Fabien Cloutier / Assume : « Je ne voulais pas être l’humoriste de gauche. »
Si vous ne connaissez pas encore Fabien Cloutier, c’est que vous n’avez pas de compte Facebook ou de télé. L’auteur, acteur, chroniqueur et humoriste jongle entre ses rôles à TVA et le théâtre de création, il a été nommé au Gala des Olivier et aux Prix littéraires du Gouverneur général dans la même année. Qui d’autre pourrait? Plus surprenant encore : l’homme de lettres n’a même pas eu à vendre son âme.
On l’a vu dans Les beaux malaises, 30 vies, Watatatow (mais ça fait longtemps), Boomerang, Paparagilles, Les bobos. On l’a entendu à Plus on est de fous, plus on lit! et jouera le frère d’Alexis dans Les pays d’en haut. Tous ces mandats, contradictoires ainsi énumérés, semblent intrinsèquement liés à sa personnalité multifacette quand on se penche sur son œuvre. Fabien Cloutier ne donne pas dans les élans lyriques, la poésie pour faire cute : sa plume est brutalement terre-à-terre. Pensons seulement à Billy (les jours de hurlement) ou encore au combo Cranbourne/Scotstown qui l’a révélé. Il écrit sur une tranche de la population québécoise à laquelle aucun auteur avant lui ne s’était intéressé, il écorche la région et la pauvreté intellectuelle relative avec un respect déroutant. C’est réaliste, c’est juste. Son dosage est parfait et personne ne lui envoie de lettre d’insultes – à notre connaissance.
La prose et le propos plaisent. Pour un média web dans le créneau de Voir, Fabien Cloutier est devenu un mot clé payant qui stimule le reach (c’est ce qu’on dit dans le jargon) presque au même titre qu’un Xavier Dolan. Antistar par excellence, c’est ses mots qui attirent plus que sa face. Qui ont une portée considérable comme cette fois où il a écrit un Poème sale sur les migrants de Syrie. Un coup de poing.
Chose certaine, je ne veux pas avoir l’air d’un donneur de leçons, mais c’est clair que mon personnage rentre sur scène et il frappe.
Originaire de Beauce, de la métropole chaudière appalachienne de Ste-Marie, Cloutier a pratiquement grandi dans le même milieu que ces personnages. Dans une famille « ouvrière », voilà le terme qu’il a choisi. Rien ne le destinait à la vie d’artiste, une admission au Conservatoire et au prix Gratien-Gélinas au royaume des motoneiges et de l’entrepreneuriat. Ses racines sont devenues, au fil du temps, un genre d’atout.
Accrocher son chandail Vachon
Nul doute que L’Chum à Chabot, monologuiste de Cranbourne et Scotstown, sera intronisé dans un futur rapproché au Temple de la renommée (imaginaire) du théâtre d’ici. Ce n’est qu’une question de temps avant que les profs de français du secondaire forcent leurs élèves à lire les deux livres. Preuve du succès retentissent de l’œuvre : un DVD des spectacles sortira au mois de novembre. Sans doute qu’on a retrouvera pas mal dans les bas de Noël.
Avec Assume, Cloutier pousse l’écriture engagée plus loin parce qu’il ne voile plus ses prises de position d’un parlé qui n’est pas totalement sien. Autant dire que le titre de son one man show porte bien son nom. C’est lui de bord en bord : « Je ne dirais pas que j’ai un personnage, mais c’est un Fabien Cloutier de scène. T’sais, c’est un Fabien Cloutier qui utilise l’ironie. Je dépasse ma pensée des fois, justement pour que les gens se disent « est-ce que c’est lui qui pense ça ou il est en train d’essayer de me prouver le contraire? » Je ne voulais pas être l’humoriste de gauche. » Cette dernière phrase-là, d’ailleurs, il la répétera souvent en entrevue. N’empêche, son humour exempt de jokes de chars de références aux relations hommes femmes tranche. Faudrait pas s’attendre à des anecdotes croustillantes sur les tics et habitudes risibles de sa blonde Maude Audet qui signe d’ailleurs sa scénographie en plus d’être une formidable auteure-compositrice-interprète. Mais bon, on s’égare. « Je ne fais pas de l’humour en réaction aux autres. Ce que je n’aime pas, j’essaie juste de ne pas le reproduire. »
Il y a des jeunes humoristes qui tiennent un discours différent et qui ne se rendent pas toujours à la télé. Je sens qu’il a à peu près le même genre d’affaires qu’en théâtre, c’est-à-dire des choses qu’on met upfront avec des cotes d’écoute impressionnantes, des galas. Pendant ce temps-là, il se passe quelque chose de l’fun dans une salle de 75 places.
Micro à la main, le comédien se moque d’à peu près tout le monde y compris de lui-même. La Jeannoise à l’accent bien sonore en fait partie. Celle qu’on a vue sur Youtube, dans une vidéo tournée à l’occasion d’une soirée de rodage. « Y’a beaucoup d’œuvres montréalocentristes, y’en a en masse. En créant le personnage d’une dame du Lac-Saint-Jean, j’essaie de faire en sorte qu’elle puisse exister partout. Je veux qu’on puisse se reconnaître, que ça touche davantage aux travers humains. »
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Parmi ses autres cibles préférées : les participants aux émissions de décorations, les gars de la construction, les profs. Puisqu’il s’attaque à leur routine, le vaste thème de la consommation revient souvent. « Parce que c’est la plus grande façon de voter après les élections. […] Je pense qu’on peut créer des œuvres politiques et sociales sans parler des politiciens et sans avoir l’air de mettre un enjeu social de l’avant. »
Il se fait aussi un point d’honneur de ne jamais tomber dans les querelles d’égo, un choix tentant en tournée promo. Pensons notamment au récent cas Wagner-Martineau. « Je n’ai pas envie, par exemple, de mener une guerre contre Éric Duhaime. Profondément, ça ne me tente pas. Je porte plus attention aux idées qu’à ceux qui s’en font les porte-paroles. […] Ça ne me tente pas de prendre un corridor où je pourrais générer de la haine pour rien. »
Il ne mise pas non plus son statut d’ex gars de Labeaumeville, un sentier déjà pelleté d’avance. La voie facile qu’il a choisi de ne pas prendre. « Je serais le candidat idéal pour nourrir la compétition Québec/Montréal parce que j’ai été aspiré par le milieu montréalais. Ça ne me tente pas de dire « enwoye, Québec m’a pas donné ma chance! » C’est pas ça. » Qu’à cela ne tienne : l’autre bord de la 20 lui apporte pas mal de matière, à commencer par le Carnaval de Québec. « Un enclos à barre tendre », pour reprendre ses mots. On rit fort et on hâte d’en entendre plus de punch lines dans le genre.
En grande première: les 17 et 18 novembre au Théâtre Petit Champlain
Toutes les dates via fabiencloutier.com
S’aurait été bien une série de photo « avec une brique pis un fanal »