Théâtre du néo-terroir : Quand la région domine
Les romanciers québécois ont été les premiers à réinvestir l’imaginaire rural et à créer des œuvres pleines d’une nouvelle régionalité. Voilà que les auteurs dramatiques les suivent. De Fabien Cloutier à Justin Laramée en passant par Steve Gagnon, cap sur un théâtre du terroir nouveau genre.
En littérature, la tendance est forte. À la fin des années 2000, les Samuel Archibald, Raymond Bock, William S. Messier et Gabriel Anctil ont osé camper leurs histoires et leurs personnages dans un environnement régional, explorant la ruralité québécoise de long en large. Comme jadis le faisait Germaine Guèvremont, mais dans un tout autre état d’esprit: autre langue, autre imaginaire.
Samuel Archibald a lui-même appelé cela le «néoterroir», dans un article de la revue Liberté qui fait office de référence. Avant lui, le blogueur linguistique Benoît Melançon parlait de «l’École de la tchén’ssâ». On y puise dans le folklore autant que dans un imaginaire régional réinventé, dans une langue vernaculaire autant que dans une écriture qui soigne le récit, dans un regard critique sur nos villages autant que dans l’enthousiasme des grands espaces ou dans l’authenticité de l’homme qui habite au loin. Au théâtre, même jeu: une génération d’auteurs s’impose maintenant comme dignes représentants du néoterroir. Une manière de prendre soin de notre territoire en le faisant exister puissamment dans l’imaginaire théâtral, après des années de négligence.
Chez Fabien Cloutier, grand chef de file, la ruralité est «trash». On y parle dru et cru, et les personnages exposent sans vernis leurs préjugés. C’est le Québec de la droite conservatrice populiste qui reprend ses droits, loin du personnage de la gauche caviar souvent rencontré sur nos scènes. Mais comme chez les autres auteurs épris de régionalité, le regard que leur consent Cloutier est attendri: derrière une rudesse de façade se cachent des hommes au grand cœur ou des hommes combatifs que la vie n’a pas épargnés. Ils se racontent en mêlant leurs propres vies à un imaginaire régional fantaisiste, comme d’ailleurs chez Samuel Archibald, qui vient lui aussi de se joindre au cortège avec une première pièce, Saint-André-de-l’Épouvante (encore à l’affiche de l’Espace GO jusqu’au 12 mars).
Dans le théâtre du néoterroir, l’amour des régions est un amour des récits fondateurs. La mémoire des lieux est foisonnante; les auteurs se plaisent à la réactiver comme à convoquer une nature et une faune au puissant potentiel symbolique. Exemple? Dans une récente pièce de Justin Laramée, Transmissions, le réalisme côtoie constamment le fantastique et les animaux parlent presque autant que les hommes.
Le mois dernier aux Écuries, la pièce Habiter les terres, de Marcelle Dubois, utilisait le même mécanisme anthropomorphe. Steve Gagnon, dans Fendre les lacs, s’amuse aussi à sa manière à créer des liens forts entre l’homme et l’animal. Même jeu chez André Gélineau, auteur sherbrookois dont la pièce Raconter le feu aux forêts se déploie autour de l’inquiétante figure d’un homme à tête de chien.
À ce palmarès incomplet, il faut ajouter Véronique Côté, dont les festifs spectacles de poésie et de prise de parole (Attentat, codirigé avec sa sœur Gabrielle, et La fête sauvage) sont motivés par un désir de célébration du territoire. Qu’il en soit ainsi!