Catherine Gaudet : Un hiver de vertu et d’amour
Décembre et janvier permettront aux spectateurs de voir deux créations de la douée Catherine Gaudet, Au sein des plus raides vertus et Roméo et Juliette, celle-là imaginée avec le metteur en scène Jérémie Niel. Discussion avec une inlassable exploratrice de l’intériorité humaine.
Lorsqu’on a vu Au sein des plus raides vertus au FTA en 2014, on avait été bluffés par «l’aventure aussi intellectuellement que sensoriellement stimulante» que ce spectacle proposait en explorant «les tensions qui percutent l’homme dans ses rapports humains, entre pulsions animales et respect des convenances sociales».
C’est le chantier que Catherine Gaudet défriche sans relâche, dans une danse explorant les états de corps et une théâtralité puisant dans le psychique, dans l’«intériorité». «Pour moi, dit-elle, le corps n’est pas un instrument pour créer des formes, c’est une extension de nos postures psychiques et émotives. Notre corps présente notre manière d’être au monde. Je place mes danseurs dans des situations, qui ne sont pas narratives, mais qui montrent leur rapport aux autres et à eux-mêmes, dans une certaine ambiguïté. Et dans une conscience de la société dans laquelle ils évoluent; cette société leur fait vivre des sensations. Je travaille sur le choc entre la pulsion, l’origine, et le social, l’altérité. La rencontre entre l’humanité primitive (les peurs, les malaises) et les standards sociaux, le vernis social.»
Dans Au sein des plus raides vertus, dansée brillamment par Dany Desjardins, Francis Ducharme, Annik Hamel et Caroline Gravel, cette rencontre du pulsionnel et du civilisé se construit par le choc des dualités. Les danseurs sont tour à tour dominés par le paraître puis par une criante authenticité, par une énergie enfantine puis une autorité adulte, par le divin puis le démoniaque.
«Mes interprètes sont pris dans de doubles ou quadruples contraintes, ou disons de quadruples intentions: la dualité se vit ainsi avec toutes les nuances qui s’imposent, sans manichéisme. On voulait explorer leurs pulsions; les démons ou les fantômes au sein d’eux-mêmes. Si ces démons ne sont pas apprivoisés, ils créent des insécurités et poussent à se créer des remparts. C’est ainsi que la pièce touche au thème de la religion, qui était ce rempart à une autre époque au Québec, et à celui des convenances et de l’image de soi, qui sont les remparts d’aujourd’hui.»
«Le divin est proche de l’érotisme», poursuit-elle, quand on lui demande de parler de ses interprètes. Ils sont «la pureté et la sensualité incarnées», et en eux se produit «une rencontre entre l’éros et la naïveté». «La sexualité et la libido sont importantes dans cette pièce. Même les pulsions vers le divin, même le besoin de sécurité, pour moi, sont liés au sexe.»
Elle continuera d’explorer cette idée dans La très excellente et lamentable tragédie de Roméo et Juliette, une première collaboration avec le metteur en scène Jérémie Niel, à l’affiche en janvier à l’Usine C. La pièce est issue d’un segment du spectacle 2050 Mansfield, qui invitait les spectateurs à des morceaux dansés intimistes dans une chambre d’hôtel du centre-ville. Francis Ducharme et Clara Furey y jouent Roméo et Juliette dans une sensualité manifeste mais aussi dans la camaraderie et la complicité, l’amour y étant aussi tragique que ludique.
«Clara et Francis, dans la vie, sont très proches et très complices. Pour nous, ils sont des Roméo et Juliette des temps modernes. Ils ne sont pas un vrai couple, mais ils ont une connexion géniale. C’est un amour très contemporain, en dehors de la notion traditionnelle de couple, laquelle semble impossible ici pour toutes sortes de raisons, malgré les indéniables sentiments.»
Leur impossibilité de s’aimer ne vient pas de l’extérieur, comme dans la tragédie de Shakespeare, mais d’eux-mêmes. «C’est comme s’ils étaient traversés du mythe de Roméo et Juliette, dit la chorégraphe. La cité n’est pas contre eux, mais il y a entre eux un sentiment d’enfermement, de proximité et d’interdit, qu’on a voulu rendre très tangible. À l’image de la chambre d’hôtel, les spectateurs vont être enfermés dans une sorte de boîte avec les danseurs, qui jouent et rejouent leur histoire à répétition et meurent plusieurs fois.»
Connu pour un théâtre sonore qui donne au corps une matérialité à travers l’amplification de la voix et de la respiration, Jérémie Niel est un metteur en scène contemplatif et, pourrait-on dire, artisan d’un théâtre «introverti». Gaudet, en extirpant l’intériorité pour la donner à voir par une gestuelle démonstrative, est assurément la créatrice d’une danse «extravertie». Leurs postures sont-elles conciliables? «Oui, dit-elle, car on cherche tous les deux à travailler dans le souterrain. Beaucoup de gens relèvent nos différences, mais je pense que comme on travaille tous les deux dans les extrêmes, notre rencontre crée de l’équilibre.»
Au sein des plus raides vertus, du 8 au 10 décembre à l’Usine C.
La très excellente et lamentable tragédie de Roméo et Juliette, du 13 au 17 janvier à l’Usine C.