Robert Lepage : Marquis de personne
Scène

Robert Lepage : Marquis de personne

Plutôt que de trôner sur ses employés, et de se regarder dans le miroir comme l’icône qu’il est pourtant, Robert Lepage met sa notoriété et son aisance financière au profit du travail d’équipe. 

Si savoir s’entourer est un talent, alors l’auteur de La face cachée de la lune est particulièrement doué. Dès les premiers jours, les musiciens, scénographes, éclairagistes, costumiers et interprètes (triés sur le volet) se creusent les méninges ensemble dans la salle de répétition. Un luxe dont il est pleinement conscient, devant l’impossibilité de prédire le coût final d’une telle production. «On avance, mais on ne sait pas où on s’en va. […] On a des intuitions, mais on sait que les choses vont finir par se simplifier, que les choses nécessaires vont rester, que les choses qui ne sont pas nécessaires vont tomber comme des peaux mortes. Mais ces idées-là ressurgissent parfois où tu ne t’en attendais pas. Rien ne se perd, rien ne se crée.»

Bien qu’immortalisé dans le dictionnaire des noms propres et le sujet d’une page Wikipédia traduite en onze langues, Robert Lepage ne se calfeutre pas dans sa tour d’ivoire. Les théâtrophiles de Québec le savent et le voient: il agit, localement du moins, comme un genre de recruteur de talents en assistant à un maximum de pièces de la relève. Son bras droit pour Quills, pièce qu’il coproduit avec Le Trident, c’est justement son cadet Jean-Pierre Cloutier. Un ami, certes, mais aussi un acteur à qui on doit une performance déchirante, transcendante dans l’adaptation récente de Trainspotting à Premier Acte en 2013 puis reprise à La Bordée l’automne dernier. C’est lui qui a traduit, partiellement mis en scène et qui défendra une fraction du texte du dramaturge texan Doug Wright. «L’idée, c’était de faire entrer Jean-Pierre dans mon système. Chez Ex Machina, on ne prend pas une pièce pour simplement la répéter. […] Pour lui, c’est à la fois un défi de s’embarquer dans ça, mais aussi une chance parce que, bon, on a quand même des moyens, du temps. »

 

Une relation sexuelle complète

En interprétant le libidineux Marquis de Sade, Lepage renoue avec le jeu en groupe, l’échange de répliques écrites par un autre. «Ça faisait longtemps que je n’avais pas joué avec du monde. Je faisais des caméos, j’ai joué dans des films… J’ai eu le plaisir de jouer avec des gens, mais je ne pouvais jamais rien élaborer. C’était toujours des coïts interrompus!»

Crédit: Stéphane Bourgeois et Hélène Bouffard
Crédit: Stéphane Bourgeois et Hélène Bouffard

Précisons qu’au fil des ans, le père du Diamant est devenu une personnalité quasi politique. Annonce de subventions, retraits du gouvernement provincial, retour en arrière, appels aux investisseurs privés… À Québec, l’ex-héros de la LNI était surtout la marionnette des élus et la tête d’affiche d’un projet ambitieux qui fait jaser dans les chaumières – même chez les gens qui ne vont jamais au théâtre. Les projecteurs n’éclairaient plus tellement ses aptitudes comme metteur en scène et encore moins comme acteur. «Moi, je trouve que Robert est un excellent comédien, réitère Jean-Pierre Cloutier. Il est reconnu pour toute sa créativité, mais c’est plus rare qu’on le voie porter, défendre une parole et la critiquer.»

Jusqu’au 7 février au Théâtre du Trident (Québec)

Du 16 mars au 9 avril à L’Usine C (Montréal)

 

// À lire aussi: la critique de Quills par notre collègue Émilie Rioux