dans la poésie contemporaine, chez Maxime Catellier comme chez Marjolaine Beauchamp ou Geneviève Desrosiers, pour lancer leurs paroles à la face du monde, y greffant des images dans une perspective d’écriture scénique et dans un esprit festif et rassembleur. Véronique a aussi pris la plume, comme d’ailleurs l’auteur et comédien Steve Gagnon (qui joue dans le spectacle), mais aussi d’autres hommes et femmes de théâtre (Jocelyn Pelletier et Evelyne de la Chenelière). Résultat: un happening poétique dénonçant un monde qui penche trop à droite et qui a perdu sa capacité à vivre ensemble, mais tentant de le réinventer.

La beauté d’Attentat, c’est que ce spectacle qui commence en s’exprimant contre toutes sortes de choses (la radio-poubelle, le démantèlement du modèle québécois, les médias qui tuent la pensée) finit par s’exprimer en faveur de toutes sortes d’autres belles choses (la soif de parole et de beauté, la quête de savoir et de pensée, le bain de foule ardemment désiré). Il y a là une posture idéaliste et romantique dans laquelle on reconnaît bien Véronique Côté, (notamment dans sa pièce Tout ce qui tombe et dans son essai La vie habitable), mais dans laquelle ne se lit aucune naïveté ni aucune mièvrerie. Toujours cette soif de beau est ancrée dans un regard lucide: dans une perspective éclairée sur un monde néo-libéral qui a épuisé ses possibilités d’harmonie et d’humanité.

Les poètes conviés sont nombreux et variés: il y a de l’indignation écologiste chez Natasha Kanapé Fontaine, de l’immigration malmenée chez Sylvie Laliberté, du sacré et de l’évasion chez Benoît Jutras, des territoires sauvages chez Stéphane Despatie. Mais, assemblés minutieusement par les sœurs Côté, les poèmes tissent un chemin identitaire et indigné, un regard sur une nation québécoise qui continue à se chercher, s’inventer et se révolter, dans ses grands espaces et ses routes enneigées autant qu’à travers son peuple tissé serré.

Affichant fièrement son indépendantisme et son désir d’une émancipation québécoise ancrée dans le présent, ce spectacle rappelle d’ailleurs quelques récentes œuvres fragmentaires réfléchissant au devenir de la nation, comme Les Mutants (du Théâtre de la Banquette Arrière de Montréal) ou Vertiges (de la compagnie Tectonik de Québec). Il y a quelque chose comme une tendance, comme un mouvement, encore sourd mais indéniable, de retour à une parole poétique pour affirmer un désir de pays.

Raquettes, chevreuils et autres imageries nationales un peu folkloriques sont d’ailleurs conviés dans un mélange d’hommage et de réflexion au sujet d’une culture qui se perd, d’un vivre-ensemble qui s’effrite, d’une mémoire qui s’étiole. L’idée du retour au collectif, à travers une nouvelle célébration du territoire, est récurrente, notamment par l’usage des motifs de l’engelure, de l’orignal épormyable, de la neige blanche. Ces images incarnées sur scène par une série de tableaux vivants ne font pas toujours mouche – on regrette que certaines mises en situation soient un peu trop illustratives – mais elles sont généralement inventives.

Beaucoup de poèmes parlent aussi de l’absence de poésie dans ce monde, ou racontent une quête d’amour et d’absolu comme remède à la déliquescence ambiante. Mais ce sont les textes hyper-ancrés dans l’actualité et dans une certaine vision contemporaine de l’indépendantisme, ainsi que dans une langue brutale, qui paraissent les plus pertinents ou les plus percutants, et également les plus théâtraux – ce sont eux qui retentissent le mieux sur scène. On ne s’étonne pas, ainsi, que L’appel au festin, de Véronique Côté, et que Fuck you, de Steve Gagnon, soient les moments les plus forts du spectacle.

On regrette aussi qui’il n’y ait pas eu de travail précis sur l’énonciation, ce que commande parfois pourtant la rythmique. En tout temps les réflexes naturels de l’acteur, ou son style naturel, sont privilégiés, même quand la prosodie des textes aurait nécessité une autre approche. L’accès à la puissance de certains poèmes s’en voit réduite.

Supplémentaires: du 24 janvier au 4 février 2017 au Théâtre Périscope (Québec)