Huff et le théâtre anglo à Québec : Grande première et langue seconde
En février prochain, le Théâtre Périscope accueillera au cœur de sa trentième saison une pièce exclusivement jouée en anglais. Une première historique qui porte le nom de Huff.
Découvert dans le cadre de Magnetic North, festival de théâtre anglophone pancanadien, le spectacle s’est avéré un coup de cœur instantané pour Frédéric Dubois, directeur artistique du Périscope. Écrit et interprété par Cliff Cardinal, jeune artiste torontois d’origine autochtone, Huff est un monologue dont le sujet est brûlant d’actualité: la quête d’identité de la jeunesse aborigène, qui tente d’évoluer et de se tailler une place dans sa communauté. Littéralement perçue de l’intérieur, la situation épineuse est dépeinte avec ludisme par Cardinal, qui y incarne successivement une vingtaine de personnages. «C’est un spectacle difficile à jouer physiquement et émotionnellement, indique le comédien. Le public est chaque fois très réceptif et les choses qui se produisent dans la salle sont à la fois dangereuses et excitantes.» Après plus de 80 représentations, Québec sera le premier public francophone qui entendra le texte, grâce à la traduction d’Étienne Lepage (Rouge Gueule, Robin et Marion) qui défilera en surtitres.
Risquer la diversité
S’il s’avère rarissime de trouver du théâtre d’expression anglophone dans la capitale, Frédéric Dubois confirme toutefois que son choix, quoique potentiellement risqué, s’inscrit directement dans la mission du Périscope, dont le mandat est de programmer du théâtre canadien. «Nous sommes un lieu qui est basé sur le risque. La création, intrinsèquement, c’est un geste qui est risqué. Pour moi, programmer une pièce en anglais, ce n’est pas un risque qui est différent d’un autre. Au final, ce que je veux, c’est le meilleur. Peu importe la langue.» Évidemment, le réflexe des programmateurs est bien souvent de se tourner vers des compagnies canadiennes francophones, qui constituent pour eux un important réseau de partenaires culturels.
Ouvrir les frontières
Dans le paysage artistique de la capitale, c’est majoritairement au Carrefour international de théâtre qu’on retrouve des pièces anglophones, et ce, depuis le début du festival en 1992. Entourée d’une pile de dépliants promotionnels, la directrice artistique du festival, Marie Gignac, a méticuleusement répertorié les spectacles unilingues anglais de la programmation: «Il y en a eu une douzaine depuis que je suis là. La plupart présentés entre 1997 et 2000.» Issus d’Angleterre, d’Australie ou de Toronto, ces premiers spectacles (d’abord présentés sans traduction) ont su créer une habitude chez le fidèle public du Carrefour, qui ne se formalise plus de la barrière langagière. «Ils savent que si on programme un show dans une langue étrangère, il va y avoir des surtitres. J’ai parfois une hésitation dans les cas où il y a vraiment beaucoup de texte: je trouve difficile pour le public de passer sa soirée à lire.»
Même si le bassin de population de la ville de Québec demeure majoritairement francophone, la communauté anglophone de la ville (environ 12 000 personnes) est théâtralement représentée depuis 1981 par la Quebec Art Company, une troupe de théâtre amateur dont les productions attirent un public grandissant très diversifié. Présentées dans le circuit des écoles anglophones, les activités de la compagnie y jouent à la fois un rôle culturel et communautaire.
Une scène pour la noblesse
Dans la capitale, la dernière présence concrète de théâtre dans la langue de Shakespeare remonte sans doute à la conquête anglaise, où l’activité culturelle appartenait à la haute société. Selon l’historien Alex Tremblay Lamarche, ce sont avant tout les mercenaires et les officiers de la garnison britannique qui produisaient de l’art pour se divertir, d’abord dans les tavernes, puis dans des salles aménagées, dont le célèbre Music Hall de la rue Saint-Louis. Au début du 19e siècle, le passage de l’acteur anglais Edmund Kean marque l’histoire, alors que ce dernier quitte la scène prétextant la médiocrité de ses partenaires de jeu. Ce n’est finalement qu’après l’arrivée des chemins de fer qu’apparaît en ville une abondance de troupes ambulantes américaines qui influenceront le paysage théâtral.
Au-delà des préjugés envers les deux solitudes, Frédéric Dubois demeure convaincu que la pièce de Cliff Cardinal pourra trouver son public à Québec. «Si on n’ouvre pas la porte, personne ne va l’ouvrir. On veut témoigner de la diversité, de la pluralité des paroles et des écritures. Huff, c’est exactement ça.» Un spectacle qui promet d’ouvrir les esprits sur l’empathie envers l’inconnu et l’envol de l’imaginaire aux dépens d’une trop dure réalité.
Huff
Du 16 au 20 février au Théâtre Périscope